A growing book

Trouvé chez Thomas, le petit livre vert de Monsieur Zhang est une invention merveilleuse.

Quand vous ne lisez pas, le livre se transforme en lampe grâce à 8 petites LEDs fixées à la base des plantes qui créeront ainsi un jeu de lumières avec les formes des végétaux que vous aurez choisis. La grille destinée aux plantations étant divisée sous le schéma des pixels, vous pouvez également faire pousser des germes pour créer un petit message personnalisé et vous pourrez prendre note de vos impressions au cours de l’expérience sur des espaces créés à cet effet dans le livre.

A growing book

Shin'yuu

親友

Il était assis l’autre bout de la rame de métro, ce midi tandis que je me rendais au travail, les jambes écartées et les mains tellement serrées l’une contre l’autre que les jointures de ses doigts blanchissaient. Une ombre du passé, un souvenir soudain qui remonte à la surface, un visage familier – je pense que j’ai penché légèrement la tête et froncé les sourcils pour fixer son visage et tenter de mettre un nom sur ces traits rudes, ce nez profilé comme un couteau, ces lèvres fines, de tout petits yeux sombres (verts en fait) profondément enfoncés dans leurs orbites – son crâne rasé – son crâne rasé ? Oui. Rasé. L’air était étouffant. Je suis certain que c’était lui. Christophe.

Lorsque j’étais à la fac, je me suis assis à côté de ce grand type aux cheveux frisés, à la peau luisante lorsque je regardais son profil à la lumière, il transpirait – il faisait chaud dans cette petite salle où nous étions entassés pour écouter les cours passionnants de Jacob Rogozinski – Heidegger, les idiotismes, l’ἀ–λήθεια et les Holzwege. Je me souviendrai toujours de cette tenue qu’il portait ce jour-là – une classe incroyable – de belles chaussures bien cirées, un pantalon cigarette à fines rayures repassé, avec un pli, une chemise blanche impeccable et une veste imperméable à col droit anthracite – autant dire qu’il détonnait un peu dans les couloirs de Saint-Denis – même moi, j’avais l’air d’un paysan à ses côtés.

Nous nous sommes tout de suite plus et le cours à peine terminé, nous sommes allés boire un verre dans un bar du centre. Il ne buvait pas car il avait des problèmes avec l’alcool, il devenait très vite agressif. Nous avons beaucoup parlé – il agitait ses grandes mains en parlant et son visage prenait des expressions démesurées – il me parlait de Jacques Poulain, de Boris Pasternak, mais il avait du mal à saisir les cours d’Alain Badiou. Christophe, l’étudiant sans bac qui avait accédé à la fac avec son expérience professionnelle. Souvent le soir après les cours, nous prenions un verre ensemble et nous parlions toujours énormément, je prenais des notes pour ne pas oublier le flot de nos paroles, je notais tout ça sur mon cahier de cours comme si ce n’était que la continuité des études. Christophe, un garçon fascinant, d’une intelligence rare et fine, somptueuse, il était beau et drôle, nous passions notre temps à faire des joutes verbales et à rire de nos jeux de mots idiots et quatrième degré, à regarder en silence les filles passer et je le voyais gratter son menton toujours mal rasé qui produisait ce bruit caractéristique de poils de barbe – nous étions bien tous les deux – on faisait très intellectuels décadents et nonchalants.

Oui il était beau et doux, Christophe – et puis un jour, je ne l’ai plus revu – il avait disparu – à moins que ce ne fût moi – nous nous sommes perdus de vus – plus rien – du jour au lendemain. Et puis il se trouvait là, devant moi mais un je ne sais quoi de dérangeant. Il avait le crâne rasé, sa peau avait une couleur mate mais il semblait incroyablement nerveux, toujours très bien habillé, mais foncièrement nerveux, agité de soubresauts malsains. Je pense qu’il ma vu et qu’il m’a reconnu. Nous avons plongé notre regard dans celui de l’autre, mais j’ai fini par baisser les yeux, comme accablé par toutes ces années d’absence, loin l’un de l’autre, où nous avons manqué tant de choses ensemble et que nous ne pourrons plus rattraper. J’ai réprimé un sanglot et mes yeux se sont recouverts d’un voile humide.

