Carnet grenat, juste une bulle

Ce soir, je suis parti du boulot le cœur léger, l’âme en paix, la musique joyeuse. J’ai terminé mon premier carnet grenat et nécessairement tout de suite commencé un autre.

Rien ne distingue un carnet de l’autre. Ils sont identiques en tout, se ressemblent comme deux frères et pourtant, tout les oppose tout le temps, en tout temps et partout.

Je n’ai réussi à y mettre dedans que ce que je voulais vraiment dire, débarrassé de toute animosité ou de toute rancœur. Une écriture saine dans un corps sain. Il faut que je dise ces choses que j’ai lues hier soir.

J’ai renoncé à avoir un coin à moi, en ce monde, un home, un foyer, la paix, la fortune. J’ai revêtu la livrée, parfois bien lourde, du vagabond et du sans-patrie.

Isabelle Eberhardt, Mes journaliers
18 janvier 1900

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Pour terminer ce carnet, de manière un peu définitive, et passer au prochain, j’en livre les derniers passages, qui me plaisent énormément.

Le voyage que je fais chaque jour n’est qu’une idiotie. Je n’y vois aucune femme aux mains tatouées de henné, aucune femme ceinte de saris gonflés ou portant sur les hanches un enfant nu et bedonnant. Je n’y vois aucun animal paissant paisiblement sur les bords d’une rivière sédimentaire en crue ou les pieds dans la mangrove comme ce buffle d’eau. Aucun enfant ne me court après pour me réclamer des stylos, me vendre un grigri en papyrus tressé ou me montrant ses moignons ensanglantés pour me soutirer quelques piécettes.

Mon voyage n’est rien de tout cela et ce que j’en attends mille fois plus que du simple exotisme dépaysant, de l’« étranger », c’est pouvoir m’écorcher les genoux, sentir la terre sous mes ongles, me frotter, me racler, me coudre au monde comme si je n’étais qu’une de ses couilles dont on l’aurait privé à l’adolescence, arrachée d’un coup de dents furieux, tranchée au surin au milieu de la nuit.

Et je reste un peu muet…

Moka au bar à bord du Bénarès-Tokyo express

C’est étrange. Il est un peu plus de 13h30 et je suis devant mon PC, que j’ai relâché le temps de déjeuner. Ma messagerie est ouverte sur un message en souffrance « Chère  M…, il était une fois, avant que je parte en congés… » J’aime le lyrisme dans toutes les formes d’écrit. Je regarde le message que je n’ai pas terminé et qui reste comme un virgule flottante au dessus de la page blanche ; le curseur clignote sans désarmer. Il m’attend, tapant du pied d’impatience et ma lecture s’en trouve distraite. Je suis reparti — rien n’est innocent — sur les bords de la Yamuna(1) ou du Gange à Vanarasi(2), sur le ghât face au large fleuve.
J’ai commencé un nouveau livre que j’ai trouvé par hasard dans les rayons de la FNAC, Le Bénarès-Tokyo par Olivier Germain-Thomas que je ne connaissais pas du tout et qui m’ouvre des perspectives immenses.
Au détour d’une phrase, une fin de paragraphe, il balance, saugrenu et cynique:

Le blanc est l’humour de l’avenir.

J’éclate de rire sans prévenir et me fait peur tout seul, un moment d’angoisse sur les bancs du RER. Un peu plus loin, il ose citer Montaigne qui me semble être le compagnon de fortune (ou de galère) des voyageurs.

« Je n’aime point de tissures, où les liaisons et les coutures paraissent ;
tout ainsi qu’en un beau corps, il ne faut qu’on puisse compter les os et les veines. »

Photo © Dey

Avant d’arriver chez moi, je suis pris d’une étrange fatigue, range mon livre et sort mon petit carnet bleu, relis quelques fragments à l’envi, ne sachant si je dois en rire ou en pleurer.

