L’exacte mesure du désir

Sur le parquet

Mes souvenirs, je l’espère, seront une lecture instructive, mais ce n’est pour autant que les femmes auront pour vous plus d’attirance que vous n’en avez pour elles. Si, au fond de vous-même, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce. Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l’exacte mesure où vous les désirez et les aimez vous-même – et louée soit leur générosité.

Stephen Vizinczey, Eloge des femmes mûres

Le haut de la colline

Los Angeles by night
Photo © Kolby Kirk

Los Angeles, give me some of you ! Los Angeles, come to me the way I came to you, my feet over your streets, you pretty town I loved you so much, you sad flower in the sand, you pretty town.

John Fante

Quelques mots – dans le brouillard du soir – pour dire qu’il faut aller à l’économie de paroles.
Je me suis laissé aller à quelque chose de complètement fou aujourd’hui, quelque chose qui a répondu à une impulsion primitive et sauvage qui devait être rassasiée. Pour la seconde fois dans ma vie, j’ai acheté Demande à la poussière… Il le fallait, il me fallait ce livre indispensable, l’avoir près de moi, le caresser et le chérir, me plonger dedans pendant qu’il en est encore temps.
Et puis, je me suis remis à écrire, pauvre larve de feignasse, oui je me suis remis à écrire, j’ai repris les armes et puis tout ça, toute cette gangue, c’est ici que ça va se voir, c’est dans ces pages, alors si vous voulez lire, il faudra me demander le mot de passe, un petit mail et puis ce sera parfait, parce que ce seront des mots qui nécessiteront une clef, pour la lecture, la compréhension, ça ne se lit pas comme ça ces choses là, ça ne se jette pas à la face du public sans rien dire, sans énoncer un léger avertissement – attention lecture dangereuse pour la moralité et la pudeur, un peu comme un concours de ticheurtes mouillés sur la plage de Cancún ou un combat de catch féminin dans la boue – ce serait insultant, provocateur, je ne vais pas vous balancer mon linge sale à la figure…
Ah, et puis une autre chose. Je ne vais pas beaucoup être là ces prochains jours. Mais on s’en fiche un peu, non ?

Enfermement et libération – David Maisel

david maisel

Certains photographes jouent parfois sur des opposés qui ne sont a priori pas évident au premier coup d’œil, mais une vision globale de l’œuvre permet d’en imaginer les mécanismes intimes. David Maisel, photographe de haute altitude, compose des œuvres avec les replis de la terre et ses circonvolutions, mais il erre également dans l’univers carcéral psychiatrique de l’Oregon, dans une démarche qui tend réellement vers les extrêmes.

david maisel

De couleur et de lumière – Neon Bible – John Kennedy Toole

Photo © charlie cravero

Tomber dans la Bible de Néon de John Kennedy Toole, ça n’a rien à voir avec le chef d’œuvre de littérature américaine qu’est la Conjuration des Imbéciles. Une carrière d’anti-écrivain, une mort tragique, l’absence de reconnaissance, la dépression, Toole n’a écrit que deux livres. En fait non, il a écrit deux romans, dont aucun n’a paru de son vivant. La Bible de Néon, il l’a écrit alors qu’il n’avait que seize ans, et lorsqu’on met bout à bout les deux œuvres, on se rend compte avec dépit le talent de ce magicien et ce qu’il aurait pu écrire d’autre, nous laissant sur notre faim.

Au-dessus de ma tête, l’ampoule unique qui pendait au bout du fil électrique était aussi assez graisseuse, elle donnait de grandes ombres à toutes choses et à mes mains un aspect blanc et mort. Assis la tête entre les mains, je parcourais des yeux les motifs de la toile cirée qui recouvrait la table, et je les parcourais encore. Je regardais les carreaux bleus devenir des carreaux rouges et puis des noirs et puis encore des rouges. Levant les yeux vers l’ampoule, je voyais devant moi des carreaux bleus, des carreaux noirs, des carreaux rouges. Dans mon ventre, les beignets au maïs étaient lourds. J’aurais voulu ne rien avoir mangé.

Photo © cobalt

Peu importe de raconter cette histoire, il faut la lire et s’en imprégner, s’imbiber de ce roman de jeunesse désabusée et triste, un roman qui m’apparaît, alors que je regroupe les notes prises sur mon carnet, comme un faisceau de lumières, d’ombres, de scintillements et de couleurs inconnues. Un tableau de Hopper, dans l’Amérique des années 30.

