L’étrange philosophie du poulet dans le carton à chapeau et autres rêves mystiques

Ce onze juin, il flottait dans l’air un parfum de dilettantisme, un je ne sais quoi de purement foutraque et déjanté. Il est question que je parte en train sur Amiens, je dois y être à neuf heures du matin. A moitié endormi après un week-end au soleil, je me vois refuser l’accès au quai de la gare parce qu’une affreuse bonne femme a décidé de composer son programme télé de la semaine devant le tourniquet. Je commence à maugréer alors que j’ai encore les yeux collés de sommeil et ça ne fait que commencer, parce qu’elle me poursuit jusque dans le train pour Gare du Nord en s’asseyant en face de moi, jambes écartées, toujours son télé Z collé aux lunettes. Ses genoux frôlent les miens et ça a le don de m’agacer, je déteste les contacts physiques, même involontaires, avec des personnes que je ne connais pas. Contrairement aux gens que je côtoie dans le RER, j’ai l’impression de me retrouver ici en compagnie du rebut de l’humanité, une vraie cour des miracles roulante. Les gens sont particulièrement laids et terrassés par la fatigue. J’arrive à Gare du Nord, et il me semble que l’espace d’un instant, j’avais dû oublié que je m’étais réveillé dans une France bleue, une France qui me fait peur et que je n’ai pas choisi. Il fait moche depuis les élections, le temps est atrocement gris et plombé. C’est donc ça que veulent mes compatriotes ? Mon pays me fait peur. Qu’est-il devenu ? Un pays d’individualistes haineux?

Photo © trixrabbit20069

Sur le quai de la Gare, j’aperçois les filles. Florence me saute presque au coup et me fait la bise. Du coup, je fais aussi la bise à Delphine. Pas l’habitude d’embrasser mes collègues de travail, mais je m’y plie facilement. Ah et puis merde hein, on ne va tout de même cracher dans la soupe. En parlant de soupe, une fois la formation du matin terminée, nous sommes allés déjeuner au Carlton. Ouais, rien que ça. M’en fous, j’ai pas payé. L’après-midi s’est déroulée tranquillement, entre deux rots, un de digestion, et l’autre de contentement.

Un peu claqué, un peu naze, je sors de la boîte de jazz, je suis rentré dans la gare et mon attention s’est trouvée attirée par une dame chargée comme un bourricot (à moins que ce ne fût le contraire). Visiblement peu en confiance, elle a réussi à faire tomber sa valise dans les escaliers sur les quatre dernières marches. Un peu plus loin, arrivée devant la porte du train, elle a dû esquisser un freinage mal contrôlé ; sa valise est tombée à nouveau et emportée par le poids des deux sacs qu’elle portait en bandoulière, son corps a basculé en avant, l’emportant sans qu’elle n’ait eu le temps de se retenir. Elle a manqué de tomber entre le train et le quai, si seulement sa tête ne s’était pas écrasée contre la marche en métal du train. Pourtant, c’est écrit partout “Attention à la marche…” Boudiou que ça devait être douloureux, mais désolé, j’ai un train à prendre. Nous nous sommes regardés avec Florence, contenant un rire préhistorique dans nos poitrines, en tentant de ne pas esquisser le moindre sourire malgré nos zygomatiques tressaillants. Dans le train, nous nous sommes retrouvés à côté d’un monsieur ventripotent d’un certain âge qui n’arrêtait pas se marrer en regardant nos voisins jouer à la belote. Au bout d’un moment, arriva ce qui devait arriver ; la bouche grande ouverte, il se mit à ronfler bruyamment, interrompant notre discussion ô combien passionnante.

A Gare du Nord, c’est une fois de plus le boxon. Une grève surprise ? Les trains affichés auraient dû partir une heure plus tôt, alors j’avise le premier quai annonçant Pontoise et je m’engouffre dans un train noir de monde. Pas besoin de se tenir aux barres, nous sommes tellement collés qu’on ne risque pas de tomber. Le type qui se trouve dos à moi avait les omoplates en forme de chaudière et alors que je réussissais à ne pas avoir trop chaud, je pouvais le sentir dégager autant de chaleur qu’un réacteur de Tupolev. Finalement, exaspéré par la promiscuité, je me suis planqué dans les soufflets, vous savez, ces gros soufflets en caoutchouc qui séparent les rames. Je me suis mis là pour attendre que le gros du monde finisse par dégager le passage et finalement, je n’avais pas trop chaud, j’étais même bien, j’avais de l’air. J’essayais simplement de ne pas trop penser au fait que si les deux wagons se désolidarisaient, je risquais de fort de partir en roue libre sur les rails. Vue plongeante sur un cou superbe terminant sa course dans un décolleté discret, mais la fille avait le visage aussi luisant qu’un cornet de frite. Dans les escaliers, il y a un type avec un sac à dos, le genre naturaliste ou entomologiste, et dans son sac dépasse une pousse de plantain, une des pires saloperies du règne végétal, qui pousse n’importe où. Un type transpire comme un glaçon au soleil, il est tout maigre mais il a des mains avec des doigts affreux, gros comme des bites.

Les gens descendent, l’air raréfié commence à revenir, je reviens parmi les vivants et les transpirants. Je pensais qu’il faisait trop chaud dans ce train, mais finalement, il fait encore plus chaud dehors. Finalement, j’étais mieux à l’intérieur, dans mon soufflet.

Quoi qu’il en soit, le vide finit toujours par se faire autour de moi.

2 Replies to “L’étrange philosophie du poulet dans le carton à chapeau et autres rêves mystiques”

  1. la foule et la chaleur, c’est mal.

    mais (attention, minute larmoyante), les vrais amis ne laisseront jamais le vide autour de toi, ils te colleront comme un vieux chewing gum sous la semelle, comme un morceau de scotch sur les doigts, comme une tache de peinture sous les ongles, comme un cheveu sur ton caban – les amitiés, les vraies, sont à la fois fragiles et terriblement solides et même s’il existe plusieurs sortes de vides (dont certains ne sont jamais vraiment comblés), les amis sont là pour te rappeler que, contrairement à la foule compactée dans la chaleur métallique d’un RER, tu ne pues pas…

  2. Ah ben je fais des efforts aussi pour ne pas puer. Déjà, j’ai arrêté d’avoir chaud, ensuite, je me lave beaucoup et j’ai bloqué mon système sudoripare. Et surtout, je ne me colle pas aux gens, parce que les gens, ça pue.

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