Je comprends ce que j’ai. Mes journées passent lentement, je n’étais plus habitué.
Je suis seul. Je n’étais plus habitué.
Je suis solitaire, comme toujours.
Et ce qui me ronge est que j’ai déjà commencé mon voyage tandis que je reste ici, incapable de rompre les amarres, enfermé autant dans l’espace que dans mon esprit.
Je souffre sans vraiment m’en rendre compte, une violence sourde et handicapante.
Je vais mourir d’être ici.
Le contraire de ce que dit Depardon : « Bien seul, mais bien libre »

Je me dis que seuls les noms comptent. Ne comptent pas. Les noms de lieux, les noms propres, les noms de l’histoire. Des visages me disent l’ailleurs ; cet Indien l’autre jour, un grand gaillard bedonnant au visage paisible, un de ces hommes tels qu’on pourrait en rencontrer sur les rives de l’Indus ou à Dehli(3), un sourire certainement éternel fiché sur son visage. Ou cette femme aux yeux superbes qui parle russe tout doucement dans son téléphone. Elle a cette discrétion que d’autres ne connaissent jamais.

En prenant ce train de banlieue, ce sont d’autres paysages que je vois, les rives du Gange, ou les abords de cristal du Taj Mahal(4) à Agra(5), les crêtes de l’Himalaya(6) ou au pied du Fuji-san(7).
Pendant ce temps, il pleut sur la Seine.

Je vois en chaque homme, chaque femme, chaque enfant que je croise des origines et des terres que je crois connaître.
Chacun me dit que personne n’est réellement de là où il vit.

Finalement j’arrive chez moi avec les chaussures trempées ; je laisse sur le parquet de l’entrée mes chaussettes humides et je me retrouve à glisser comme sur une piste de bowling, manquant de peu de me fracasser le crâne contre le chambranle du couloir. L’éthique du voyage se déroule dans tout ceci.

Notes :
(1) Yamuna यमुना
(2) Vanarasi वाराणसी
(3) New Dehli नई दिल्ली
(4) Taj Mahal ताज महल
(5) Agra आगरा
(6) Himalaya हिमालय
(7) Fujiyama 富士山

Etape n°2: Visualiser Jaisalmer et le lac Gadisar sur Google Maps.

Cette langue, l’Hindi, me fascine avec cette barre haute qui lie chacune des lettres entre elles, des mots comme des tringles sur lesquels sont accrochés des rideaux aux volutes douces.

You see what I mean – Couverture

C’est fou, il y a des mots comme ça, qui ont tellement de sens différents que ce ne sont plus des mots valises mais des mots malles, ou des mots fourre-tout. Il y a quelque chose de cocasse en lui. Couverture ; on songe à la couverture du lit, du livre, à celle qui fait qu’on est protégé, on parle également de couverture quand on parle de nuages ou alors de neige, on parle aussi de couverture en pâtisserie.
Il fait partie de ces mots tellement évocateurs et désignant un tel état de fait qu’il peut adopter une multitude de sens. Placé dans une petite phrase, il perd son sens si la phrase elle-même ne le lui explique pas plus précisément que ça.
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Moka au bar aux sources du Bhāgīrathī à Gaumukh ou à Gangotri

Ce livre est épuisé. Un livre épuisé, ça me fait toujours sourire. J’imagine un livre à bout de souffle, complètement rincé, hors d’usage, ayant couru une partie de sa vie comme un dératé et arrivé aux derniers jours de sa vie, épuisé. Terminé. Et porte la mention définitivement épuisé. Rien ne pourra y faire, il faut vous y faire, passez à autre chose et tutti quanti.
Pauvre bouquin, va…