Je ne l’ai plus regardé. Un dernier regard, juste ce dernier regard lorsque je suis descendu du métro – lui continuait son chemin – nous nous sommes quittés comme ça sans rien – c’était peut-être mieux comme ça – je ne sais pas – il me manque – j’aurais aimé vivre encore tellement de choses avec lui.

Avec vue sur l'amer

Il y avait un peu de monde dans les rues. Je n’ai plus rien écouté, je me suis fermé comme une huître et les autres parlaient – parlaient sans arrêt – rien ne passait – on a dû me parler d’un anniversaire, mais je n’ai pas écouté, je n’aime pas écouter les sinistres conversations qui s’épuisent dans les ténèbres – les mots qui ne s’inscrivent nulle part – qui flottent dans l’Ukiyo-e pour finalement ne jamais redescendre. Il faisait très chaud, certainement, je crois me souvenir, mais surtout il faisait nuit. A Paris – une rue perpendiculaire à la Seine et qui part de l’île Saint-Louis – des boutiques luxueuses mais éteintes à l’intérieur desquelles on a parfois l’impression de voir des ombres flottantes – signes de vies imaginaires où l’on voit tout en noir et blanc – résidus d’activités de journées bruyantes lorsque les vêtements collent sur la peau comme – comme je ne sais pas – des gens dont on aimerait bien partager la vie ne serait-ce que quelques instants – ou toute une vie…

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/TM%20Juke%20-%20Just%20For%20A%20Day%20(Sunday).mp3]

Café de l'AtelierCafé de l’Atelier, rue d’Orsel

J’étais assis à la terrasse d’un café. Il faisait vraiment très chaud – dans cette nuit parisienne et bruyante – des fanatiques quelconques devaient crier pour je ne sais quelle raison – je m’en fous – et… le temps s’étire comme dans ces moments où l’on est plongé dans un livre – tout à coup – plus rien n’existe autour et on est plongé dans une dimension sans dimension – le temps de l’horloge s’arrête et un autre prend sa place…

Théâtre de l'AtelierThéâtre de l’Atelier, rue d’Orsel

Je me sens bien – j’ai mal – je ne sais pas – où est-elle ? Qui… Combien de temps ? Impossible à dire – des années et des lumières – un poème en forme de grâce – les yeux grands fermés – des mots qui s’entrechoquent – je suis saoul ? Non pas encore – attends encore un peu – il faut que je bouge… Comment ça ? Oui il faut que je me remue, je ne peux pas rester là comme ça sans bouger mes jambes commencent à fourmiller mon corps s’emballe j’ai chaud je suis excité je bouge dans tous les sens je me sens agité et perclus de micro-douleurs enfantines bègues stridentes et surannées pour me soigner je pense à autre chose bon Dieu je suis excité c’est quoi comment ça tu ne le sais pas ? Si bien sur je sais ce que c’est… Grand impatient va ! – oui – et alors – je ne suis pas là – je ne suis plus là… tu ne m’as pas appelé – je ne t’ai pas entendu – tu ne m’as pas attendu – ta voix !! Où es-tu…

Tu as filé.

Et je suis là… un peu triste… mauvaise journée – non, c’est pas ça – mais c’est un tout – l’impression que rien ne changera – je ne sais pas – je suis fatigué là et je n’ai pas envie de penser.

Il y avait un peu de monde dans les rues. Il faisait vraiment chaud. J’étais assis à la terrasse d’un café.

Meditatio ab nihilo

Première méditation

Deux quais de métro, les gens se font face. On dirait deux armées prêtes à se jeter l’une sur l’autre. Des visages haineux, des peaux de bêtes sur le corps, d’étranges armes et boucliers à leur côté. Ils se toisent.
Dehors, il fait froid, un vent pas possible, le soleil à l’est, tout est normal, engoncé dans mon caban, j’ai les yeux dans le vague et je me surprends à ne penser à rien.

