Erik Orsenna et son portrait du Gulf-Stream

Erik Orsenna et son portrait du Gulf-Stream

La première fois que j’ai entendu parler d’Erik Orsenna, c’était lorsqu’il était conseiller culturel de François Mtiterrand, dans les années 80. Les personnages comme lui, proches des grands de ce monde, dans les quasi-secrets d’Etat, sont des gens fascinants de par leur proximité des plus hautes affaires de l’Etat. Il fait partie de ces gens, tels que Jacques Attali ou Régis Debray[1] pour qui j’éprouve à la fois un vif intérêt mais aussi une certaine méfiance, car ce sont des gens capables de tout et surtout du meilleur. Je connaissais Orsenna écrivain, sans pour autant avoir lu aucun de ses livres… Il faisait partie de ces gens qu’on voyait sur les plateaux de télévision, auprès de Bernard Pivot ou de Bernard Rapp et qui parlait avec une telle aisance qu’on ne pouvait faire autrement que de laisser son oreille vagabonder au rythme de ses paroles, la mâchoire légèrement pendante. Aussi, lorsque j’ai appris qu’il avait écrit un livre sur le Gulf-Stream[2], je me suis encore plus méfié. L’incursion d’un romancier dans un domaine aussi confidentiel et surtout aussi peu vendeur que la mer ne pouvait que me laisser encore plus méfiant. Quelques années auparavant, mais pas beaucoup, j’étais tombé en pâmoison devant l’excellent Besoin de mer de Hervé Hamon. Aussi, lorsque j’ai lu la quatrième de couv’ du livre d’Orsenna, je me suis dit que c’était là un livre pour moi. Dans l’ordre logique des choses, j’ai appris qu’il était résident de la petite île majestueuse de Bréhat, et l’été dernier, je le croisais par hasard à la librairie du Renard à Paimpol, en polo bleu marine et bermuda… De quoi désacraliser un homme qui depuis peu est académicien.

Portrait du Gulf Stream : Eloge des courants, Seuil 2005
Erik Orsenna est écrivain de marine et conseiller d’Etat. Il préside le Centre de la mer (La Corderie Royale, Rochefort).

Carte du Gulf-Stream datant de 1858

Photo originale en version haute définition visible sur le site de l’Université du Texas

De retour à Paimpol cet été, je me suis dit qu’il serait logique que j’achète ce livre là où j’avais vu l’homme. C’est un acte significatif pour moi, comme lorsque je me suis acheté Mon frère Yves de Pierre Loti à Paimpol, tout près de la maison dans laquelle il vivait lorsqu’il a également écrit les fameux Pêcheurs d’Islande. Le gardant sous le coude, j’avais également décidé de l’endroit et du moment où je me plongerai dans cette lecture. Pour moi, il n’était pas question de le lire ailleurs que dans le train qui allait me ramener à Paris. Je me suis donc lancé une fois installé dans le train, et je m’émerveillai à chaque page de tant d’érudition et de simplicité. Parler des courants marins est une gageure, le sujet n’est pas forcément très démocratique, mais lorsqu’on est amoureux de la mer, on plonge facilement dedans. Je me souviens de ce passage, situé au raz de Sein où Orsenna se définit lui-même comme un collectionneur de courants marins[3]. Quoi qu’il en soit, ce livre est l’expression d’un amour profond pour quelque chose d’impossiblement appréhensible, un courant qui parcourt la mer, influe sur la navigation et surtout décide en partie du climat de l’Europe et réchauffe (de manière relative) les côtes de l’Atlantique.

Parmi les anecdotes et les légendes relevées autour des courants, en voici quelques unes qui ont particulièrement retenu mon attention.

Depuis 1753, Benjamin Franklin est… le maître des Postes de sa ville (…) Ses employés postiers ne savent plus répondre à la colère de leur clientèle. Pourquoi les bateaux qui transportent le courrier d’Angleterre en Amérique sont-ils tellement plus lents que les navires marchands américains ? Pourquoi faut-il les attendre deux ou trois semaines de plus ?

C’est ainsi qu’on apprend que Benjamin Franklin fut un de ceux qui s’intéressa de près à notre cher courant marin et qui mettra en évidence que ces retards sont dus à l’influence du courant, qui en l’occurrence est un courant porteur.

Orsenne nous parle à un moment d’un certain Pape qui se nomme de fait Henry Stommel, un universitaire spécialiste de l’océanographie, dont il nous dit, laconiquement:

Et quand il trouvait la mer un peu vide, le Pape inventait des îles…

Nous renvoyant vers une référence de livre dont le titre donne l’eau à la bouche: Lost Islands: The Story of Islands That Have Vanished from Nautical Charts, University of British Columbia Press, 146 pages, 1984.

Dans ce livre, il n’est pas seulement question du Gulf-Stream, mais des courants en général et de leur formation, expliquée soit par la météorologie, soit par le dessin du fond marin, soit par la géographie entreprise sous un angle logique. Aussi lorsque Orsenna nous raconte une anecdote, alors qu’il partageait encore les secrets d’alcôve de l’Elysée, racontée par le vice-amiral Pierre François Forissier, on tombe de haut. L’auteur demande au marin comment les sous-marins utilisent les courants. L’homme de mer lui raconte une histoire, une histoire remontant aux Phéniciens qui s’étaient déjà rendus compte que le détroit de Gibraltar, ce goulet qui marque l’entrée de la Méditerranée, était profondément battu par des courants marins forts. Aussi, pour pouvoir affronter les vents violents venant de l’Ouest et les courants de surface concomitants et ainsi passer le détroit, les Phéniciens ont plongé les mains dans l’eau, ou plutôt leurs amarres, et ils se sont rendus compte qu’avec la profondeur, un puissant courant entraînait l’amarre à contre-courant, d’est en ouest. La solution était toute trouvée. Ils allaient accrocher des sacs de pierres à leurs bateaux, se laissant ainsi traîner par le courant, plus fort que le courant de surface et le vent conjugués.

maelstrom

L’homme n’est pas avare lorsqu’il s’agit de partager son savoir, il nous invite à voyager et à découvrir des courants au nom aussi exotiques qu’oniriques: le Saltstraummen[4], le Corryvreckan [5] ou le Old Sow Whirlpool[6]. Voici le trio de têtes des courants marins les plus violents du monde. Sans parler du Fromveur, plus proche, qui parcourt l’extrémité de notre Finistère.

