Je ne comprenais pas trop pourquoi on faisait tout un foin autour de cet auteur apparu au début des années 80, et surtout, je ne comprenais qu’on le considère comme un des plus grands écrivains des temps modernes et pourquoi on le comparait tant aux auteurs de la Beat Generation. Désormais, après avoir terminé Less than zero son premier roman que je me ferai un plaisir de lire dans le texte, je comprends un peu mieux. Tout l’art de Bret Easton Ellis tient dans son style. L’histoire, après tout, on s’en tape, elle est récursive, on tourne en rond, on n’avance pas beaucoup pendant les trois quarts du bouquin, mais ce n’est pas grave, le style nous entraîne jusqu’au bout, il nous tient en haleine avec ses phrases courtes, ses transitions simples, ses petits paragraphes ; on passe du dialogue à un style direct au présent, dans une narration impeccable, les phrases sont courtes mais il s’y passe beaucoup de choses.
Même les dialogues hachés sont généralement introduits par le narrateur lui-même, ce qui donne au texte une force incroyable. Un style pour le moins lumineux.
Photo © AirBeagle
L’histoire, elle, est sombre. Nous sommes sur la côte Ouest des Etats-Unis, dans l’univers doré de la jeunesse dépravée et riche, celle qui batifole entre Mulholland Drive et Beverly Hills, entre Encino et Palm Springs, California, une jeunesse qui par dépit ou par ennui se morfond dans l’alcool, la drogue, les jeux dangereux et le sexe sans complaisance, dans une sorte de joyeux bordel désespéré. L’histoire est sèche, elle râpe sur la langue, elle va crescendo, jusqu’au dégueulis, insupportable. Clay revient de la fac dans le New-Hampshire, il y retrouve ses parents, ses amis, Trent et Julian, son dealer Rip, et sa future ex-petite amie Blair. Le parcours du jeune homme est émaillé de rencontres douteuses, entre deux rails de coke, entre bière et whisky, et tout ce qui émane de ce type c’est une passivité hors-norme, un ennui profond.
“Où vas-tu”, je lui ai demandé.
“J’en sais rien”, il a dit. “J’me balade.”
“Mais cette rue de mène nulle part”, je lui ai dit.
“Peu importe.”
“Qu’est-ce qui importe ?” je lui ai demandé au bout d’un moment.
“Simplement d’aller de l’avant”, il a répondu.
Tout se trouve ici. Il faut avancer, peu importe la direction, même si la direction ne mène nulle part, comme le livre lui-même. Parfois même, on n’avance pas du tout. Scènes de baise sauvage, overdoses, viols sur mineure, snuff movies et mauvais trips psychotiques, Ellis ne nous épargne rien du sordide de cette vie sous les palmiers de Berverly Hills. Parce que dans ce monde sans intérêt, même l’amour, même les autres ne comptent plus. On ne fait qu’osciller entre un fix à la coke et une redescente au Valium.
“Ai-je jamais compté pour toi, Clay ?”
Je réponds rien, me replonge dans le menu.
“Ai-je jamais compté pour toi, Clay ?” elle me redemande.
“Je ne veux pas de l’amour. Si je me mets à aimer des trucs, je sais que ça va être pire, que ça sera encore une chose qui me causera du souci. Tout est moins douloureux quand on n’aime pas.”
“Tu as compté pour moi, à une époque.”
Je ne réponds rien.
Tout ceci était trop intense pour ne pas me toucher.
Bret Easton Ellis a fait là quelque chose d’incroyable. Il a perforé la littérature avec un simple cachet de Quaalude. Et nous, on en ressort comme après un mauvais trip, on a du mal à redescendre.
Traduction de Brice Matthieussent.
Note de bas de page: Je me suis abstenu de présenter les extraits que j’avais sélectionné en raison de leur caractère parfois insoutenable.
Note de bas de page bis: Le billet qui va avec sur Appartement 47.
il faut que tu le lises en anglais tout de même, au cas où, en réalité, tu serais fan de Brice Matthieussent 😉
Uhuhu j’y songe, j’y songe…
Je lis pas des masses, mais celui-ci je l’ai beaucoup aimé. A moins que ce ne soit la traduction ?! ARG
C’est peut-être pas le meilleur B.E.E. que j’ai apprécié (mais certainement du fait que j’ai du lire la traduction ! RE-ARG). J’ai nettement préféré Glamorama. Mais cela n’engage que moi, et ce n’est pas pour cette raison que j’intervenais.
En fait, peu de temps avant (ou après, je ne me souviens plus très bien), j’avais lu un roman de Ryû Murakami : Bleu presque Transparent (ou Almost Transparent Blue RE-RE-ARG). A l’époque j’ai trouvé le style de ces deux traductions très similaire, le sujet aussi. Une transposition au Japon pour montrer deux génération perdues séparées par un grand Ocean. Lire les deux en parallèle me semblait intéressant…
Ambiome, c’est angoissant de se dire ça hein ?
Black, idem 🙂 Alors écoute, c’est très marrant ce que tu dis parce que j’ai lu le livre de Ryû que tu évoques et je n’y avais pas du tout pensé, certainement parce qu’il ne m’a pas mis une telle gifle, mais pour le coup, je pense aussi à Serpents et Piercings, mais je crois que la puissance de BEE est là. Maintenant, je vais lire les autres, ben oui, y’a pu qu’à !!
Serpents et Piercings ! : ça tombe bien, ca va être une de mes prochaines lectures…
Je lirais donc ta chronique après, une fois le roman terminé…
Je ne raconte pas la fin, non plus 😉
suis a le recherche de l’z=artiste dont c’était inspiré une des premieres phrases de son bouqui avec the america which where so hungry that they eat their own chidren , si quelqu’un peu me repondre ‘ mais ce n est pas Goya) je suis tout oui …à
Kentucky Fried Chicken ?
Le colonel Sanders ?
ouais il paraît que la chair humaine a le goût de poulet