– Bonjour Romuald, tu as l’air bien pensif…
– …

Seconde méditation

En lisant tous les mots qui passent à proximité, je me rends compte que j’ai cette prodigieuse capacité de tout absorber, tandis que parfois je ne comprends même pas ce que je lis. J’arrive même souvent à comprendre l’exact contraire. Ma perception est faussée, je le sais, depuis longtemps. Vie en décalé.

– Romuald ? Tu comprends ce que je te dis ?
– …

Troisième méditation

Y a-t-il quelqu’un ? Je me sens seul, impression de soliloque. Les mots se perdent dans le vent et je ne garde entre les doigts que des grains de sable… des morceaux de présent et d’avenir sans vie me filent entre les doigts. Comme la marée qui recouvre le sable et ne laisse plus rien des traces qu’on y a laissé.

– Romuald, je te sens bien solitaire…
– …

Quatrième méditation

Le silence est affaire de mesure. Lorsque le bruit devient trop présent, on n’aspire qu’au calme, mais lorsque le silence prend le pas, ça devient tout de suite assourdissant. La calme absolu est désespérant. Je n’arrive jamais au juste équilibre.

– Romuald, dis quelque chose, je t’en prie…
– …

Cinquième méditation

Il fait noir ici. Nuit noire terrifiante et asphyxiante. Plein de ténèbres lourdes et moites. La moindre petite lumière ne pénètre pas. Il n’y a pas d’interstice. Pourtant, c’est un peu mon élément, un environnement familier, un berceau nourricier. Je m’y sens bien uniquement parce que j’y suis habitué.

– Romuald, allume la lumière…
– …

Sixième méditation

Une chose m’a été apprise par la vie. On n’obtient que très rarement ce qu’on veut, même en sacrifiant beaucoup de choses. C’est certainement une loi universelle et je ne sais pas si j’y échapperais.

– Romuald, tu as l’air triste…
– …

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Un 30 mars

Certaines journées sont comme ça – ça grippe dès le départ – ça accroche – le ciel qui se couvre – la voiture qui ne veut pas démarrer (ça m’apprendra, tiens) – des mots désagréables – de longues minutes sous la flotte, les gouttes qui ruisselent sur le manteau, les yeux qui se ferment et j’ai envie crier un gros BORDEL DE MERDE !!! – nostalgie de l’enfance tout à coup – et puis je me radoucis – l’avenir s’assombrit ? Non…

Ma mémoire s’efface – les yeux brûlent – envie de me recroqueviller – ça recommence – par vagues successives, le doux ressac de la marée finit toujours par laisser l’estran à sec, puant et mortifère – je ne m’en sors pas – mauvaises nouvelles, les lumières s’éteignent les unes après les autres, les étoiles du ciel disparaissent – il fait nuit noire – il temps de fermer ces paupières lourdes – demain, tout sera mieux – ou alors lundi – ou alors dans dix ans – ou alors pas du tout.

Un 21 mars

En sortant du boulot, je passe devant le café d’en face. Il y fait sombre. Seules quelques lumières sont allumées, des appliques en verre dépoli fichées aux murs. Sur les tables, de jolis petits photophores ouvragés diffusent une lumière fantômatique sur les visages de deux filles attablées, devisant avec passion autour d’un verre haut rempli d’un liquide transparent, une rondelle de citron vert comme posée en équilibre sur le rebord. Il fait froid, le vent souffle fort et me fait pleurer. Je me sens envahi par une vague de tristesse en les regardant, sans vraiment savoir pourquoi.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Astrud_Gilberto_The_Gentle_Rain%20.mp3]