Le livre est tout de même un peu alarmant, sans être alarmiste et nous met devant dees conclusions qui peuvent faire peur. Le Gulf-Stream nous réchauffe, mais qu’adviendrait-il s’il cessait de couler dans notre direction ?

Liens:

 

Notes

[1] Auteur de l’excellentissime Vie et mort de l’image, Une histoire du regard en Occident sur lequel j’ai passé un peu temps pour mon mémoire de maîtrise.

[2] Découvert au hasard d’une promenade dans la rue de Morlaix où l’on peut voir une des plus célèbres maisons à Pondalez.

[3] A cette lecture, je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement avec l’Anti-Oedipe de Deleuze et Guattari. Oser une lecture deleuzienne d’Orsenna est peut-être gonflé, mais la dynamique des flux, cet amour prononcé pour les courants me fait penser aux flux deleuziens, aux flux coupés, notamment lorsqu’il est question de cette initiative pendant la guerre qui consistait à vouloir construire une muraille pour couper le Gulf-Stream et refroidir le climat européen.

[4] Au large des Lofoten, Norvège

[5] Aux alentours de l’Île de Jura, dans les Nouvelles-Hébrides, Australie

[6] Au Nouveau-Brunswick, Canada

Motel Blues

Je n’ai pas l’habitude, et j’aime encore moins ça, de parler des livres que je suis en train de lire, même si je sais qu’au fond je n’en serai pas déçu et que je ne risque somme toute pas grand chose, mais il faut absolument que je dévoile au grand jour cette découverte. Comme souvent chez moi, les livres que je lis sont des découvertes nées d’un mot entendu, d’un conseil lancé à la cantonade, bref, d’un moment suspendu que je finis toujours par attraper au vol. Quelques jours avant d’entrer dans la librairie La Procure à Saint-Sulpice (oui, je sais, c’est une librairie catholique, et alors ? C’est une bonne librairie), j’ai discuté avec Fabienne de Bill Bryson, inconnu parmi les inconnus dans mon bataillon culturel, pour des raisons qui ne regardent personne – non mais, et je n’avais encore entré la totalité des orteils qui composent mes deux pieds dans ce petit temple de la lecture que je tombais sur le rayon Voyages, un simple étal posé à l’entrée, entre l’alarme incendie et le détecteur d’objets volés. Sur une pile en particulier se trouvait un livre à la couverture marron et jaune, a priori pas très engageant, mais sur laquelle était collée une étiquette Notre coup de coeur. Le coup de coeur des libraires d’une échoppe catholique pouvait me laisser croire que j’allais tomber bien bas si toutefois je me Procure-ai ce livre. Le nom sur la couverture ne me disait rien, mais le titre, Motel Blues me plut tout de suite. Bill Bryson, Bill Bryson, bon sang, mais c’est bien sur ! L’auteur en personne. Fabienne ne m’avait pas spécialement parlé de l’oeuvre du bonhomme, simplement de Bill Bryson. Alors je me suis jeté à l’eau, pensant que ça ne pouvait pas totalement être un hasard.

burma shave

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Burma%20shave.mp3]

Et depuis que j’ai commencé à le lire, principalement dans le train, je me surprends à éclater de rire face à tant d’humour. Comme je le disais, parler d’un livre qu’on n’a pas fini n’est pas facile. Je ne peux en aucun cas vous raconter l’histoire, si ce n’est que c’est une traversée des Etats-Unis depuis Des Moines, Iowa[1], dans une grosse Buick. Hilarant, Bill[2] Bryson dépeint un monde de bouseux et de simples d’esprit, mais avec tendresse, jamais méchamment, et très sincèrement c’est à hurler de rire, un livre dans lequel il est impossible de s’ennuyer, même si au bout du compte on tient entre ses mains un document d’une rare valeur ethnographique.

Je me demande si les gens du coin adoptent ces prononciations parce que ce sont des culs-terreux sans éducation ou bien si, connaissant parfaitement la prononciation correcte, ils s’en fichent carrément et se moquent de passer pour des culs-terreux sans éducation.

Absolument décapant et jubilatoire, on appréciera aussi son humour pince sans-rire.

La serveuse arriva. Vous avez choisi ?
– Excusez-moi, il me faut encore quelques minutes.
– Sans problème, dit-elle, prenez votre temps.
Elle disparut de mon champ de vision, compta jusqu’à cinq et revint. Vous avez choisi, maintenant ?
– Désolé, j’ai vraiment besoin de plus de temps.
– ça va, dit-elle et elle repartit.
Cette fois-ci, elle dut bien compter jusqu’à vingt mais j’étais toujours loin d’avoir compris les centaines d’options qui s’offraient à moi, heureux client de la Pizza Hut, quant elle revint prendre la commande.
– V’s êtes pas du genre rapide, vous ! fit-elle remarquer gaiement.
J’étais gêné. Désolé, je ne suis plus dans le coup, je… je sors de prison.
Ses yeux s’agrandirent. Sans blague ?
– Oui, j’ai assassiné une serveuse qui me bousculait.

