Regarder les baleines

Être avec ceux qui passent six mois de l’année à compter les baleines au loin. A Palos Verdes, un soir d’été sur la jetée face à cet Océan qu’on dit Pacifique malgré tous les dangers qui en émanent.
J’aurais aimé pouvoir faire ça ce soir en sortant du travail. On se moquait de moi quand je disais que le jour où je vivrais au bord de l’Océan — celui-ci ou celui-là — en sortant du travail, je pourrais me rendre sur la plage et regarder l’Océan, l’hiver ou l’été. On me disait « Tu verras, tu n’en feras rien et tu seras comme les autres, tu n’iras plus. » On se moquait de moi, et on aura encore certainement l’occasion de le faire. So what ?
Ce soir, la pluie tombait lourde au sortir du bâtiment de la rue Anatole France sur les cheveux en bataille de m’être posé trop longtemps la question de savoir si ces chiffres en valaient la peine, à la retourner dans tous les sens, et puis finalement je me suis mis à penser à tout autre chose. J’ai lâché mon clavier. Il était tard et j’avais la sensation d’être seul sur le plateau. A 20h00, ce sont des choses qui arrivent. Le calme perceptible d’une soirée d’averses.

palos-verdesPhoto © Palos Verdes Blog

Mais dans le train, tout l’exotisme iodé de la côte ouest des Etats-Unis s’est trouvé balayé par la vue de la Seine sous un soleil de pluie, une palette de gris mâtiné de jaune doré dans une trouée nuageuse. A côté de moi un japonais avait enlevé ses chaussures et a posé ses chaussettes de tennis encore un peu blanches sur la banquette face à lui ; je pense qu’il énervait tout le monde à feuilleter son livre très vite et très bruyamment et surtout, je crois que l’odeur, c’était lui. Dans le tunnel, un type faisait la manche ; il m’a fait sourire lorsqu’il a dit qu’il risquait de se prendre la sauce en sortant et que ça l’ennuyait parce qu’il avait un dîner en ville ce soir. On s’est souri mutuellement et je lui ai donné une pièce ; j’aurais aimé lui donner plus, mais il avait l’air heureux comme ça, alors tant mieux.
J’ai continué mon trajet avec Darko dans les oreilles, avec Malcolm Lowry sur les genoux — j’ai repris sa lecture ce soir après avoir terminé Keret. Lowry parle de l’Océan comme personne. J’ai du mal à imaginer comment un type qui buvait autant peut parler comme ça de l’eau de la mer.
J’aurais aimé parler avec elle qui était là et qui n’avait pas le temps. Le mystère m’irrite parfois. Impatient à l’extrême.
Aujourd’hui était une journée pour moi, une journée belle et fluide. Une journée pour une peau inconnue.

Le pier de Vincent

Ai peint encore une étude sur la plage. Il y a quelques digues de mer, ou môles, —piers, jetées, — il y en a même d’excellents, faits de pierres rongées par le temps et de branches entrelacées. Je me suis installé sur l’un d’eux pour peindre la marée montante, jusqu’à ce qu’elle fût venue si près de moi que j’ai dû sauver tout mon fourbi. Et puis, il y a là entre le village et la mer des arbustes d’un vert foncé bronzâtre, ébouriffés par le vent du large et si réels que plusieurs d’entre eux vous font penser : mais ! c’est le Buisson même de Ruysdaël. Le tram à vapeur vous y mène à présent, on peut donc y arriver même quand on a des bagages ou quand on a des études encore fraîches à ramener.

Manhattan Beach PierPhoto © Szeke

Il faut non seulement remonter de dix, mais de trente ou même de quarante et de cinquante années en arrière, pour retrouver la période où l’on se mit à peindre les dunes, etc…, dans leur aspect véritable. En ces temps-là, les choses étaient plus ruysdaëliennes qu’à présent.
Si l’on veut voir une chose qui évoque l’atmosphère d’un Daubigny, d’un Corot, on doit aller plus loin, là où le terrain est quasiment vierge de pas de baigneurs, etc…
Scheveningue est sans contredit très beau, mais il y a longtemps que la nature n’y est plus vierge ; mais cette virginité de la nature, je l’ai trouvée par extraordinaire au cours de l’excursion dont je t’ai parlé.
Voici à peu près comment était ce « pier » (jetée).
Rarement le silence, la nature seule m’a parlé comme cela, dans ces derniers temps.

Lettre n°307 écrite de La Haye entre décembre 1881 et septembre 1883,
extraite de Lettres à son frère Théo de Vincent Van Gogh,
Les cahiers rouges, Grasset.

