Chiloé, terre des baleines et de Coloane

Un jour j’ai voulu revoir la maison où je suis né, au bord de la mer, mais elle avait été emportée par le temps et la dernière colère du Pacifique, lorsque la quasi-totalité de l’archipel de la mer intérieure de Chiloé s’était retrouvée un mètre au-dessous du niveau des eaux. Ce fut l’une des conséquences du tremblement de terre et du raz-de-marée de 1960.
Je n’avais jamais imaginé que ma vie serait à ce point bousculée par autant de voyages et que j’allais devenir avec le temps, et parfois malgré moi,une espèce de globe-trotter. (…) J’avoue que j’aurais bien aimé être un de ces explorateurs qui dressèrent les premières cartes de terres et de mers inconnues. J’ai beaucoup voyagé, trop sans doute, pour découvrir à la fin que les rivages les plus mystérieux restent ceux de mon enfance et de ma jeunesse : Chiloé, la Patagonie, la Terre de Feu, le Cap Horn, l’océan austral.

Photo © oxide_shuriru

Puerto Eden doit probablement son nom à la fabuleuse beauté du site. A l’extrémité du canal de Messier, bordé de hautes murailles grisâtres, le courant enfle comme une veine pressurée et le sombre couloir monumental débouche sur un monde nouveau, primitif, où règne une nature d’une luxuriance grandiose et indomptée. Après l’imposante austérité de la roche, les îles verdoyantes de Puerto Eden offrent le spectacle d’une splendide oasis qui semble récemment surgie des eaux, et où le voyageur s’attend à rencontrer les premiers hommes…
Toutefois, ces îles sont froides, humides, couvertes d’une épaisse et poreuse couche de tourbe millénaire. De ce tapis de mousse et de lichens s’élèvent des forêts de chênes, de canneliers, de cyprès et de lauriers. C’est sur ces rivages, où abondent fruits de mer et poissons, qu’une race ancestrale a trouvé refuge : les Alakaluf.
Nul ne sait d’où vinrent ces hommes. Après avoir traversé les eaux désertes et tourmentées du Pacifique Sud, ils furent probablement les premiers êtres humains qui foulèrent ce paradis protégé par les murailles andines et par la mer. Distincts des autres aborigènes qui peuplent les régions magellanes, ils reçurent des Yaghan de la Terre de Feu l’étrange nom “d’hommes de l’ouest avec des couteaux en coquillage”, ce qui est la signification du mot alakaluf. Puis un jour, l’homme blanc fit son apparition sur ces rivages vierges, introduisant l’alcool et la syphilis, bouleversant l’existence des Alakaluf, qui s’obstinèrent néanmoins à conserver la coutume de trancher le cordon ombilical du nouveau-né avec un coquillage.

Francisco Coloane, Tierra del fuego, 1963

Francisco Coloane

J’ai parcouru de nombreuses mers, et sur toutes sortes d’embarcations, même en canoë avec un Indien yagan depuis l’île Navarino jusqu’à la baie de Yendegaia. Je suis allé aux îles Galapagos, paradis d’importantes espèces animales. J’ai vu quatre cachalots dont les os noirs se détachaient dans la houle qui fendait les flancs du bateau…

Fabienne et moi avons décidé de vous emmener dans un tour du monde virtuel. Vous pouvez suivre les étapes de ce voyage sur Google Maps (c’est magique !)…

Serpents et piercings, Hitomi Kanehara

Tokyo, les bas-quartiers, Shinjuku, voici le décor d’une jeunesse apparemment en perdition. Serpents et piercings, (Hebi ni piasu) est l’oeuvre d’une toute jeune romancière japonaise née en 1983, Hitomi Kanehara, enfant terrible de la scène underground ayant vendu près de deux millions d’exemplaires de son livre écrit en anglais, déjà couronné par le prestigieux prix Ryûnosuke Akutagawa.

shinjukuPhoto © Kaidohmaru’