Alors on comprendra aisément que j’ai une irrésistible envie de parler de ce bouquin. Ce matin, dans le train, les yeux encore éblouis par cette petite blonde aux cheveux désordonnés faisant claquer ses talons penchés sur l’asphalte neuve, dont je n’ai même pas vu le visage, et écoeuré par trop de parfums trop frais, je ne savais plus si je devais rester à écouter Tom Waits[3] ou lire Bill Bryson. Tom ou Bill, Bill ou Tom, Boll ou Tim ? Finalement, l’envie de sourire l’a emporté sur le blues lancinant….

Notes

[1] Oui, quand on parle d’une ville aux USA, il faut toujours préciser le nom de l’état, sinon on pourrait croire que ça se trouve en dehors des frontières, chez les barbares

[2] Foutus Américains qui ne peuvent s’empêcher de raccourcir leurs prénom. William devient Bill, Thomas devient Tom, Herbert devient Herbie, mais quand ce sont des prénoms simples, c’est pas assez compliqué. Norma Jean devient Marylin, quand on n’en est pas à itérer à la manière de John John ou dans un grand souci d’originalité de perpétuer le même prénom sur quatorze générations en ajoutant un junior.

[3] Etrange coïncidence, lorsque Bryson sort du Kentucky pour entrer dans le Tennessee, il croise une pancarte publicitaire pour la marque Burma Shave, qui est également un de mes titres préférés de Tom Waits.

Bonne route à toi voyageur !

L’impression est tenace, les gens fuient… J’ai de plus en plus l’impression d’être à la fois un nomade du désert, un voyageur solitaire, un aventurier intrépide… Ou tout simplement un vagabond. Un clochard dans l’âme… Je viens de recevoir un mail me disant Bonne route à toi voyageur!, comme si d’emblée j’étais toujours ailleurs, toujours parti…

Un jour, quelqu’un m’a dit que je lui faisais penser à Corto Maltese. Je me suis demandé dans un premier temps, si la ressemblance était physique. Corto est grand, ténébreux et mystérieux. C’est un marin de la Marmar. A part l’anneau à l’oreille, le regard sévère, l’amour de l’Océan et le gout pour les arts martiaux, je n’ai pas sa mâchoire carrée, sa fossette au menton, ses cheveux noirs de jais, et sa stature…

Et je me suis dit finalement que ce n’était certainement pas le physique, mais cette manière de jamais être là, d’être finalement toujours déjà parti, toujours au loin et déjà en partance pour une autre destination…

Un voyageur à qui on souhaite toujours bonne route…

Un monde d’odeurs

Une fois n’est pas coutume, je me tape encore le train. En fait j’adore prendre le train. C’est plein de monde et plein de vie, ça change de l’expérience solitaire de la voiture et des embouteillages. Et puis j’adore quand les trains sont annulés, comme ça il y a encore plus de monde qui s’entasse dans les mêmes wagons. On se croirait en partance pour la foire aux bestiaux. Alors dans le vieux train métallique qui va à Gare du Nord, je reste près de la porte, à côté d’un grand type qui ferme les yeux. Et ce connard lève un bras pour attraper la barre, me laissant découvrir tout un monde d’odeurs insoupçonnables !!! Les fragrances délicates du dessous de bras déjà croupi à 7h00 !!! J’ai failli en tourner de l’oeil, et puis je me suis résigné à respirer fortement par la bouche pour éviter le massacre. Désolé, mais je descends à la prochaine, je change de wagon, tiens et puis je change de train du coup. Et là je me retrouve dans un RER qui se bonde au fur et à mesure. C’est ça de laisser les trains à l’arrêt sur le quai, ça se remplit tout seul et tout doucement. J’essaie de ne pas décoller les yeux de mon Hunter S. Thompson, mais je ne peux pas m’empêcher de regarder les gens dans leur fureur du matin. Font chier, tout ça !! Train annulé, retardé, plein de monde, bordel de cul !! Pas beau tout ça. Mais j’adore. Les esprits s’échauffent, tandis que je suis dans le désert du Nevada dans une décapotable au coffre rempli de cachetons prohibés.

On entend des gens se plaindre d’avoir les pieds écrasés et puis il y a cette jolie rousse aux yeux bleus qui me regarde. Me regarde pas, j’te dis !!! Une autre regarde la couverture de mon livre avec un sourire amusé, dont je ne sais s’il signifie une sorte d’approbation ou de moquerie, et puis je m’en tape en fait. Un gros type descend : Voilà, 90 kilos en moins dans le wagon. Tout le monde se marre. Le type en face de moi, avec sa gueule mal rasée et son odeur d’eau de Cologne finit de me donner envie de vomir quand je me retrouve avec le col de sa chemise élimé sous les yeux, ça pue le rance. Et puis à Porte de Clichy, je descends pour laisser ces veaux se ruer dehors et c’est tout juste si j’arrive à retrouver ma place. Tant pis, j’ai la poitrine à hauteur de nez d’une Indienne de cinquante ans. Et arrive ce qui doit arriver en pareilles circonstances. Envie d’éternuer violemment, et ça fait un bout de temps déjà que j’ai mon bouquin fermé par manque de place. Une main qui tient le bouquin, l’autre qui essaie de trouver un point d’appui sur la paroi lisse de la porte métallique et cette envie qui me chatouille. Je me suis lâché et j’ai éternué en plein dans la face de la petite Indienne. Pour toute excuse, je lui souris de toutes mes dents avec l’air idiot du crétin satisfait… Je me sentais tellement soulagé. Le métro est plein de nabots. Je vais finir par écrire un bouquin, avec tous ces voyages en train (et ça rime en plus)…

Jardin Majorelle à Marrakech

Jardin Majorelle à Marrakech

Un petit voyage. Aujourd’hui, sous le climat froid de Paris, je vous emmène à Marrakech, voir le Jardin Majorelle, une demeure magnifique appartenant à Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé.