Derrière elle, le clair de lune se répandait dans la pièce et rendant tout le bord de son corps argenté.. Ses cheveux lui tombaient sur les épaules, et la lumière faisait briller chaque cheveu comme une toile d’araignée au soleil.

Toole est un sculpteur d’effets, gaufrant le papier de ses doigts d’orfèvre en me donnant l’impression de maîtriser les effets de lumière comme personne, donnant à son texte les reflets magiques d’une toile ou d’une photo.

Le soleil était haut maintenant, il entrait par la fenêtre ouverte, fort et brillant. Je n’avais jamais été nu en plein soleil, alors je me suis mis devant la fenêtre et j’ai laissé la lumière jaune couler sur moi. Mon corps était blanc pâle sauf les bras et la figure, et la brise soufflait sa fraîcheur sur moi.

Photo © charlie cravero

Le premier livre de Toole ne ressemble pas au second. Du tout. En revanche, je tenais à parler de ce livre après avoir terminé la lecture de Bandini, de John Fante. Parce que ce sont les mêmes lieux, les mêmes désillusions d’enfance, les mêmes personnages qui n’attendent rien, mais il n’appartient qu’à ceux qui souhaitent en savoir plus de faire l’expérience de ces lectures.

Elles étaient éclairées la nuit, à présent. Ça les rendait encore plus facile à repérer, et le soir, parfois, je m’asseyais sur le rebord de la fenêtre pour les regarder. Mais ça ne me plaisait pas de voir cette partie-là de la colline éclairée. J’aimais y penser telle qu’elle était la nuit où nous étions allés là-bas, mes maisons complètement vides, la colline sans personne d’autre que nous, l’obscurité et rien d’autre, rien que le clair de lune. Je me suis même demandé qui vivait dans la maison où nous étions assis sur le seuil.
Et puis j’ai cessé de me faire du souci pour Tante Mae. Un jour, en rentrant du magasin, je l’ai trouvée assise à la cuisine, à passer les mains sur la toile cirée.

Daybreak

daybreak

Aucun homme ne connaîtra jamais le fin mot de cette histoire, même s’il arrive aux femmes de se transmettre le secret au creux de l’oreille, après le bal, au moment où elles arrangent leur chevelure pour la nuit et comparent leurs tableaux de chasse respectifs. Bien sûr, aucun homme ne peut assister à ce genre de cérémonie. Force est donc de faire ce récit de l’extérieur – en aveugle – à tort et à travers.

Rudyard Kipling, Fausse Aurore in Simples Contes des Montagnes

Voilà – on peut dire ça – c’est l’aube – le matin doux à la fraîcheur intense et au souffle puissant, les poumons gonflés d’orgueil, gonflés d’or, les halos tout en dégradés de couleurs chaleureuses. Je me sens bien, je suis frais, rempli d’une sensation de nouveauté – trémulation intense. Mes mains trahissent ma nervosité, sont agités de petits tremblements que j’aimerais attribuer au noir crémeux du café, mais ce n’est que l’excitation de ces jours nouveaux.

Le pli qu'il a au coin des lèvres

John Fante - Bandini

Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais j’ai laissé tomber John Fante, je l’ai oublié dans un coin, je me suis empêtré dans la lecture de Bandini, pourtant passionnante et haute en couleur, telle que peut l’être La route de Los Angeles ou Demande à la poussière, je l’avais posé sur une étagère et lui m’attendait. Il me restait que 70 pages à lire.
Je l’ai repris, j’ai feuilleté et je me suis lancé à nouveau. Je suis vautré dans la poire, mon fils me parle et me demande pourquoi je passe tout mon temps à lire et à écrire. Je lui réponds que ce n’est pas vrai, que je fais d’autres choses, à quoi il ajoute, que “ce n’est pas un métier ça“, alors je lui rétorque que “si, c’est un métier, mais c’est également un loisir, quelque chose qu’on fait parce qu’on aime ça“.
Il est descendu de sa chaise et est venu me faire un câlin.

J’ai relu la superbe postface de Philippe Garnier et son mordant, sa verve et son éclairage. Son ton juste quand il parle de l’homme, de Fante, l’écrivain maudit et brillant.