Serpents et piercings, c’est l’histoire d’un trou, un trou dans la langue, celui que s’est fait Ama, son copain, avant de se la sectionner et d’en faire une langue fourchue. C’est ainsi qu’on fait la découverte d’une toute jeune femme, Lui, qui ne désire plus qu’une seule chose, se faire trouer la langue et avoir elle aussi une langue de serpent. De sa rencontre avec Shiba-san, le tatoueur punk sadique, naîtra l’envie de se faire tatouer un dragon enlacé avec un Ki-Rin. Les trois personnages s’enlacent eux aussi telles les volutes des Malboro Menthol qu’ils fument à longueur de journée et impriment sur Lui leur empreinte. Un trio infernal et pas si désespéré qu’il en a l’air, oiseaux de nuit imbibés d’alcool, de sexe et de mort. Lui s’autodétruit, dit d’elle qu’elle a toute l’intelligence et le sens moral d’une gueunon, tandis qu’Ama ne cesse de veiller sur elle, la couvant comme un oiseau couve sa nichée et cela malgré la désinvolture avec laquelle elle le traîte. Shiba-san, lui voudrait se marier avec Lui, même si au bout du compte, il ne désire qu’une seule chose, qu’elle lui demande de la tuer, certainement pour atteindre la jouissance après laquelle il court désespérément. Derrière l’apparente crasse morbide des punks se cache en fait un monde stérilisé, stérile, duquel ne peut rien naître, pas même un amour et où finalement seuls les secrets et les désirs ont leur place.

Photo © junku-newcleus

Un livre grandiose et sombre, dans la pure lignée d’un Akutagawa inspiré, moins désespéré qu’un Ryū Murakami, et dont toute la superbe tient dans ce style sans entrave, à dix mille lieues de la rudesse japonaise. Oeuvre authentique d’une future prix Nobel de littérature ?

Ratatouille

Hier soir, pour faire plaisir à mon zouzou (et puis à moi aussi), j’ai fait avec lui une partie de Memory, vous savez, ce jeu consistant à faire des paires avec des cartes retournées. Eh bien ce petit salopiaud de quatre ans m’a mis une tôle sévère en raflant toutes les cartes. Une mémoire prodigieuse qu’il a !! Je n’ai en tout et pour tout réussi qu’à apparier deux cartes, et lui le reste. Sincèrement, je commence à m’inquiéter sur mes capacités intellectuelles.

L’étrange philosophie du poulet dans le carton à chapeau et autres rêves mystiques

Ce onze juin, il flottait dans l’air un parfum de dilettantisme, un je ne sais quoi de purement foutraque et déjanté. Il est question que je parte en train sur Amiens, je dois y être à neuf heures du matin. A moitié endormi après un week-end au soleil, je me vois refuser l’accès au quai de la gare parce qu’une affreuse bonne femme a décidé de composer son programme télé de la semaine devant le tourniquet. Je commence à maugréer alors que j’ai encore les yeux collés de sommeil et ça ne fait que commencer, parce qu’elle me poursuit jusque dans le train pour Gare du Nord en s’asseyant en face de moi, jambes écartées, toujours son télé Z collé aux lunettes. Ses genoux frôlent les miens et ça a le don de m’agacer, je déteste les contacts physiques, même involontaires, avec des personnes que je ne connais pas. Contrairement aux gens que je côtoie dans le RER, j’ai l’impression de me retrouver ici en compagnie du rebut de l’humanité, une vraie cour des miracles roulante. Les gens sont particulièrement laids et terrassés par la fatigue. J’arrive à Gare du Nord, et il me semble que l’espace d’un instant, j’avais dû oublié que je m’étais réveillé dans une France bleue, une France qui me fait peur et que je n’ai pas choisi. Il fait moche depuis les élections, le temps est atrocement gris et plombé. C’est donc ça que veulent mes compatriotes ? Mon pays me fait peur. Qu’est-il devenu ? Un pays d’individualistes haineux?

Photo © trixrabbit20069

Sur le quai de la Gare, j’aperçois les filles. Florence me saute presque au coup et me fait la bise. Du coup, je fais aussi la bise à Delphine. Pas l’habitude d’embrasser mes collègues de travail, mais je m’y plie facilement. Ah et puis merde hein, on ne va tout de même cracher dans la soupe. En parlant de soupe, une fois la formation du matin terminée, nous sommes allés déjeuner au Carlton. Ouais, rien que ça. M’en fous, j’ai pas payé. L’après-midi s’est déroulée tranquillement, entre deux rots, un de digestion, et l’autre de contentement.

