Un soir, j’étais assis sur le lit dans ma chambre de l’hôtel de Bunker Hill, en plein milieu de Los Angeles. C’était un soir important, car je devais prendre une décision pour l’hôtel. Soit je payais, soit je décampais ; c’est ce que disait le mot, le mot que la tenancière avait glissé sous ma porte. Un problème d’une telle importance méritait une grande attention. Je le résolus en éteignant la lumière et en m’endormant.
John Fante
Demande à la poussière
Photo © Chris Brown
J’ai retrouvé ce livre de Bret Easton Ellis, Zombies, dans un des cartons que j’ai déballé il y a peu et sur lequel j’avais écrit « Livres de la chambre » comme si certains livres avaient un emplacement privilégié et par livres de la chambre il faut entendre livres de chevet mais pas livres de chevet au sens où ce sont des livres qu’on ne quitte pas, mais au sens de livres qui étaient sur la table de chevet au moment où je les ai fourrés dans le carton, et parmi ces livres, ce livre que je n’avais jamais ouvert, sans réellement me décider parce que je ne connaissais pas encore cet auteur dont entre temps j’ai lu deux œuvres, c’est à croire que comme je le pense, certains livres ont besoin d’un temps de maturation avant de se trouver sur le marché et d’avoir une audience suffisante, un potentiel d’écoute dont le point de chauffe arrive à son apogée.
La semaine dernière, j’ai acheté une revue, attiré par sa couverture affichée en grand derrière la vitre du kiosque ; un mot en rouge, une couverture représentant une assiette pleine de bijoux clinquants qu’une femme s’évertue à vouloir découper avec des couverts ; l’argent nourriture, objet de délectation et de luxe qui se consomme comme un bon steak saignant ; la monnaie vivante de Klossowski ? Ce n’est pas tant la couverture qui m’a attiré que les sous-titres et notamment celui-ci « Architecture, comment déconstruire sa maison » qui inévitablement ne pouvait que piquer ma curiosité. Alors je l’ai acheté. C’est Philosophie Magazine, quelque chose qui semble assez pompeux comme ça, mais réellement je me suis fait charmer par un magazine qui, bien évidemment parle de philosophie mais là où je m’attendais à trouver des articles pompeux et soporifiques sur la Phaemonologie de Hegel ou sur les Holzwege de Heidegger (ce qui somme toute est bien loin d’être soporifique), je me suis trouvé face à une feuille de choux qui traite intelligemment de thèmes communs avec le regard et l’analyse (oui je sais, ça fait grincer des dents) de la philosophie en suivant ainsi le précepte de Deleuze qui voulait qu’on sorte de la philosophie par la philosophie. Nous y sommes. Politique, architecture, vie d’entreprise, littérature, nous y sommes, le cadre de la philosophie est dépassé. Et cette petite revue de presse charmante composée par Sven Ortoli dans laquelle je trouve ces mots :
Le premier réacteur nucléaire du monde a été classé monument historique. Situé à Hanford, dans l’état de Washington, il avait produit le plutonium nécessaire à la première explosion atomique, dans le désert du Nouveau-Mexique, le 16 juillet 1945.
C’est en observant l’explosion que Kenneth Brainbridge, le responsable du test, déclara à Robert Oppenheimer : « Maintenant, nous sommes tous des fils de pute. »
finalement, je suis assez contente que tu n’aies pas décampé…
et quand on y pense, 16 juillet Nouveau-Mexique, 6 août Hiroshima, ils n’ont pas perdu de temps, ces enfoirés.
Mon frangin me racontait que quand on a fait écouter pour la 1° fois un disque de Duke Ellington à Django Reinhardt, il a pleuré car il était persuadé qu’on lui avait caché qu’il avait un frère aux états-unis.
Je n’ai pas pleuré, évidemment, en lisant ton article.
Mais tu y parles de plusieurs choses que j’aime bien (Fante, Bret, le magasine “Philosophie”)
C’est peut-être juste ça, Internet : le plaisir de trouver des sortes de “frères” qu’on nous aurait caché. “ça vous tapisse le coeur en bleu”, comme disait Barbara. Et c’est déjà pas mal, quand on bosse sous la pluie, un jeudi après-midi.
“finalement, je suis assez contente”… j’espère que ce n’est qu’un euphémisme 😉
Tu veux dire ces fils de putes ? En lisant ces lignes, c’est Dr Folamour qui m’est apparu en premier en fait.
Rasbaille, comment vais-je expliquer à ma famille que j’ai un petit frère marseillais ? Bon alors maintenant, j’aimerais bien que tu pleures pour voir jusqu’où va ta “franginité” 😉
C’est marrant ce que tu dis, parce qu’effectivement, on trouve parfois des doubles de soi, des gens qui ont les mêmes aspirations, les mêmes envies, et veulent les mêmes ambiances, vivent dans les mêmes perspectives. Je suis persuadé qu’il existe ces doubles. Parfois c’est magique et d’autre fois, on se trompe. Tout dépend de notre capacité à prendre des risques 🙂
Tiens, moi aussi j’aime bien Philosophie magazine… surtout pour la raison que je comprend à peu près tout, fait qui est suffisamment rare pour être signalé.
En même temps Lorran, faut pas lire des trucs qu’on comprend pas hein 😉