Tout commence par une brève annonce dans la rame du RER qui partait sur Pontoise. J’étais debout, en train de lire Le Chant des Pistes
de Bruce Chatwin, coincé entre un grand type en canadienne qui, même après m’avoir marché sur les pieds trois fois de suite, a eu du mal à s’apercevoir que j’étais derrière lui, et la paroi venteuse de la porte qui me soufflait son air vicieux jusque dans le bas du dos. Arrivé à Porte de Clichy, une voix annonce qu’un incident de signalisation avait eu lieu en gare d’Ermont et que le train aurait pour terminus la prochaine gare. Le train repart et s’arrête dans un tunnel. La voix annonce à nouveau que suite à incident tagada, le train est arrêté pour une durée de quatre minutes environ. Un quart d’heure plus tard, je suis toujours en train de lire et le train n’a pas avancé d’un poil. Il repart enfin et s’arrête à Gennevilliers.
Le quai est noir de monde. Une voix sur le quai annonce que le train voie 2 ne prend pas de voyageurs, et comme il n’y a que 2 voies, et que sur l’autre quai, aucun train ne prend pas de voyageurs, c’est pour nous. Enfin, la voix du train annonce que tout le monde doit descendre. Je regarde le quai noir de monde et large de 3 mètres et je me dis C’est là qu’on doit descendre?
parce qu’à part descendre directement dans l’interstice situé entre le train et le quai, passer sous le train et ressortir de l’autre côté, je ne vois pas comment c’était possible. Finalement, nous nous sommes entassés sur trois mètres de largeur dans une agitation toute relative puisque nous avions tout juste de quoi bouger un sourcil. Prochain train annoncé dans quatre minutes.
J’arrive quand même à lever un bras pour continuer ma lecture, et tout d’un coup, je me rends compte que lire Chatwin, lui le coureur des pistes des déserts australiens, au beau milieu d’une foule grognante sur un quai de banlieue, a quelque chose de complètement surréaliste. Derrière moi une vieille dame bossue se repose sur mon dos. Je fais mon bon samaritain en ne disant rien et elle dit Elles sont passées les quatre minutes là ?
. Je me retourne et lui dit Les minutes de la SCNF sont plus longues que mes nuits
, mais je pense qu’elle devait être sourde, ou insensible à ma prose… Un autre annonce nous dit qu’un train entre en gare. Eloignez-vous de la bordure du quai.
Eclat de rire général. Et puis finalement non. Le train est retardé. Un autre annonce dit En raison d’un incident de signalisation et de la présence de personnes sur les voies, le trafic est très très, mais alors très très perturbé dans les deux sens.
Le type qui dit ça a l’air d’être au bord de la crise de fou-rire et je ne peux m’empêcher de rire à mon tour.
Le train arrive, il est bondé. Je n’arrive même pas à mettre un orteil dedans. Je prendrais le prochain.
Un autre arrive, il n’y a personne dedans. Je suis assis à côté d’un polonais. Lorsqu’il se lève, il est tellement grand que sa tête vient heurter le cache de la lumière et le déboite complètement. Evidemment, je me le reçois sur la tête. Grand con va !
Finalement, au bout de deux heures, je finis par arriver chez moi. Fatigué, les pieds gelés et les lèvres gercées, mais au moins j’aurais fait la connaissance de Bruce Chatwin qui continue de me laisser rêveur en me conduisant sur les pistes chantées.