Un peu claqué, un peu naze, je sors de la boîte de jazz, je suis rentré dans la gare et mon attention s’est trouvée attirée par une dame chargée comme un bourricot (à moins que ce ne fût le contraire). Visiblement peu en confiance, elle a réussi à faire tomber sa valise dans les escaliers sur les quatre dernières marches. Un peu plus loin, arrivée devant la porte du train, elle a dû esquisser un freinage mal contrôlé ; sa valise est tombée à nouveau et emportée par le poids des deux sacs qu’elle portait en bandoulière, son corps a basculé en avant, l’emportant sans qu’elle n’ait eu le temps de se retenir. Elle a manqué de tomber entre le train et le quai, si seulement sa tête ne s’était pas écrasée contre la marche en métal du train. Pourtant, c’est écrit partout “Attention à la marche…” Boudiou que ça devait être douloureux, mais désolé, j’ai un train à prendre. Nous nous sommes regardés avec Florence, contenant un rire préhistorique dans nos poitrines, en tentant de ne pas esquisser le moindre sourire malgré nos zygomatiques tressaillants. Dans le train, nous nous sommes retrouvés à côté d’un monsieur ventripotent d’un certain âge qui n’arrêtait pas se marrer en regardant nos voisins jouer à la belote. Au bout d’un moment, arriva ce qui devait arriver ; la bouche grande ouverte, il se mit à ronfler bruyamment, interrompant notre discussion ô combien passionnante.

A Gare du Nord, c’est une fois de plus le boxon. Une grève surprise ? Les trains affichés auraient dû partir une heure plus tôt, alors j’avise le premier quai annonçant Pontoise et je m’engouffre dans un train noir de monde. Pas besoin de se tenir aux barres, nous sommes tellement collés qu’on ne risque pas de tomber. Le type qui se trouve dos à moi avait les omoplates en forme de chaudière et alors que je réussissais à ne pas avoir trop chaud, je pouvais le sentir dégager autant de chaleur qu’un réacteur de Tupolev. Finalement, exaspéré par la promiscuité, je me suis planqué dans les soufflets, vous savez, ces gros soufflets en caoutchouc qui séparent les rames. Je me suis mis là pour attendre que le gros du monde finisse par dégager le passage et finalement, je n’avais pas trop chaud, j’étais même bien, j’avais de l’air. J’essayais simplement de ne pas trop penser au fait que si les deux wagons se désolidarisaient, je risquais de fort de partir en roue libre sur les rails. Vue plongeante sur un cou superbe terminant sa course dans un décolleté discret, mais la fille avait le visage aussi luisant qu’un cornet de frite. Dans les escaliers, il y a un type avec un sac à dos, le genre naturaliste ou entomologiste, et dans son sac dépasse une pousse de plantain, une des pires saloperies du règne végétal, qui pousse n’importe où. Un type transpire comme un glaçon au soleil, il est tout maigre mais il a des mains avec des doigts affreux, gros comme des bites.

Les gens descendent, l’air raréfié commence à revenir, je reviens parmi les vivants et les transpirants. Je pensais qu’il faisait trop chaud dans ce train, mais finalement, il fait encore plus chaud dehors. Finalement, j’étais mieux à l’intérieur, dans mon soufflet.

Quoi qu’il en soit, le vide finit toujours par se faire autour de moi.

Candirú

candiru

Non, ce qui hantait obstinément les rêves de mes nuits agitées, c’était le poisson cure-dent, ou candirou, minuscule silure vivant en parasite dans les branchies et l’intestin terminal des gros poissons.
A Borneo, lors de mes séjours dans les longues maisons, j’avais appris que la bienséance commande d’aller à la rivière au petit matin. Là, quand les poissons viennent vous renifler la pantalon pour vous inviter à le baisser et à leur prodiguer leur petit déjeuner, vous savez que vous barbotez bien dans le périmètre d’eau boueuse assigné par convention tacite aux exigences du corps. Tandis qu’en Amazonie, à supposer que vous ayez de quoi boire à gogo et que par inadvertance vous uriniez en nageant, le premier candirou en mal de logis, attiré par l’odeur, vous prendra pour un gros poisson et remontera dare-dare le courant d’acide urique que vous laissez derrière vous pour se faufiler dans votre urètre comme un ver en sa galerie, et là, déployant les opercules de ses branchies, il vous sortira toute une batterie de dards recourbés. Plus rien à faire. La douleur, paraît-il, est inimaginable. Il faut vous faire hospitaliser avant que votre vessie n’éclate… et vous résigner à vous faire couper le pénis par un chirurgien.

Redmond O’Hanlon, Help

Un petit théâtre de marionnettes

Samedi, c’était jour de fête. Pour mon fils, première kermesse, première invitation pour un anniversaire – chez une fille !! -, premières fois tendres et joyeuses, toute une semaine ressassées en demandant à l’envi combien de dodos il reste… A l’école le matin, pas de coup de main, l’effervescence, la joie et les rires, des enfants surexcités qui courent dans tous les sens et comme rarement, les parents, les mères et les pères, grand-pères et grand-mères, amis, oncles et tantes et toute la famille si possible, ou alors en comité restreint, appareils photos et caméscopes de prix en bandoulière, la bonne occasion pour faire étalage de ses richesses ou de son expertise en matière d’image, c’est selon si l’on a encore quelque chose à prouver. Continue reading “Un petit théâtre de marionnettes”