reload

Alors voilà, je me retrouve là comme un idiot, réveillé en pleine nuit par une rage de dent venue d’on ne sait où, d’on ne sait pourquoi, cherchant à tâtons une boîte d’antalgiques dans l’épaisse obscurité d’une salle de bain aveugle, et un peu plus tard, à huit heures par le chat qui a décidé qu’il devait manger ; bien vite il a compris que ce n’est pas parce que je me lève que je le nourris. Un sale coup à son ego calculateur et programmé pour emmerder le monde.
Au fur et à mesure que la semaine a passé, le temps s’est détérioré, les nuages se sont accumoncelés dans le ciel et ce matin n’a plus rien à voir avec le matin du précédent lundi, celui pendant lequel, toutes fenêtres ouvertes j’ai nettoyé mon parquet et mes sols, rangé tout ce qui dépassait et certainement le jour où je me suis le moins ennuyé seul ici parce que j’étais le plus dynamique. Il fait moche ce matin, ce samedi. Il me semblait pourtant que les samedis étaient censés être toujours ensoleillés. J’ai dû me tromper de jour, ou d’adresse, j’ai dû mal lire. Il ne va pas falloir que ça dure sinon ça va me miner sérieusement. Il me reste deux jours, deux jours de  week-end qui sont en réalité mes deux derniers jours de congés, à cette différence près qu’aujourd’hui, je sais que personne n’est en train de travailler au bureau, ce qui me semble moins appréciable. Pour se sentir en vacances, il faut sentir les autres souffrir au travail, sinon c’est un peu décevant.
Mon fils m’a demandé son chocolat puis finalement est reparti se coucher. Porte simplement son caleçon, s’est endormi devant la télé hier au soir, les pieds sur mes genoux. Il avait un air angélique, les mains jointes sous sa joue. Me demande ce qu’est un énergumène et tout de suite après si je peux lui apporter un mouchoir, s’il te plait mon papa… Chantonne en peignant à la table de la salle à manger, il sait qu’il peut la salir allègrement, le verre se nettoie facilement mais il fait tout de même attention à “ne pas dépasser“. C’est peut-être tout simplement ça — non pas qu’il me faut — que je dois avoir, que je devrais avoir, je ne sais pas et je crois qu’il est temps que j’arrête de me poser des questions, j’ai passé ma semaine à ça et j’ai dû me ruiner la santé, au moins la mentale car l’autre va plutôt pas mal pour le moment.
Je risque juste l’enfermement… Le grand enfermement disait Michel Foucault
Quand je pense à Foucault, celui qui a bercé mes années de fac puisqu’il avait créé le département φhilosophie dans lequel j’étudiais, je repense aux années de désillusion politique des années 80 au regard de la situation actuelle et je me demande comment nous avons pu en arriver là, à un tel marasme moral, à l’enfermement — pour le coup — de l’esprit dans sa propre fin.

Photo © Yogasanft

Mais ce bouquin finalement, celui qui par la fait du hasard est complètement épuisé, j’ai réussi à me le procurer. Mon abonnement à la bibliothèque renouvelé, j’ai pu l’emprunter. Le Gange, par Amina Okada (conservateur en chef au musée des Arts asiatiques-Guimet) avec des photos de Fred Kohler, aux éditions AGEP datant de 1990.
Le Gange prend sa source au lieu-dit Gaumukh (la Bouche de Vache), situé à l’extrémité du glacier Gangotri à 4200 mètres d’altitude (30 kilomètres de long pour 2 à 4 kilomètres de large), dans le district d’Uttarkashi(1) dans la région de l’Uttarakhand(2), frontalière de la Chine. Ce lieu, en raison du fait que le Gange est fleuve sacré, est l’objet de pèlerinages importants pour les sādhus(3) qui viennent admirer les chutes du Bhāgīrathī(4) à Gangotri(5), là où la petite rivière saute au milieu de la ville, creusant et ravinant la pierre couleur d’ocre.
En réalité, Gaumukh est la source de la rivière Bhāgīrathī , un important affluent du Gange(6) qui n’est en fait que la réunion du Baghirati et de l’Alaknanda.