Toute peinte de bleu et ouvragée dans le plus pur style arabo-andalou, c’est aussi jardin délicieusement agencé où résident des essences rares autour d’un vaste réseau aquatique de fontaines et de canaux.

Voir aussi le site de Helge Fahrnberger, magnifique.

Geziret el-Nabatat

Imaginez-vous sur les bords du Nil, dans une ville grouillante, couleur de sable et d’ocre, chaleureuse à souhait. D’un côté du fleuve nourricier, la ville et ses routes, son brouhaha, de l’autre, une colline. C’est l’heure des ombres qui s’allongent et du soleil qui décroît, des couleurs chatoyantes qui se réchauffent…

Souvenir d’Égypte dans les années 80. Geziret el-Nabatat, l’île des plantes, sur laquelle s’étend le jardin Kitchener, un jardin paisible composé de tâches colorées, de parfums d’un autre monde, au beau milieu de désert et de la poussière. Tout en haut, le mausolée de l’Aga Khan, tout de marbre blanc, et le souvenir de sa silhouette en contre-jour, depuis le bas de la colline. Un peu plus loin, l’île Eléphantine et les temples sacrés. C’est le soir, nous sommes à Assouan en Nubie, la nuit tombe sur l’Égypte, le souvenir de cette belle journée reste présent dans mon esprit. C’est l’heure de plonger dans le souk aux bonnes odeurs d’épices, de ras al-hanout et de cannelle.

La semaine prochaine, je t’emmène en Égypte, en 1989.

The earth died screaming

En 1999, j’ai écrit ce texte d’un seul trait, une nuit un peu désespérée en écoutant The earth died screaming de Tom Waits . Des années plus tard, je redécouvrais cette chanson du groupe America, une de ces chansons que l’on a entendu par le passé et qui reste dans la tête pour se réveiller des années plus tard. En relisant ce texte et en écoutant cette chanson, je me dis que j’étais vraiment inspiré.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/America%20-%20A%20Horse%20With%20No%20Name.mp3]
Je me suis pris pour un oiseau l’espace d’un instant. Je volais avec mes compagnons, serrés en rangs alignés, en formation naturelle. Le grand V que nous dessinions attiraient ceux qui tout en bas avaient le bonheur de croire que nous étions quelque chose comme… un vol d’oies sauvages retournant vers les terres australes au climat plus clément. Nous les avons certainement bernés, car le mois d’août commençait à peine, charriant avec lui son cortège d’orages et de tourbillons de poussière. Le redouté mois d’août… celui qui souvent nous est fatal parce que l’eau du désert vient à manquer.

La course devient une course pour la vie. Le premier qui trouve le point d’eau est béni des dieux et son esprit de solidarité le pousse à partager son butin avec les autres. Ici, tout le monde est dans le même bain… un bain de sueur et de soif. Nous poussons encore plus avant sur les terres arides, chacun gardant avec lui l’espoir secret de trouver ce qui s’appelle la mer… celle qui rafraîchit les corps et délasse les esprits… jusqu’au prochain départ. Je croyais que nous volions, mais nos pas martelaient bel et bien le sol sec, caillouteux à loisir… éreintant. Je savais qu’en continuant vers l’est, nous pourrions trouver un endroit frais pour nous reposer jusqu’à l’aube. Peut-être faudrait-il dès à présent songer à ne voyager que la nuit et nous reposer la journée… Pour cela, il faut être certain qu’à la fin de la nuit, un abri ombragé nous attend.

oregon

Emilio, le bandana plaqué sur le front comme une tâche de sang autour de la tête, les mains déjà moites malgré la relative fraîcheur du matin… son regard se promena nonchalamment de la Mustang poussiéreuse de Blair à la vitrine délabrée du Harry’s-on-the-road, sa crasse inimitable et ses fausses plantes vertes que même la climatisation séculaire n’aurait pas réussi à conserver. Depuis trois jours, au moins, ils avaient tout décidé. L’heure, au petit matin, le moment exact, lorsque le shérif sortirait du café, ce qu’ils allaient faire, dans les moindres détails. Ce que leur minable petite vie ne leur avait jamais procuré, cette journée sans fin allait leur donner; le grand frisson, l’inévitable impression d’être hors-la-loi, d’être des vrais méchants. Blair, assis au volant de ce qui avait été jadis un monstre, venait de jeter sa cigarette par la vitre et fit un signe à son compère, un hochement de tête censé être éloquent. Le shérif monta dans sa voiture, le chapeau vissé sur le crâne. Emilio écrasa son mégot du talon et se dirigea vers la gargote tout en enfournant sa main dans son blouson. Il poussa la porte et adressa son plus beau sourire de sa bouche édentée à la serveuse.