La nature de l'eau

J’ai appris hier que sur toute l’eau qui se trouve sur la Terre (toute nature confondue, salée ou non), seule 1% fait partie du cycle qui permet de maintenir le cycle de la vie. En font partie l’eau de pluie, l’eau que l’on boit, l’eau qui s’évapore au soleil, etc. Le reste, les 99% restant, c’est de l’eau de mer, de l’eau enfermée dans les glaces ou les icebergs, de l’eau retenue emprisonnée sous terre, etc.
Une molécule d’eau accomplit un cycle sur terre, du moment où elle s’évapore, retombe en plus dans la terre, s’infiltre, retourne dans la rivière, le fleuve puis la mer en six mois alors que l’eau retenue sous terre peut l’être pendant plus de 10 000 ans.
C’est idiot et sans prétention, mais ça me laisse songeur que l’eau puisse finalement être aussi pleine de mystères.

Photo © Mani Babbar

Et enfin celui qui comme ça

Me ferme les yeux et m’endort,
envie de plus rien,
des yeux qui brûlent et la tête pleine de mots
d’idées qui n’ont de vie qu’éphémère
au creux des oreilles et l’odeur du parmentier
dans la lumière un contrejour le soleil et je m’endors
je n’en peux plus
terrassé, pas de mot pour ça
ce n’est rien
un fake d’histoire

Notes à l'envers

Je me pose la question de savoir pourquoi je n’écris pas plus que ça. Je pourrais faire comme tout le monde après tout, enfin presque tout le monde et déverser les mots comme ça, mais autant demander à un arbre de ne pas plier dans le vent. Pour l’instant, je m’observe, je me jauge et je comprends mieux ce qui me freine. C’est tout simplement de la pudeur.
Une bonne dose de pudeur. Plus j’avance dans le temps, plus je biffe et je caviarde. Plus rien ne sort qui n’ait été soumis à mon contrôle et à un minimum de recul.
Pour la première fois de ma vie aujourd’hui, j’ai détruit des centaines de lignes pour la simple et bonne raison que ça ne m’apportait rien. Un peu de calme, c’est tout ce que je réclame. Du calme et de la pudeur.

Le carnet voyageur…

Je n’avais encore pas tout exposé ici, mais c’est désormais réparé.
Toutes les pages du Grand Cahier Moleskine que j’avais réalisé pour le salon du livre de Londres et qui au passage a fait un petit tour par Francfort et Tokyo pour d’autres exhibitions, toutes consacrées à la marque Moleskine pour la promotion de la marque (un exercice marketing ingénieux qui consistait à faire exposer des “moleskiners” du monde entier), sont désormais exposées ici-même, sur ma page dédiée au carnet noir à peau de taupe.

Grand Cahier Moleskine 8

Bientôt, un nouveau moleskine… (oui c’est du teasing)

Retour à Assouan

Des années après je crois que j’ai du mal à m’en remettre, les senteurs des quartiers sombres – un air de ney le soir sur le bord du Fleuve nourricier, le bazar les épices et les couleurs et surtout la lumière, crue la journée, suave le soir un odeur de fleurs d’hibiscus infusées sucrée comme le vent frais… Rien ne sait me faire retrouver ces sensations, les îles et les felouques, la douce candeur de l’eau sous mes pieds et les pierres blanches de l’autre côté sur le flanc de la colline. Encore le grès sur mes doigts et son contact rugueux, abreuvent mes rêves, cette nuit encore, j’étais au Shepheard, un Coran à la couverture de cuir verte et dorée dans le tiroir de la table de nuit.
Demain, j’y suis à nouveau.

assouan

Rouge

Rouge comme le sang qui s’écoule de la montagne. Rouge comme le sang qui s’écoule des entrailles d’un animal fraîchement tué. Rouge comme le soleil qui rougeoie sur l’océan aux couleurs du rocher fascié. Rouge comme l’auréole au-dessus du temps, celui qui m’écrase. Rouge comme ce qui coule sous ma peau. Rouge comme ton pull au bord du fleuve. Rouge la colère de ta couleur. Rouge comme tes lèvres brillantes ce soir-là sur le boulevard. Rouge comme le feu derrière toi sur la photo. Rouge comme le secret le plus intime qui te rend belle. Rouge comme la lumière dans ta chambre au-dessus de l’enseigne lumineuse. Rouge comme la silhouette de tes seins flamboyants contre ma poitrine.
Rouge comme ton regard plein de haine lorsque je t’ai dit non et tout un fatras d’autres choses dont je ne me souviens plus. Rouge comme le sang sous tes ongles et ma peau lacérée pantelante et mon souffle sur ta gorge. Rouge comme la fleur carnivore, cet étrange hibiscus entre tes cuisses.
Aussi rouge que… non, quand même pas…
Rouge comme tout ce que tu portes, sur tes vêtements et sur ta peau.
Rouge comme tout toi et le souvenir…
Je déteste le rouge…

rouge

Floodfish & Ghostschool

Le premier, je le connais depuis assez longtemps et j’aime suivre ses images toutes les semaines. Jason Das de son vrai nom est de ces aquarellistes dont les petits détails de la vie fleurissent sous forme de scènes colorées à l’allure cartoonesque. Sa vie, son œuvre sur son blog, Gas, water, nothing.

Le second, Wilbur Freeborn, est un furieux du moleskine qui croque des scènes de tous les jours, comme si un moment d’attente n’était pour lui qu’un prétexte à dessiner.