Parce que toute sa vie, Fante a été en proie aux remords et à la répression, en bon rebelle catholique. S’il parvient à trouver en lui tant de violence et tant de méchanceté pour ses personnages, c’est que Fante était loin d’être un saint – en fait, au dire de certains de ses amis et connaissances, c’était un être particulièrement désagréable et teigneux, qui possédait un sens de l’humour très particulier, et à sens unique. Bezzerides raconte comment un jour à une réunion de la Writers Guild au Hilton il avait insulté ouvertement l’ami avec qui il était, qui se trouvait être homosexuel. « Salut, Al, comment ça marche avec ton pédé de copain ? » Et comment, dans un ascenseur, alors que Bezzerides portait un manteau qu’il aimait particulièrement, couleur fauve, Fante s’était pointé, lui demandant immédiatement « où il avait dégoté ce manteau couleur merde ?» […]

Il n’est que de noter le pli qu’il a au coin des lèvres sur à peu près toutes les photos connues de lui pour se persuader de la véracité de ces histoires. C’est aussi ce qui donne la force à ses bouquins.

John Fante - Bandini

Le spectacle futile

Ici on ne parle pas de devoir de mémoire.
On ne parle pas non plus des problèmes cruciaux pour la société comme «alors, c’est un gamin ou une classe entière qui devra faire un dossier sur un enfant victime de la Shoah ?».
On ne parle pas non plus de mariages princiers entre un Goebbels-like et une mannequin chanteuse croqueuse d’hommes et de diamants.
On parle pas non plus des luttes intestines pour la candidature à la Présidence de la France à la mairie de Neuilly-sur-Seine, plus importante et plus représentative ville de France.
Je n’en parle pas parce que je m’en fous que je me dis que la France doit aller merveilleusement bien pour qu’on s’intéresse à d’aussi futiles sujets.

On se serait cru au théâtre, et la similitude était encore accentuée par les silhouettes fantomatiques de ces hommes et femmes couverts de poussière blanche, groupés sous les orangers, et applaudissant le choix de Saumarez comme s’ils assistaient à un spectacle. Je n’ai jamais rien vu d’aussi peu anglais de ma vie.

Rudyard Kipling, Fausse Aurore in Simples Contes des Montagnes

Las Vegas, une courte histoire

Las Vegas history

Photo © Roadside’s pictures

Née du néant, sortie du désert du Nevada comme une succulente entre les rochers, Las Vegas est une ville dont l’histoire elle-même a quelque chose de chaotique. J’aime me perdre – je l’avoue sans honte – dans les décors facilement numéritechnicolorisés des épisodes de la série CSI, aux couleurs si particulières, dans cette ville perdue dans les plates plaines du désert, au milieu de nulle part.
On sait que Las Vegas a été fondée autour d’une activité principale, l’argent des casinos, mais en remontant un peu plus loin, on s’aperçoit que ce sont les Mormons qui ont posé les premières pierres de la ville champignon. On le sait moins, et on sait peu aussi que Las Vegas signifie “vallées fertiles”, ce qui peut paraître étonnant au vu de son emplacement, mais son sous-sol, et c’est ce qui lui a permis son développement, est parcouru de rivières souterraines et d’immenses nappes. En seulement trois ans, entre 1854 et 1857, la ville a commencé à prendre son essor avant d’être totalement abandonnée, puis investie par l’armée américaine.
En 1931, lorsque les jeux d’argent deviennent légaux, on y voit fleurir casinos, investisseurs, banques, hôtels et prostitution. La légende de Sin City (ville du péché) prend racine, a fortiori lorsque la mafia juive de la côte Est s’empare de la ville. Son plus grand représentant sera le fameux Bugsy Siegel (de son vrai nom Bairush HaLevi “Bar” Mordechai Dov HaLevi – pas facile à porter dans le désert). Depuis 1989, l’état du Nevada a tenté de faire prendre à Las Vegas une façade un peu plus familiale, mais les mythes ont la peau dure et la criminalité reste ancrée ici comme nulle part ailleurs, comme si c’en était un élément fondateur. Avec une température moyenne de 19.3°C et des pointes à 46°C, Las Vegas est une des villes dont l’essor démographique reste un des plus importants de tous les Etats-Unis, avec une croissance annuelle de 5%. Las Vegas est jumelée avec Phuket en Thaïlande.

De quoi continuer la visite dans le Las Vegas des années 60.

Fabienne et moi avons décidé de vous emmener dans un tour du monde virtuel. Vous pouvez suivre les étapes de ce voyage sur Google Maps.