Les hommes sont comme des animaux, ils se battent pour leur subsistance. Mais lorsqu’ils en viennent à tuer, c’est que quelque chose dans la nature les a projetés de l’autre côté du miroir; un homme ne tue jamais pour manger. C’est ce que m’inspira la vue de la ville alors que nous nous étions tous demandé s’il fallait que nous prenions cette direction. Finalement, le plus sage d’entre nous décida de continuer vers l’est, comme prévu. Ce n’était pas tellement la faim qui nous harcelait, mais bel et bien la soif. Même les plus vigoureux commençaient à haleter, à traîner comme des fantômes. La nuit venait doucement, mais aucune signe de rafraîchissement. Aucun signe non plus de nuages annonçant la pluie. Le simple contact de l’eau sur notre corps nous aurait pourtant suffit à trouver un peu de courage pour continuer. Pour l’instant, le moral était au plus bas, dans les yeux de chacun, la mort se profilait doucement, dans un silence que tous redoutaient. Je décidai qu’il ne fallait pas nous arrêter ce soir, qu’il fallait continuer, parce qu’au loin, il y avait forcément de l’eau, le repos, la récompense.

Il lança son regard dans la salle pour évaluer le nombre de clients… pas plus de quatre péquins encore endormis ou déjà à moitié ternis par les premiers alcools. Puis il sourit à Sally, la petite serveuse qu’il connaissait depuis que lui et sa troupe avaient débarqué un soir de bringue alors qu’il ne savait plus quoi faire du côté de Stonetown. Bonjour Sally, tout va comme tu veux? Elle lui rendit son sourire. T’es tombé du lit? Je t’ai jamais vu aussi tôt dans les parages ! Nerveusement, il se passa la main dans les cheveux – il savait qu’il lui faisait un certain effet – et fut secoué par un petit rire mal contrôlé. Nan, je vais chercher du boulot. Y paraît que l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, alors j’ai mis mon réveil et maintenant, je suis là. Tu veux du café? lui demanda t-elle en s’emparant d’un mug rangé sur l’étagère crasseuse. Nan, je veux tout ce qu’il y a dans la caisse, et vite ! Son calme apparent le surprit. Il en fut d’ailleurs un peu décontenancé, surtout lorsqu’il comprit que Sally ne le prenait pas au sérieux. Arrête tes conneries! Tu veux du café oui ou merde? Pour toute réponse, elle eut droit à la vision cauchemardesque d’un canon de revolver pointé entre les yeux.

Il paraît qu’en d’autres temps des hordes de chevaux sauvages sont arrivés par le sud, longeant l’interminable chaîne de montagne, le temps qu’ils puissent se frayer un passage pour retrouver la côte, mais qu’une fois arrivés au seul col capable de les laisser passer, ils sont tous tombés comme un seul, ayant eu le malheur de prendre une corniche trop risquée. Deux milles chevaux entassés au fond d’un ravin, empilés comme les cartes d’un château soufflé par le vent. La peur est avec nous à chaque pas. Dans cette nuit sans nuage, dans l’obscurité parfaite du désert, avec pour seule guide les millions d’étoiles au-dessus, pas un seul d’entre nous n’est capable de se diriger. J’ai l’impression que nous perdons la direction. Tant que le soleil est avec nous, on peut faire avec. Suivre le soleil est un repère comme un autre et cela nous permet d’appréhender une réalité qui nous dépasse. L’est semble hors de portée, et ce sont à chaque pas les mêmes paysages qui nous taraudent, les mêmes caillasses blessantes, le même sable qui nous pique les yeux, la même caresse brûlante qui dessèche notre peau déjà crevassée par endroits.

Blair s’assurait que le moteur ne lui ferait pas défaut en donnant des petits coups d’accélérateurs nerveux. Sous la capot brinquebalant s’époumonait le moteur poussif, tandis que la porte vitrée du bar vola en éclats, la maigrichonne Sally l’ayant rencontré avec une certaine force. Emilio, un sac à la main, le revolver calé dans l’autre, sortit comme une furie et ramassa le poignet de la serveuse au passage, l’entraînant vers la voiture. Le moteur vrombissait et la portière était à peine fermée que déjà la gomme des pneus avait marqué de son empreinte le bitume défoncé de Central Street. Bon dieu! gueula Blair, qu’est-ce que c’est que ce bordel! Tout en essayant de maintenir la voiture sur la route, il pesta comme jamais. Au moment où il brailla le plus fort, Emilio se trouva projeté contre Sally, lui donnant un coup de tête qui l’assomma instantanément, et dans la virage qui menait vers la cimenterie, le bas de caisse s’écrasa contre le sol après un nid de poule, crachant des gerbes d’étincelles en tous sens. Il eut du mal à garder le contrôle, persuadé qu’un pneu avait éclaté, puis il se cala sur la ligne droite, reprenant ses esprits. C’est alors qu’il remarqua les traces de sang sur le pare-brise et sur le capot que la vitesse essuyait peu à peu. Le vieux Peacock n’avait pas résisté au choc.

Le chemin qui mène au paradis est plus long que celui qui mène en enfer. Nous nous en rendions compte à chaque nouveau pas. Laissant derrière nous des gerbes de poussière, nous ne savions même plus pourquoi nous nous courrions. Les herbes brûlées par le soleil accompagnaient notre course insensée. Regardant toujours droit devant, nous commencions à nous persuader que la nature nous en voulait pour nous faire connaître de telles souffrances, des douleurs dans les muscles, l’atroce sensation de ne plus avoir de gosier tellement la salive venait à manquer. Le soleil de plomb écrasait nos ombres sur le sol, jusqu’à ce qu’enfin, surpris par le répit, nous pûmes nous réfugier à l’ombre d’une cavité rocheuse, une sorte de canyon abrité, où le vent au contact de l’ombre renaissait plus frais que partout ailleurs. Je savais pertinemment que cela ne durerait qu’un temps. Il faudrait repartir sous peu. Une seule obsession: l’eau.