J’imagine simplement qu’elles doivent être amies et qu’elles se racontent des choses qui ne passionnent qu’elles, mais c’est le principe de l’amitié non ? Etrangement, je ne peux pas regarder leur visage – leurs contours m’échappent – je ne les vois pas vraiment – elles sont comme transparentes – de simples ombres au coeur chaud qui s’animent au son de la discussion… Moi aussi j’aurais aimé m’assoir sur un de ces tabourets hauts plantés au pied du comptoir, avec un ami – une amie – discuter – boire un verre – ou sans rien dire – penser tout haut – sentir du regard et boire encore – sentir l’ivresse monter et se dire qu’on ne va pas rentrer tout de suite – non il fait froid dehors et puis je n’ai pas faim – l’alcool brûle l’estomac – non allez, viens, on ne rentre pas, je ne suis pas fatigué – S’il vous plaît, nous allons fermer – Non attendez, on finit notre verre… Juste une minute – Tu disais quoi ? – Bon allez viens, on va trouver un autre café – j’ai envie de boire un dernier verre – je ne t’ai pas dit ? Il faut que je te raconte ça – derrière les rideaux rouge – pour éviter les courants d’air – assieds-toi – un autre whisky – j’ai mal au crâne – je vais rentrer me coucher – déjà – il fait froid dehors. Il n’y a plus personne dans les rues – ils sont tous rentrés chez eux – et alors ? qu’est-ce que vous vous êtes dit ? – Rien on est rentrés chez nous sans un regard – Il fait froid non ? J’ai les mains douces, mais avec ce froid elles ont tendance à devenir sèches… Regarde – touche – elles sont douces n’est-ce pas ? Le temps passe vite quand on discute comme ça, tu ne trouves pas ? Je ne t’ai pas dit au fait ? – Nous allons fermer, merci – de rien – on y va ? Non attends je n’ai pas envie de rentrer – J’ai envie de boire encore, je ne vois plus mon verre – je ne me sens pas bien – tu peux m’appeler un taxi s’il te plait ? – Allez viens. Non merci. Il est encore tôt, je dois rentrer chez moi. Les lumières se sont tues, les flammèches sont mortes, il fait nuit noire.
Et vous avez parlé de quoi sinon ? De rien, je suis rentré directement, j’étais fatigué. Et puis je ne sais pas, je me sentais las, je n’avais pas envie de parler.
Tu as vu ? Je me suis rasé…

Ruud Van Empel

Ruud Van Empel utilise le cibachrome, un procédé positif-positif qui permet de faire des tirages à partir de diapositives (oui, je sais, ça fait presque partie d’une autre époque) et son oeuvre photographique a pour le coup une texture et une lumière, un traitement de l’image qui ne peut que faire penser aux tableaux du Douanier Rousseau*. Une oeuvre chatoyante et joyeuse…

Ruud Van Empel

*Le premier qui chante la Compagnie Créole, c’est deux claques…

Le bibliomane, Charles Nodier

Vous avez tous connu ce bon Théodore, sur la tombe duquel je viens jeter des fleurs, en priant le ciel que la terre lui soit légère. Ces deux lambeaux de phrase, qui sont aussi de votre connaissance, vous annoncent assez que je me propose de lui consacrer quelques pages de notice nécrologique ou d’oraison funèbre. Il y a vingt ans que Théodore s’était retiré du monde pour travailler ou pour ne rien faire : lequel des deux, c’était un grand secret. Il songeait, et l’on ne savait à quoi il songeait. Il passait sa vie au milieu des livres, et ne s’occupait que de livres, ce qui avait donné lieu à quelques-uns de penser qu’il composait un livre qui rendrait tous les livres inutiles ; mais ils se trompaient évidemment. Théodore avait tiré trop bon parti de ses études pour ignorer que ce livre est fait il y a trois cents ans. C’est le treizième chapitre du livre premier de Rabelais. Théodore ne parlait plus, ne riait plus, ne jouait plus, ne mangeait plus, n’allait plus ni au bal, ni à la comédie. Les femmes qu’il avait aimées dans sa jeunesse n’attiraient plus ses regards, ou tout au plus il ne les regardait qu’au pied ; et quand une chaussure élégante de quelque brillante couleur avait frappé son attention : « Hélas ! disait-il en tirant un gémissement profond de sa poitrine, voilà bien du maroquin perdu ! » Il avait autrefois sacrifié à la mode : les mémoires du temps nous apprennent qu’il est le premier qui ait noué la cravate à gauche, malgré l’autorité de Garat qui la nouait à droite, et en dépit du vulgaire qui s’obstine encore aujourd’hui à la nouer au milieu. Théodore ne se souciait plus de la mode. Il n’a eu pendant vingt ans qu’une dispute avec son tailleur : Continue reading “Le bibliomane, Charles Nodier”

