Carnet de notes

Il s’agit de carnets connus en France sous le nom de carnets moleskine, car ils sont recouverts de cette toile de coton enduite imitant le cuir. A chacun de mes passages à Paris, j’en achetais une nouvelle provision dans une papeterie de la rue de l’Ancienne-Comédie. Les pages étaient quadrillées, et maintenues en place à leur extrémité par un ruban élastique. Je les avais tous numérotés. J’écrivais mes nom et adresse sur la première page, et offrais une récompense en cas de perte à qui me le renverrait. Perdre un passeport n’était qu’un souci mineur ; perdre un carnet était une catastrophe. Au cours d’une vingtaine d’années de voyage, je n’en ai perdu perdu que deux. L’un a disparu dans un car afghan. L’autre me fut subtilisé par la police secrète brésilienne, qui, non sans un certain don de seconde vue, s’était imaginé que les quelques lignes que j’avais écrites – sur les blessures d’un Christ baroque – étaient une description, en code, de leur propre travail sur les prisonniers politiques.

Bruce Chatwin
Le chant des pistes, 1987

Je me remémore ces mots de Chatwin qui ne s’effacent pas depuis que je n’arrive pas à remettre la main sur ce tout petit carnet sur lequel j’avais commencé à prendre des notes un peu dans tous les sens. Des moments de solitudes aux mains vides et désemparées, incapable de me souvenir de l’endroit où j’aurais pu le laisser, incapable aussi de me souvenir ce qu’il y avait dedans, des mots oubliés, peut-être destinés à renaître ailleurs sous une autre forme, une sorte de semence disséminée à l’attention d’un inconnu surprenant.

6 Replies to “Carnet de notes”

  1. espérons que tu le retrouves, ce carnet (et ton chargeur, par la même occasion 😉 ) ou qu’il fasse le bonheur d’un inconnu, mais que surtout ces mots notés au fil des jours et du hasard ne se perdent pas.

    c’est terrible, les mots qui se perdent

  2. Je me souviens plus dans quelles nouvelles ou romans Hemingway fait référence à une malle perdue contenant tous ces écrits de jeunesse. Je me souviens aussi qu’il est rendu fou de rage par cette perte, affirmant que tout ce qu’il a écrit de bon était là-dedans.

    Je viens de trouver un super lien là-dessus :
    je ne mets pas le http car j’ai l’impression que ça ne passe pas dans les commentaires :

    timelesshemingway.com/hemingwiki/doku.php?id=family:hadleyrichardson

    Je vous laisse rajouter “http” et “://www.”

    Bravo Mme Elizabeth Hadley Richardson….

  3. Nicolas, je n’en suis pas non plus à écrire des choses dignes d’être publiées ;), enfin je ne crois pas.

    Fabienne, ouais, pour l’instant c’est mon chargeur qui me pose le plus de souci.

    Rasbaille, j’avais entendu parler de cette histoire, comme quoi ça ne l’a pas empêché de devenir un merveilleux écrivain. On dit parfois des meilleurs qu’ils doivent tout détruire pour continuer d’exister…

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