Putain de merde, pourquoi tu l’as prise avec toi? T’avais vraiment besoin de l’emmener? Blair braillait comme un porc qu’on égorge, tandis qu’à côté d’Emilio, la jeune Sally baignait dans son sang, le visage cisaillé par les éclats de verre et ses bras dénudés aussi rouge que si elle avait porté un pull. Sur la banquette arrière, Emilio tentait d’arracher avec les dents une pointe de verre qu’il avait reçu dans le creux du bras, plongé dans un silence de mort. Y’a combien dans le sac? J’espère que ça vaut le coup au moins ! Blair ne se tenait plus, il avait envie de chialer et de se recroqueviller pour ne plus continuer à voir tout ce sang qu’il n’assumait pas, mais il n’en eut pas le temps car déjà, il entendait les sirènes de ceux dont le reflet lui parvenait dans le rétroviseur. Une des voitures noires et blanches sembla se propulser par une force incroyable au niveau de la Mustang. Le shérif dévisagea Blair. Dans ses yeux, la haine et le dégoût… il lui fit signe de se ranger sur le côté, mais son geste resta en suspens, sans qu’il eut le temps de se rendre compte… qu’il n’était plus là… Emilio avait visé entre les yeux… Une boule de feu surchauffa l’air lorsque la voiture du shérif sortit de la route et percuta un poteau.

Je n’en peux plus. Plutôt que de continuer à vivre, je veux mourir, et je sais que je ne suis pas le seul. Beaucoup d’entre eux semblent s’éteindre. Leur regard ne signifie plus rien, il n’y a plus de volonté… seulement l’envie pressante que tout ceci se termine d’une manière ou d’une autre. Jamais je n’aurais pu croire que cela se terminerait aussi mal, même si on me l’avait prédit. Quelques-uns ne se sont pas relevés. Beaucoup trop sont morts, certains mourront bientôt. Ma langue ressemble à une éponge sèche et gonflée, je ne sais déjà plus ce qu’est la salive. Il y a celui-ci à côté de moi, qui se lève et comme pris de folie, il se débat, comme aux prises avec des démons invisibles, il saute dans tous les sens et prend son élan… se met à courir comme un dément… et plusieurs autres le suivent sans réfléchir. Tous, nous comprenons qu’il n’y a plus rien à espérer, alors nous partons tous, comme une nuée d’insectes et nous courrons du plus vite que nous pouvons, ce n’est plus qu’une question de minutes.

Blair écrasait le champignon: une seule destination… la ligne blanche de cette route défoncée, des larmes coulaient sur ses joues poussiéreuses, creusant des ravines d’abandon, il gémissait comme une fillette apeurée, sanglotant bruyamment. Jamais il ne s’était senti aussi minable, aussi petit. Il n’eut pas le temps de méditer plus sur sa condition, maintenant que la voiture déboulait le long d’une corniche abrupte. Au détour du virage, un mur lui faisait face, un mur couleur terre du désert… une ligne de chevaux en furie lui coupait la route et se déversait dans le vide, vers le fond… il en percuta trois avant de zigzaguer et de sentir son coeur se soulever comme si on le portait vers le néant…

J’ai senti mes jambes se dérober sous moi… un grand fracas, une explosion au loin, le vent est passé au-dessus de moi… quelque chose m’a empêché de suivre les autres. J’attendrai la mort au bord du vide.


Les paroles de la chanson:On the first part of the journey
I was looking at all the life
There were plants and birds and rocks and things
There was sand and hills and rings
The first thing I met was a fly with a buzz
And the sky with no clouds
The heat was hot and the ground was dry
But the air was full of soundI’¢ve been through the desert on a horse with no name
It felt good to be out of the rain
In the desert you can remember your name
’cause there ain’t no one for to give you no pain
La, la …After two days in the desert sun
My skin began to turn red
After three days in the desert fun
I was looking at a river bed
And the story it told of a river that flowed
Made me sad to think it was dead

You see I’ve been through the desert on a horse with no name
It felt good to be out of the rain
In the desert you can remember your name
’cause there ain’t no one for to give you no pain
La, la …

After nine days I let the horse run free
’cause the desert had turned to sea
There were plants and birds and rocks and things
There was sand and hills and rings
The ocean is a desert with it’¢s life underground
And a perfect disguise above
Under the cities lies a heart made of ground
But the humans will give no love

You see I’ve been through the desert on a horse with no name
It felt good to be out of the rain
In the desert you can remember your name
’cause there ain’t no one for to give you no pain
La, la …