Pulse

Loin d’être calme, je vis chaque moment à toute vitesse, la tête en ébullition… Je n’arrive pas à me concentrer, je carbure au café quinze heures par jour, je commence à m’organiser dans tous les sens, je classe mes affaires, je repère où chaque chose se trouve et je me construis des espaces de rangement strictement virtuels.

En fait, je lis beaucoup de choses, à droite et à gauche, je fais ce qu’il ne faut pas faire, je compare mon écriture à ce qu’ont fait les autres avant moi. Je suis seul dans ce que je fais, je n’ai personne pour me seconder, pas de secrétaire, pas de nègre, je suis tout seul avec mon clavier, mes carnets et mes stylos… Je me rends compte au fur et à mesure que je trouve moi-même les réponses à mes questions sur le fait d’écrire en lisant et relisant ce que j’ai fait dans chacun de mes univers. J’y vois des imbrications, un immense jeu de lego qui se met en place. Et j’adore ça, je suis incroyablement excité (je sais, c’est un peu tout le temps) et je commence à avoir de l’espoir. J’entrevois clairement la possibilité d’écrire plus, mieux, de manière quasiment militaire, et je le fais.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/02%20-%20Before%20You%20Leave.mp3]

Tu sens les pulsations ? Tu sens comme ça bouge ? Hmmm… Je ne compte plus les fois où je me suis lamenté sur ma paresse et mon manque de volonté, mais tout ça semble être du passé, depuis quelques temps déjà. Je me sens comme un adolescent au purgatoire… Mêmes émois… Aujourd’hui, il est temps de se mettre en route, à l’ancienne, comme au temps où l’on partait sur les routes désertiques avec une grande bagnole avec une seule banquette à l’avant… Un parfum de désert, une traversée des grands espaces que je ne pensais plus possible…

C’est certain qu’Amiens n’est pas le désert, quoique c’est une ville en plein milieu des champs. J’aime me lancer sur cette autoroute A16, alors que le soir est tombé, que le brouillard fin enveloppe la campagne. La vitesse est grisante, il n’y a pas grand monde; je colle mes mains sur le volant, je m’enfonce dans mon siège et j’écrase le champignon pour faire des accélérations spectaculaires qui ne font rire que moi. Le moment de folie passé, je roule tranquillement en regardant l’horizon, en m’imaginant au volant d’une Chevrolet Impala sillonnant le routes de l’Iowa, mais bien vite, je vois des champs de betteraves à perte de vue et je suis au volant d’une 206 qui sent encore l’usine.

Et c’est soudain; c’est le drame. J’ai dû pêcher dans une autre vie, faire beaucoup de mal à des gens très bien, tuer des animaux. Bref, mauvais karma.

