L'économie des terres

Forcément, comme je suis en plein dans les cartons et que je pense fortement à décorer mon nouvel appartement de manière à ce que ça ressemble enfin à quelque chose de vivable, d’acceptable. Il souffle comme un vent de fraîcheur sur les collines, les arbres frémissent et commencent déjà à revêtir leurs beaux habits d’automne. Que celui qui a vu passer l’été dans les parages lève le doigt et dise “j’y étais !”. Vache de temps. Moi qui rêvais de soirées tropicales, de cocktails pris sur les bords de la plage avec un vent chaud qui souffle sur les flammes de grandes torches plantées dans le sable, de voiles d’organza qui dansent avec la lune, mon été a plutôt ressemblé à un mauvais passage des Valseuses au Touquet (ou était-ce à Berck ?). Anyway. Anyway the wind blows…
Evidemment tout ceci n’est qu’une vaste chimère. A moins, d’emblée, d’avoir des quantités déraisonnables d’argent disponibles et d’emménager directement dans un endroit qui pourrait être transformé à loisir, rien de tout ce qu’on voit sur les sites d’architecture ou dans les magazines spécialisés n’est réellement atteignable. On va passer sur les lavabos (lavabi au pluriel ?) en métal brossé ou en béton ciré qui désormais sont plutôt des standards, pour s’intéresser à des formes un peu moins courantes, comme ces “cabins” que l’on trouve principalement dans les bois, et de plus en plus également sur les côtes (mais pas du côté du Touquet, je vous le promets). Je vous le dis haut et fort, l’avenir du logement de villégiature n’est plus à la grande maison de 400 mètres carrés en Auvergne ou au lounge à Marrakech, mais bien plutôt à la micro-demeure. Le concept fait fureur et pour des raisons évidentes de coût, est beaucoup plus adapté à cette jolie période dont le maître mot est “pouvoir d’achat”, comme si s’adonner au mercantilisme était un pouvoir en soi.
D’ailleurs en parlant de villégiature, j’ai vu une publicité pour des résidences spécialisées. Vous ne connaissez pas les Sénioriales ? Des résidences spécialisées pour les seniors, confinés, sécurisées et qui, si on regarde un peu Outre-Atlantique ressemblent fort à ces quartiers résidentiels pour classes moyennes aisées, entourés de fils barbelés et de miradors, dans lesquels patrouillent des milices privées pour le plus grand bien des citoyens. Un tel concept présent sur le territoire français me fait un peu peur ; une telle forme de corporatisme (un corporatisme de seniors ?) concentrationnaire, de surcroît cautionné par des organismes privés rappelle qu’aux Etats-Unis, ce sont désormais les fonds de pension qui font la balance de l’économie mondiale. Après le troisième âge, voici venu le temps du Third Age Power.
Ce matin à la radio, j’entends que le promoteur Kaufman & Broad, annonce un plan social drastique consécutif à la perte de vitesse de l’immobilier. Bien, très bien. La politique du promoteur est simple: construire, construire, construire. Parfois, c’est plutôt acheter du terrain aux mairies, mais c’est toujours pour construire. Pas de demande ? C’est pas grave, on construit. De plus, on construit sur des terrains chers, donc pour rentabiliser, il faut vendre cher, cher pour des cages à lapins de luxe qui ont l’air de grandes maisons, mais qui ne sont que des cages à lapins livrées clefs en main, avec peinture sur les volets (attention, ceci est une copropriété, la couleur du volet est #002020) et paillasson fourni à la remise des clefs. Kaufman & Broad, c’est aussi des maisons éphémères, qui au bout de 5 ans nécessitent qu’on refasse le carrelage qui s’est décollé il y a 4 ans, et la tuyauterie aussi a commencé à gronder fort et à fuir dès le troisième jour. Cela dit, pas étonnant quand on embauche des entrepreneurs au black qui se font une joie de travailler le dimanche au mépris de la tranquillité des voisins (non, ceci n’est pas de la diffamation, j’ai vécu cette situation). Alors merde, c’est dommage pour ceux qui vont se faire virer, mais je suis bien content que ça se passe comme ça. Il est temps que les responsables soient punis, comme dirait mon ami l’autre abruti.

Jacques-François Fournols

6 Replies to “L'économie des terres”

  1. “l’avenir du logement [est] à la micro-demeure” – il ne s’agit pas à mon sens d’une question de coûts, mais pour beaucoup, d’une prise de conscience du gâchis et du gaspillage non pas tant de l’espace que des matériaux, des ressources et de l’énergie; ainsi le luxe n’est plus l’espace à l’intérieur (on peut partager un repas fort convivial aussi bien autour d’une table d’1 mètre de diamètre que de 8 mètres de long) mais l’espace à l’extérieur: la tendance est à la maison modeste, économe en énergie et écologique, mais avec vue imprenable sur la montagne/la mer/la campagne/le fleuve/la tour Eiffel 😉

    Quant aux résidences spécialisées (j’avais envie d’écrire “résidences surveillées”) j’ai vu récemment un encart publicitaire pour un “quartier” de ce type, dans une commune pas très loin de Genève (en Suisse, donc). Bien sûr, on n’en est pas (encore) aux miradors et barbelés, mais il s’agit bien de logements exclusifs hyper régentés (je pense à un joli #feeeef pour les volets) et avec des agents de sécurité (apprentis rambos mit bergers allemands) qui patrouillent jour et nuit. Ce type de résidences est le refuge ultime d’une certaine élite qui refuse la promiscuité de la masse…

  2. Si si, acheter est un pouvoir, y’a qu’à voir le développement des épiceries dites solidaires qui proposent de payer pour (enfin !) exister.

    Moi qui croyais bêtement qu’un sandwich t’avait contraint d’arrêter les brindilles …

  3. C’est marrant que tu en parles, il y a un lotissement K*** et Broa*** qui se vend près de chez moi, ça ressemble tellement à Wisteria Lane que c’en est terrifiant ! Avec les jolis petits monospaces familiaux tous pareils garés devant bien alignés. La maison coûte un rein et ça se vend comme des croissants au beurre…(ohé, pouvoir d’achat, où es-tu, pouvoir d’achat ?!)
    Quant aux résidences Séniors…si ça se trouve dans 40 ans on sera bien contents d’être parqués là-dedans plutôt que dans le service de gérontologie au 5é étage d’un CHU anonyme où aucun de nos nombreux petits-enfants ne viendra jamais nous voir… Parce que si ça se trouve, dans 40 ans on deviendra de vieux cons de réacs, on ne sait pas…

  4. Fabienne, ce qui est dangereux là-dedans (bien sûr ce n’est pas une question de seniors), c’est que ça créé des niches sociales qui comme tu le dis, refusent la proximité des autres. Quelle place pour l’Autre dans ce genre d’écart ?

    Colonel Onyx, il en faut plus qu’un sandwich pour m’arrêter 😉 il me faut au moins une casserole de moules !

    FD, personnellement, j’ai décidé de prendre de l’avance et d’être un vieux con réactionnaire depuis que j’ai 34 ans !

  5. c’est là toute la laideur de ces “niches” : l’autre, le non conforme, on s’en débarrasse, on le tient à l’écart et, partant, on n’a plus à faire l’effort de vivre côte à côte, plus à faire l’effort d’être tolérant. ça me rappelle étrangement quelques mots de Nina Simone, dans une de ses chansons rageuses (mais le contexte était très différent): “you don’t have to live next to me, just give me my equality”. Voilà ce que serait le “paradis social”: tous égaux chacun chez soi ?

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