Guy de Maupassant, Conte de Noël

Le docteur Bonenfant cherchait dans sa mémoire, répétant à mi-voix : ” Un souvenir de Noël ?… Un souvenir de Noël ?… ” Et tout à coup, il s’écria : – Mais si, j’en ai un, et un bien étrange encore ; c’est une histoire fantastique. J’ai vu un miracle ! Oui, mesdames, un miracle, la nuit de Noël. Cela vous étonne de m’entendre parler ainsi, moi qui ne crois guère à rien. Et pourtant j’ai vu un miracle ! Je l’ai vu, fis-je, vu, de mes propres yeux vu, ce qui s’appelle vu. En ai-je été fort surpris ? non pas ; car si je ne crois point à vos croyances, je crois à la foi, et je sais qu’elle transporte les montagnes. Je pourrais citer bien des exemples ; mais je vous indignerais et je m’exposerais aussi à amoindrir l’effet de mon histoire. Je vous avouerai d’abord que si je n’ai pas été fort convaincu et converti par ce que j’ai vu, j’ai été du moins fort ému, et je vais tâcher de vous dire la chose naïvement, comme si j’avais une crédulité d’Auvergnat. J’étais alors médecin de campagne, habitant le bourg de Rolleville, en pleine Normandie. L’hiver, cette année-là, fut terrible. Dès la fin de novembre, les neiges arrivèrent après une semaine de gelées. On voyait de loin les gros nuages venir du nord ; et la blanche descente des flocons commença. En une nuit, toute la plaine fut ensevelie. Les fermes, isolées dans leurs cours carrées, derrière leurs rideaux de grands arbres poudrés de frimas, semblaient s’endormir sous l’accumulation de cette mousse épaisse et légère. Aucun bruit ne traversait plus la campagne immobile. Seuls les corbeaux, par bandes, décrivaient de longs festons dans le ciel, cherchant leur vie inutilement, s’abattant tous ensemble sur les champs livides et piquant la neige de leurs grands becs. On n’entendait rien que le glissement vague et continu de cette poussière tombant toujours. Cela dura huit jours pleins, puis l’avalanche s’arrêta. Là terre avait sur le dos un manteau épais de cinq pieds. Et, pendant trois semaines ensuite, un ciel clair, comme un cristal bleu le jour, et, la nuit, tout semé d’étoiles qu’on aurait crues de givre, tant le vaste espace était rigoureux, s’étendit sur la nappe unie, dure et luisante des neiges. La plaine, les haies, les ormes des clôtures, tout semblait mort, tué par le froid. Ni hommes ni bêtes ne sortaient plus : seules les cheminées des chaumières en chemise blanche révélaient la vie cachée, par les minces filets de fumée qui montaient droit dans l’air glacial. De temps en temps on entendait craquer les arbres, comme si leurs membres de bois se fussent brisés sous l’écorce ; et, parfois, une grosse branche se détachait et tombait, l’invincible gelée pétrifiant la sève et cassant les fibres. Les habitations semées çà et là par les champs semblaient éloignées de cent lieues les unes des autres. On vivait comme on pouvait. Seul, j’essayais d’aller voir mes clients les plus proches, m’exposant sans cesse à rester enseveli dans quelque creux. Je m’aperçus bientôt qu’une terreur mystérieuse planait sur le pays. Un tel fléau, pensait-on, n’était point naturel. On prétendit qu’on entendait des voix la nuit, des sifflements aigus, des cris qui passaient. Ces cris et ces sifflements venaient sans aucun doute des oiseaux émigrants qui voyagent au crépuscule, et qui fuyaient en masse vers le sud. Mais allez donc faire entendre raison à des gens affolés. Une épouvante envahissait les esprits et on s’attendait à un événement extraordinaire. La forge du père Vatinel était située au bout du hameau d’Epivent, sur la grande route, maintenant invisible et déserte. Or, comme les gens manquaient de pain, le forgeron résolut d’aller jusqu’au village. Il resta quelques heures à causer dans les six maisons qui forment le centre du pays, prit son pain et des nouvelles, et un peu de cette peur épandue sur la campagne. Et il se mit en route avant la nuit. Tout à coup, en longeant une haie, il crut voir un œuf dans la neige ; oui, un œuf déposé là, tout blanc comme le reste du monde. Il se pencha, c’était un œuf en effet. D’où venait-il ? Quelle poule avait pu sortir du poulailler et venir pondre en cet endroit ? Le forgeron s’étonna, ne comprit pas ; mais il ramassa l’œuf et le porta à sa femme. ” Tiens, la maîtresse, v’là un œuf que j’ai trouvé sur la route ! ” La femme hocha la tête : ” Un œuf sur la route ? Par ce temps-ci, t’es soûl, bien sûr ? – Mais non, la maîtresse, même qu’il était au pied d’une haie, et encore chaud, pas gelé. Le v’là, j’me l’ai mis sur l’estomac pour qui n’refroidisse pas. Tu le mangeras pour ton dîner. ” L’œuf fut glissé dans la marmite où mijotait la soupe, et le forgeron se mit à raconter ce qu’on disait par la contrée. La femme écoutait toute pâle. ” Pour sür que j’ai entendu des sifflets l’autre nuit, même qu’ils semblaient v’nir de la cheminée. ” On se mit à table, on mangea la soupe d’abord, puis, pendant que le mari étendait du beurre sur son pain, la femme prit l’œuf et l’examina d’un œil méfiant. ” Si y avait quelque chose dans c’t’œuf ? – Qué que tu veux qu’y ait ? – J’sais ti, mé ? – Allons, mange-le, et fais pas la bête. ” Elle ouvrit l’œuf. Il était comme tous les œufs, et bien frais. Elle se mit à le manger en hésitant, le goûtant, le laissant, le reprenant. Le mari disait : ” Eh bien ! qué goût qu’il a, c’t’œuf ? ” Elle ne répondit pas et elle acheva de l’avaler ; puis, soudain, elle planta sur son homme des yeux fixes, hagards, alliolés, leva les bras, les tordit et, convulsée de la tête aux pieds, roula par terre, en poussant des cris horribles. Toute la nuit elle se débattit en des spasmes épouvantables, secouée de tremblements effrayants, déformée par de hideuses convulsions. Le forgeron, impuissant à la tenir, fut obligé de la lier. Et elle hurlait sans repos, d’une voix infatigable : ” J’l’ai dans l’corps ! J’l’ai dans l’corps ! ” Je fus appelé le lendemain. J’ordonnai tous les calmants connus sans obtenir le moindre résultat. Elle était folle. Alors, avec une incroyable rapidité, malgré l’obstacle des hautes neiges, la nouvelle, une nouvelle étrange, courut de ferme en ferme : ” La femme du forgeron qu’est possédée ! ” Et on venait de partout, sans oser pénétrer dans la maison ; on écoutait de loin ses cris affreux poussés d’une voix si forte qu’on ne les aurait pas crus d’une créature humaine. Le curé du village fut prévenu. C’était un vieux prêtre naïf. Il accourut en surplis comme pour administrer un mourant et il prononça, en étendant les mains, les formules d’exorcisme, pendant que quatre hommes maintenaient sur un lit la femme écumante et tordue. Mais l’esprit ne fut point chassé. Et la Noël arriva sans que le temps eût changé. La veille au matin, le prêtre vint me trouver : ” J’ai envie, dit-il, de faire assister à l’office de cette nuit cette malheureuse. Peut-être Dieu fera-t-il un miracle en sa faveur, à l’heure même où il naquit d’une femme. ” Je répondis au curé : ” Je vous approuve absolument, monsieur l’abbé. Si elle a l’esprit frappé par la cérémonie (et rien n’est plus propice à l’émouvoir), elle peut être sauvée sans autre remède. ” Le vieux prêtre murmura : ” Vous n’êtes pas croyant, docteur, mais aidez-moi, n’est-ce pas ? Vous vous chargez de l’amener ? ” Et je lui promis mon aide. Le soir vint, puis la nuit ; et la cloche de l’église se mit à sonner, jetant sa voix plaintive à travers l’espace morne, sur l’étendue blanche et glacée des neiges. Des êtres noirs s’en venaient lentement, par groupes, dociles au cri d’airain du clocher. La pleine lune éclairait d’une lueur vive et blafarde tout l’horizon, rendait plus visible la pâle désolation des champs. J’avais pris quatre hommes robustes et je me rendis à la forge. La possédée hurlait toujours, attachée à sa couche. On la vêtit proprement malgré sa résistance éperdue, et on l’emporta. L’église était maintenant pleine de monde, illuminée et froide ; les chantres poussaient leurs notes monotones ; le serpent ronflait ; la petite sonnette de l
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nfant de chœur tintait, réglant les mouvements des fidèles. J’enfermai la femme et ses gardiens dans la cuisine du presbytère, et j’attendis le moment que je croyais favorable. Je choisis l’instant qui suit la communion. Tous les paysans, hommes et femmes, avaient reçu leur Dieu pour fléchir sa rigueur. Un grand silence planait pendant que le prêtre achevait le mystère divin. Sur mon ordre, la porte fut ouverte et les quatre aides apportèrent la folle. Dès qu’elle aperçut les lumières, la foule à genoux, le chœur en feu et le tabernacle doré, elle se débattit d’une telle vigueur, qu’elle faillit nous échapper, et elle poussa des clameurs si aiguës qu’un frisson d’épouvante passa dans l’église ; toutes les têtes se relevèrent ; des gens s’enfuirent. Elle n’avait plus la forme d’une femme, crispée et tordue en nos mains, le visage contourné, les yeux fous. On la traîna jusqu’aux marches du chœur et puis on la tint fortement accroupie à terre. Le prêtre s’était levé ; il attendait. Dès qu’il la vit arrêtée, il prit en ses mains l’ostensoir ceint de rayons d’or, avec l’hostie blanche au milieu, et, s’avançant de quelques pas, il l’éleva de ses deux bras tendus au-dessus de sa tête, le présentant aux regards effarés de la démoniaque. . Elle hurlait toujours, l’œil fixé, tendu sur cet objet rayonnant. Et le prêtre demeurait tellement immobile qu’on l’aurait pris pour une statue. Et cela dura longtemps, longtemps. La femme semblait saisie de peur, fascinée ; elle contemplait fixement l’ostensoir, secouée encore de tremblements terribles, mais passagers, et criant toujours, mais d’une voix moins déchirante. Et cela dura encore longtemps.