Je n’ai même pas parlé des livres que j’ai lu ces derniers temps, ce documentaire bouleversant de John Hersey sur Hiroshima, ce livre divertissant et parfois rude d’Augusten Burroughs, Courir avec des ciseaux, et tous ceux que j’ai entâmé ou entassé sur la tablette qui me sert de table de chevet. J’avais envie de passer à autre chose. Tout à coup, Kerouac, Bukowski, les auteurs japonais, John Fante, mes livres d’architecture, Henry Miller (c’est très californien tout ça), tous ceux qui m’accompagnent d’ordinaire m’ont paru dramatique, trop peu en phase avec la légèreté dont j’avais besoin ces derniers temps. Alors j’ai fait quelque chose que je ne croyais plus possible depuis bien longtemps; lire une oeuvre du XVIIè siècle d’un ecclésiastique britannique. Présentées comme ça, les choses manquent de piquant, c’est certain. J’avais essayé de me plonger dans une matinée d’amour pur de Yukio Mishima (ce nom résonne avec une certaine poésie à mes oreilles, plus que son vrai nom, Kimitake Hiraoka), mais les nouvelles m’ennuient pour le moment. C’est donc avec une certaine joie que je me suis permis de reprendre une lecture qui devait dater d’au moins sept ou huit ans : The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman de Laurence Sterne, volume 1. C’est un texte étonnant, mais j’en ai encore lu trop peu pour pouvoir disserter dessus. La moitié du livre est consacré aux notes de Guy Jouvet, traducteur génialissime qui a su respecter les caprices typographiques de l’auteur. J’aime ces livres savants qui digressent à l’infini et finissent par nous emporter dans un labyrinthe sans fin de connaissances, un peu à la manière des écrits conjoints de Gilles Deleuze et Felix Guattari. Par exemple, j’ai appris hier soir qu’il existait, selon Ambroise Paré, trois niveaux corporels des esprits, mais évidemment, l’intérêt universel de la chose sur ce blog reste somme toute assez limité. Cette lecture est incroyable, impertinente, drôle, terriblement érudite, annotée de citations de Montaigne, La Bruyère et dirigée par les opinions mêmes du traducteur / commentateur.

Il faudrait aussi se replonger dans un livre que j’ai dévoré autrefois pendant mes études, Principes fondamentaux de l’histoire de l’art : Le problème de l’évolution du style dans l’art moderne de Heinrich Wölfflin. Alors oui, ça parait pédant de placer ça dans une conversation entre le fromage et le dessert, ou alors (et attention, c’est du vécu) au square en rencontrant un couple autrefois ami, poussette et chien en laisse à la clef (Elle dit: je suis désolée, je ne vous invite pas à manger en ce moment, on est plein dans les cartons. Ce que à quoi j’ai répondu intérieurement: “Merci de tout coeur !” Elle reprend: “Mais on peut toujours aller se faire une balade au parc ?” et moi de penser “C’est ça ouais, compte là-dessus, plutôt crever d’une chaude-pisse”), mais au bout du compte, ce livre est très facile à lire et apprend les différences fondamentales entre le style classique et le baroque, dans la courte évolution qui a fait basculer l’un dans l’autre. Non ? Toujours pas convaincu ? Alors on y comprend mieux comment Titien (Bon dieu, il s’appelle Tiziano Vecceli non ? On ne peut pas lui foutre la paix en l’appelant par son vrai nom ?) a révolutionné l’art en son temps. Je n’essaie pas de vous convaincre, je parle en l’air, c’est tout. Et puis lisez aussi Elie Faure et Ernst Gombrich, ça ne peut que faire du bien…

Euh… J’ai parlé du livre de Régis Debray (pauvre homme affublé d’un prénom aussi ridicule, que Dieu pardonne ses parents) Vie et mort de l’¢image. Une histoire du regard en Occident ? Non alors j’en touche deux mots. Ce livre est en fait sa thèse de doctorat, dirigée par François Dagognet, celui-là même qui a fait sa carrière sur les détritus et les sécrétions corporelles (comprenne qui pourra). Et… c’est tout. On ne badine pas avec les grandes oeuvres – avec l’amour non plus.

J’aurais aimé… être… architecte. J’aurais pu si j’avais travaillé.
J’aurais aimé… être… journaliste. Je n’ai jamais essayé.
Et si finalement je devenais écrivain? (dis-je en pouffant).

Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui tourmentent les hommes, mais les opinions qu’ils forment sur les choses.
Epictète, Encheiridion

J’ai une mémoire prodigieuse pour certaines choses, c’est déjà ça non ? Comme chacune des notes de la Marche Funèbre pour la Reine Mary, d’Henry Purcell… – je suis incapable de me souvenir de ce que j’ai fait hier, mais la partition, ça oui, c’est comme si elle était imprimée sur ma rétine – Montez le son, et je vous demande un peu de recueillement pour cette pauvre Mary qui repose par six pieds sous la terre d’Albion – on parle bien de la Reine d’Angleterre, pas du RMS, le paquebot, on est d’accord ?

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Purcell.mp3]

Queen Mary

Comme pour faire contraste avec le superbe portrait de Mary, je pense tout à coup à la grossièreté, dans ce qu’elle a de plus global. A ces mots que je prononce parfois au grand désespoir des gens que je côtoie, à ces textes que je me refuse de censurer parce qu’ils sont ce qu’ils doivent être au moment où je les écris, à toutes ces choses que la morale réprouve. Il me semble qu’on peut tout à fait se gratter les couilles en public, le tout étant de le faire avec élégance. La grossièreté ne trouve de sens que si elle est accompagné de son corrélaire, l’élégance. En disant cela, je pense à la dernière publicité Chanel, pour un rouge à lèvre. On y voit une blonde qui est à mon sens censée représenter le désir, la chair, l’envie, mais le problème c’est que cette poupée donne l’effet totalement opposé. Elle est d’un vulgaire affligeant, on croirait voir un pute fraichement débarquée d’Ukraine, tout ce qu’il y a de plus vulgaire et de repoussant chez la pétasse de luxe. Alors oui, je préfère me gratter les couilles en public avec mon charme habituel plutôt que de subir les charmes éventés d’une catin du port de Hambourg essayant de provoquer en moi des émois sexuels en trémoussant son cul enturbanné avec des lèvres qui me rappellent une danseuse de peep-show dans une rue commerçante de Copenhague (les voyages forment la jeunesse parait-il). Où se trouve la grossièreté ? Dans les mots de Bukowski ou dans les images surfaites d’une publicité pour un rouge à lèvres ? Ou encore dans les mots de cette épitaphe qui ornera ma tombe ?…

Je vous emmerde… Et vous me le rendez bien.

Ceci ne s’adresse pas forcément qu’aux lecteurs du Parisien (bon dieu que ce journal est minable, l’expression même de la vulgarité – encore – d’un certain lectorat)… Je suis de retour, c’est indiscutable (pas de fausse modestie), avec mes stylos Pilot Tech-Point V7, mon envie de crustacés, mes mains et mes doigts dans lesquels on peut voir, selon la lumière, soit la main câleuse du scribe ou la main délicate de l’intellectuel – merde, ce ne sont que des mains après tout – et puis mon irrésistible envie d’être tout pour quelqu’un. Dans ma réclusion, je souffre de la solitude de celui qui désormais ne va faire qu’attendre. Et Dieu sait que je peux être patient pour ce genre de chose, même si ça me ronge les chairs.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Bee%20Gees%20-%20Saturday%20Night%20Fever%20-%20Disco%20Inferno.mp3]

Je vais ressortir mes pinceaux, mes carnets et je vais me remettre à peindre avec cette technique si particulière qui consiste à peindre avec du thé. Avec ce soleil, quelques idées en tête, je rêve de navires et de marées lointaines…

Repartir vers le large…

Nuit blanche, lune couleur d'ocre

Là-haut, dans le ciel dansent les couleurs d’une lune qui ne sait plus quel ton adopter…
J’entends les pulsations de mon coeur dans les tempes. La nuit a été longue, je n’ai pas réussi à m’endormir en paix, les yeux dans le vide sur les pages des trois femmes de Pierre Loti et une fois la lumière éteinte, je n’ai eu l’impression que d’un chaos sans fin, jusqu’au lever qui m’apparait comme une délivrance.
La journée effacera tout ça, cachera les caprices de la lune… Je vais repartir…

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Chet%20Baker%20-%20My%20Funny%20Valentine.mp3]

Chet Baker, My Funny Valentine (Instrumental)