Il pleut moins sur le trottoir d'en face

Dix-huit heures et quelques, je sors du boulot, légèrement grisé par une onde étrange, pétrie de mots retenus et de propositions avantageuses. Le temps vire au gris ventre de souris, l’air se charge d’humidité champêtre, je file jusqu’à la bouche de métro où les files d’attente serpentent dans les couloirs en cette veille de renouvellement de carte orange (au fait, lisez bien les écrans, la carte orange va bientôt disparaître au profit de Navigo, chouette non?). J’ai le nez plongé dans mon bouquin et je continue de marcher sur le quai du RER jusqu’au pilier qui me retient tous les jours, un bon gros pilier en béton bien froid couvert d’une peinture couleur pisse délayée. Il me semble que c’est Mylène Farmer qui pousse sa complainte dans les hauts-parleurs de la station, mais à ce moment là, je suis partagé entre Chimo qui m’apprend comment se prémunir des jaguars dans la forêt amazonienne et un bilan partiel et exhaustif d’une journée de travail.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Tom%20Waits%20-%20Wrong%20Side%20Of%20The%20Road.mp3]

Dans le train, je m’assois là où il y a de la place, en l’occurrence, face à une quinquagénaire absorbée par la lecture passionnante de son programme de télévision et une femme charmante, a priori jeune, portant des jeans que ma soeur trouverait trop fleuris et un blouson de cuir rouge dont la forte odeur de tanin m’arrive en plein dans les narines. Les lunettes Dolce et Gabana sur la tête et son chemisier largement ouvert sur une poitrine rebondie et hâlée finissent de me convaincre qu’elle n’est finalement pas si jeune que ça. Il y a des signes qui trahissent l’état d’esprit et l’âge dans certaines catégories de population.

En sortant du train, la pluie tombe drue et malgré mes efforts pour passer entre les gouttes, je me retrouve trempé en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. C’est alors que je tente un subterfuge à l’attention de l’eau du ciel. Je regarde la direction du vent et je m’aperçois que si je prends le trottoir de droite, je peux être protégé par les murs des propriétés qui longent la rue Chanzy, mais la rue Chanzy a une fin et je dois encore faire la moitié du trajet exposé en plein vent, pleine pluie. Je ne porte qu’un ticheurte et un pull et très vite, je sens que je vais être imbibé de tous les côtés, la face nord et le pic d’Aneto. L’eau ruisselle sur ma tête, faisant fi des cheveux coupés courts, s’immisçant avec perversité sur mon crâne comme une toile d’araignée et finit par goutter jusque sur mon nez, comme si un rhume sournois était en train de me narguer. Je tente de changer de trottoir, mais sur celui de gauche, il pleut beaucoup plus fort, c’est certain, alors je reste sur celui de droite, protégé du vent. C’est certain, il pleut moins sur ce trottoir.

trottoirPhoto © g@rota

Son of Dave

Son of Dave

Son of Dave, c’est un phénomène. Né Benjamin Darvil, c’est un ancien musicien des Crash Test Dummies vêtu d’un costume croisé gris et d’un Stetson made in Chicago, un grand escogriffe dégingandé tout droit sorti des années 50. C’est une voix rauque, une human beatbox, un rack d’effets, un sampler, un harmonica et un sacré coup de jeune pour un blues gai et rythmé. Il en ressort une musique endiablée, habitée par un dieu antique du bayou, à la fois vieux comme le monde et modernisé à l’extrême. Seul sur scène, il enregistre en temps réel sa prestation pour créer une ligne rythmique modifiable à volonté, enchaine les boucles, crache dans le micro, ahane comme une bête de somme. Gros coup de coeur pour cette musique renouvelée, mariage profond entre une musique rustique et une technologie parfaitement maîtrisée, attention à ne pas vous laisser entraîner par vos pieds. En images ou sur MyspaceContinue reading “Son of Dave”

A growing book

Trouvé chez Thomas, le petit livre vert de Monsieur Zhang est une invention merveilleuse.

Quand vous ne lisez pas, le livre se transforme en lampe grâce à 8 petites LEDs fixées à la base des plantes qui créeront ainsi un jeu de lumières avec les formes des végétaux que vous aurez choisis. La grille destinée aux plantations étant divisée sous le schéma des pixels, vous pouvez également faire pousser des germes pour créer un petit message personnalisé et vous pourrez prendre note de vos impressions au cours de l’expérience sur des espaces créés à cet effet dans le livre.

A growing book