Under the sea & far away

Photos souvenirs d’une journée d’automne magnifique où nous avons mangé sur les bords du canal de l’Ourcq, où nous avons fait un voyage étriqué sous les mers du globe dans une carcasse de métal, et où nous avons flirté avec les turbots et les airs…

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Chronique des temps (ter)

Il y a quelques temps maintenant que je gardais ce billet sous la main. Franck m’a honteusement entraîné sur un site et depuis, je revis (certainement comme lui) mes instants de jeunesse lorsque je jouais avec le circuit électrique de mes oncles… Si vous avez connu ça, vous vous laisserez forcément convaincre… C’est ici. Il suffit de choisir son véhicule, de construire son circuit, et c’est parti…. Pour avancer cliquez sur votre voiture en bas…. Amusez-vous bien.

Je ne résiste pas à la tentation de suivre une blogueuse dans son voyage. Elle se fait appeler Coyote des neiges et se trouve actuellement en Gaspésie. Voir que son compagnon aime les phares est un réconfort pour moi, ce qui me permet enfin de voir des phares sur un blog. Ici le jour 1 et ici le jour 2, j’attends la suite avec impatience….

De l’autre côté du monde, David nous donne à voir un petit bout d’automne (L’automne à Jingoji). Chacun de ses billets est pour moi un véritable objet de contemplation et je pense que je finir par aller l’ennuyer pour qu’il me fasse quelques fonds d’écran…

Retour au calme avec un très beau billet d’Enro sur la Tamise…. Un air de campagne british. (J’en profite également pour signaler la présence de ce billet sur Zatoïchi).

La surprise du jour, c’est la découverte de La Cité Des Mortes. Je ne vous en dis pas plus….

Tamise© EnroWeb