Photo © Himjo

Je me rends compte que j’ai acheté pas mal de livres ces derniers temps. Trop peut-être, mais avec un petit budget, donc je suis assez content. Il faudrait que je n’achète plus rien d’ici la rentrée, ce serait vraiment bien de pouvoir placer l’argent là où il devrait. Je repense à une discussion que j’ai entendu il y a quelques semaines, sur la propriété, ou plutôt le fait d’être propriétaire, au sens où on l’entend ici. Posséder un bien immobilier (le préfixe im- me fait sourire, c’est comme s’il indiquait a priori l’immatérialité) est une sorte  de panacée, c’est le but social ultime, l’idée de la réussite sociale et le signe que les vieux jours sont quasiment assurés. Quelle foutaise de merde !
Regardons les choses en face. Être propriétaire aujourd’hui signifie un endettement sur vingt ans minimum, aux mêmes conditions que la location, avec pas mal de contraintes en plus ; taxes foncières, inconvénients onéreux de la copropriété s’il y a lieu, bref, des tas d’emmerdes. Et ça veut dire quoi être propriétaire d’un bien immobilier. Un appartement ? Plusieurs murs dont on se partage les faces avec des voisins bruyants ? Une maison ? Quatre murs plantés sur un terrain dont on serait propriétaire, sujets à la destruction, au vol et à la dégradation ? Je ne comprends pas. Là où l’on vit est un lieu transitoire et illusoire, qui ne doit avoir aucune matérialité dans la représentation de notre existence. Je vis dans un appartement, dont je suis locataire, mais je n’en veux pas et surtout, je ne veux pas être attachés de quelque manière que ce soit, financièrement, juridiquement, sentimentalement à ces murs. Non, je ne veux pas être propriétaire d’un bien immobilier — je ne suis pas certain que ce soit un bien…
Le sādhu est dit homme de bien mais il ne possède rien. Le seul bien que j’aimerais pouvoir posséder est celui qu’on peut faire au reste de l’humanité. Comme Saint-François d’Assise, j’aimerais être propriétaire du chant des oiseaux, de ma robe de bure et de mon bâton de pèlerin. Je ne possède que quelques livres, des carnets et une besace, un bouddha en équilibre sur un pied en laiton et un anneau d’argent que je porte à la main gauche ; le reste n’a qu’une existence relative à mes yeux. Les clefs, ordinateurs, appareils divers… Lorsque je regarde autour de moi, chez moi, je ne vois que des objets dont je ne saurais que faire si toutefois je devais partir, vite — ou pas —, rien auquel je sois suffisamment attaché pour me dire que cela pourrait me manquer un jour.
Je t’assure, je suis beaucoup plus heureux sans rien.

Notes:
Termes Hindi
(1) उत्तरकाशी
(2) उत्तराखण्ड
(3) साधु « homme de bien, saint homme »
(4) भागीरथी नदी
(5) गंगोत्री
(6) गंगा

Etape n°1: Visualiser la région de Gangotri sur Google Maps.

Mehrdad Naraghi

<a href="http://www 4 viagra.mehrdadnaraghi.com/”>Mehrdad Naraghi montre le visage d’un Iran désert. D’étranges clichés de voitures qu’on pourrait croire abandonnées se mariant avec le brouillard et l’obscurité, un travail splendide, tout en textures avec des lumières parfois à la limite du traitement un peu vieillot.

Balto

Je me suis souvent posé la question de savoir ce qu’était un balto, toujours fasciné par cette déconcertante faculté d’être original à tout prix des cafetiers et bistrotiers français. En effet, je serais curieux de savoir quelle est la proportion de café qui porte le nom de “Le Balto”, “Le Celtique” ou encore “Le bar de sports”… Toujours est-il que je sais désormais ce qu’est un balto. Balto vient de subalterne, qui, diminué devient Subalto, et par aphérèse devient balto… En l’occurrence, ce subalterne est le manutentionnaire qu’on rencontre sur le marché, l’équivalent du Fort des Halles…
Je sais également d’où vient Boche, qui désigne l’Allemand (dans une autre vie). Boche vient du même phénomène que celui qui a transformé Bastille en Bastoche. Allemand est devenu Alboche, puis par aphérèse encore, boche
Tout ceci on peut l’apprendre dans le très bon livre de Daniel Percheron, Bruits de langue…

Bing

Quelle idée, non mais vraiment. Il y a quelques années de cela, il existait un moteur de recherche nommé Northern Light (qui était le nom de la société écossaise à l’origine de la construction des phrases sur le domaine maritime britannique et dont le père de Robert Louis Stevenson était un des illustres ingénieurs, l’équivalent de nos Phares et Balises, et Northern Light également, je viens de l’apprendre, est une espèce de cannabis) et dont le logo était un phare. De la même manière le défunt Netscape portait également comme logo un phare, agrémenté d’une barre de navigation (une vraie).
Aujourd’hui, Microsoft, après avoir fait couler consciencieusement Netscape et des années après la disparition du moteur de recherche, se réapproprie honteusement le phare pour orner son nouveau moteur de recherche Bing.
Personnellement, je trouve que Bing, c’est le bruit que fait un objet quand il chute. Une annonce de qui risque de se passer, comme au lendemain du très retentissant bide le Live search ? J’en ris d’avance…