Voilà. C’est une époque révolue. A Monterey, 17 juin 1967.
Quand je l’écoute, je me dis que personne ne fera jamais rien comme elle…
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Un pull-over rose moulant à col roulé, elle lit une BD ; seins ronds parfaitement soulignés. Seulement des phylactères autour d’elle.
Pantalon gris à fines rayures, des cheveux poivre et sel, un blouson gris qui semble tout droit sorti de l’armée russe pendant la guerre de Crimée.
Chemise noire et cravate rouge, petite moustache bien taillée, trois-quart noir en feutre, il porte avec sa cinquantaine le clinquant du pégriot, ou du maquereau.
Montures de lunettes épaisses, un manteau de velours doublé en fourrure, il semble retranscrire sur son cahier des notes enregistrées sur un lecteur portable.
Assise à côté de moi, une peau mate délicieuse et uniforme, toute de blanc vêtue, odeur sucrée de miel, insupportable et dérangeante.
Jeune fille brune aux cheveux bouclés, visage fin d’ange à la peau blanche, balance la tête en écoutant de la musique. Personne autour, du moins le croit-elle.
Une autre, blonde grande et fine, même attitude, même solitude. Personne autour, du moins le croit-elle. Son image dans la vitre lorsque le métro file à toute vitesse dans les tunnels sombres.
Rue Louis Rouquier, au 15, un immeuble datant de 1891, très fin, avec un encorbellement métallique peint en vert métropolitain finement sculpté, et derrière des stores de marine, un buste tournant le dos à la fenêtre. Au 39, un étrange immeuble mêlant art déco et gothique flamboyant ; au rez-de-chaussée, un studio d’enregistrement.
Un boucher porte cape blanche à capuche.
J’ai beaucoup écrit aujourd’hui. Rempli de sensations intenses, d’images qui m’étranglent de satisfaction, de souvenirs obscènes de ces visions diurnes et harassantes.
Le métro entre dans la station – crissements interminables des freins sur les roues métalliques – le premier wagon de la rame dépasse, il est arrêté et plus un bruit dans la station, silence de mort. Deux petits phares jaunes en guise d’unique signe de vie. Le conducteur ne bouge pas d’un poil derrière sa vitre fumée.
Un baiser interminable et langoureux dont le flux est coupé par les portes qui se ferment, un au-revoir, le train qui part, il court le long du quai pour la suivre du regard et tendre une main fébrile. Un vieux cliché mais qui fonctionne toujours.
Laurent est à Montréal. Moi je reste là.
Nouveaux produits, nouveaux comportements et nouvelles habitudes. Depuis l’arrivée des journaux gratuits, les sièges vides dans les trains et les métros sont truffés de ces feuilles de choux abandonnées, mais ça ne ressemble pas à de la négligence, plutôt à un passage de relais.
Le Siège Social de l’Alliance des Travailleurs a été réhabilité. Rue Anatole France. Jolie seconde vie. Mais elle abritera certainement des bureaux très chics. Anecdotique.
Deux fois aujourd’hui, je me suis montré d’une galanterie soignée, distinguée et discrète, sans ostentation. J’ai reçu en retour deux grands sourires tendres.
Trouvé un jeu très très drôle. J’achète un journal quotidien, Libération, et je le pose sur mon bureau dans la journée. Je lis les nouvelles fraîches deux semaines après.
J’ai failli me faire renverser par une conne qui préférait regarder les maisons du quartier plutôt que de regarder sa route. Elle a ralenti alors j’ai cru qu’elle voulait me laisser passer, mais elle a redémarré tandis que j’étais au milieu de la rue. L’espace d’un instant, je me suis vu mort, propulsé sur le capot, démembré, ou pire, les deux genoux brisés.
Suite des notes réalistes.