Notes triviales prises au fur et à mesure des jours pour tromper l'ennui et faire un peu semblant

Voilà. C’est une époque révolue. A Monterey, 17 juin 1967.
Quand je l’écoute, je me dis que personne ne fera jamais rien comme elle…

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janis_joplin

Un pull-over rose moulant à col roulé, elle lit une BD ; seins ronds parfaitement soulignés. Seulement des phylactères autour d’elle.

Pantalon gris à fines rayures, des cheveux poivre et sel, un blouson gris qui semble tout droit sorti de l’armée russe pendant la guerre de Crimée.

Chemise noire et cravate rouge, petite moustache bien taillée, trois-quart noir en feutre, il porte avec sa cinquantaine le clinquant du pégriot, ou du maquereau.


Montures de lunettes épaisses, un manteau de velours doublé en fourrure, il semble retranscrire sur son cahier des notes enregistrées sur un lecteur portable.

Assise à côté de moi, une peau mate délicieuse et uniforme, toute de blanc vêtue, odeur sucrée de miel, insupportable et dérangeante.

Jeune fille brune aux cheveux bouclés, visage fin d’ange à la peau blanche, balance la tête en écoutant de la musique. Personne autour, du moins le croit-elle.

Une autre, blonde grande et fine, même attitude, même solitude. Personne autour, du moins le croit-elle. Son image dans la vitre lorsque le métro file à toute vitesse dans les tunnels sombres.

Rue Louis Rouquier, au 15, un immeuble datant de 1891, très fin, avec un encorbellement métallique peint en vert métropolitain finement sculpté, et derrière des stores de marine, un buste tournant le dos à la fenêtre. Au 39, un étrange immeuble mêlant art déco et gothique flamboyant ; au rez-de-chaussée, un studio d’enregistrement.

Un boucher porte cape blanche à capuche.

J’ai beaucoup écrit aujourd’hui. Rempli de sensations intenses, d’images qui m’étranglent de satisfaction, de souvenirs obscènes de ces visions diurnes et harassantes.

Le métro entre dans la station – crissements interminables des freins sur les roues métalliques – le premier wagon de la rame dépasse, il est arrêté et plus un bruit dans la station, silence de mort. Deux petits phares jaunes en guise d’unique signe de vie. Le conducteur ne bouge pas d’un poil derrière sa vitre fumée.

Un baiser interminable et langoureux dont le flux est coupé par les portes qui se ferment, un au-revoir, le train qui part, il court le long du quai pour la suivre du regard et tendre une main fébrile. Un vieux cliché mais qui fonctionne toujours.
Laurent est à Montréal. Moi je reste là.

Nouveaux produits, nouveaux comportements et nouvelles habitudes. Depuis l’arrivée des journaux gratuits, les sièges vides dans les trains et les métros sont truffés de ces feuilles de choux abandonnées, mais ça ne ressemble pas à de la négligence, plutôt à un passage de relais.

Le Siège Social de l’Alliance des Travailleurs a été réhabilité. Rue Anatole France. Jolie seconde vie. Mais elle abritera certainement des bureaux très chics. Anecdotique.

Deux fois aujourd’hui, je me suis montré d’une galanterie soignée, distinguée et discrète, sans ostentation. J’ai reçu en retour deux grands sourires tendres.

Trouvé un jeu très très drôle. J’achète un journal quotidien, Libération, et je le pose sur mon bureau dans la journée. Je lis les nouvelles fraîches deux semaines après.

J’ai failli me faire renverser par une conne qui préférait regarder les maisons du quartier plutôt que de regarder sa route. Elle a ralenti alors j’ai cru qu’elle voulait me laisser passer, mais elle a redémarré tandis que j’étais au milieu de la rue. L’espace d’un instant, je me suis vu mort, propulsé sur le capot, démembré, ou pire, les deux genoux brisés.

Suite des notes réalistes.

Bruce Chatwin et ses Moleskine

Moleskine

Je pris une douche et préparai mon sac. J’y entassai une pile de mes vieux carnets noirs. C’étaient les carnets qui m’avaient servi pour le livre sur les nomades et que j’avais conservés quand j’ai brûlé le manuscrit. Je n’avais pas ouvert certains d’entre eux depuis au moins dix ans. Ils renfermaient un méli-mélo de notations presque indéchiffrables, de « pensées », de citations, de brèves rencontres, de notes de voyage et d’embryons d’histoire… Je les avais apportés en Australie car je comptais bien m’isoler quelque part dans le désert, loin des bibliothèques et du travail des autres hommes, et jeter un regard neuf à leur contenu.

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Notes réalistes

Il a neigé toute la nuit. Vingt bons centimètres au réveil, un frisson sur l’échine – tout le corps refroidi et le chauffage au sol qui s’est abstenu. A la radio, j’apprends que Charlton Heston est mort. Et sur Libé.

Dans les coulisses de «Libération» (Heston, on a un problème…)
par Gérard Lefort – lundi 7 avril 2008

Au service Culture de Libération, aucune nécrologie n’est prête à l’avance. Sauf pour Julien Gracq et pour quelqu’un d’autre… Et quand elles existaient, notamment au service Cinéma, elles s’évanouirent dans les limbes de l’informatique suite à une vidange malheureuse. Cette improvisation à chaud donne l’avantage d’une certaine fraîcheur émotive mais expose aussi à quelques approximations («Non, chéri, Jean Vilar n’est pas le père d’Hervé Vilard»), surtout quand le grand mort a la mauvaise idée de disparaître vers 21 h 30, soit une petite heure avant le bouclage du journal. Charlton Heston ayant eu la délicatesse de mourir «dans les temps», dimanche matin (heure de Paris), sa nécrologie est moins précipitée. Mais déclenche les réflexes habituels entre le «Oh non, pas lui !», un début de fou rire à pasticher la scène de la visite aux lépreuses dans Ben-Hur et le décompte inquiet de ceux qui restent : «Quelqu’un a le portable de Kirk Douglas ?» Pour la photo, le dilemme fut bref entre le déluge d’images d’agences et le portrait inspiré que nul autre n’aura, puisqu’il fut commandé par Libération à Richard Dumas en 1997.

Ma première pensée est de me dire qu’il est dommage qu’il n’emporte pas avec lui le bourbier de la NRA.

Let it snow...

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Le plus grand de tous les écrivains n’a sans doute jamais écrit une seule ligne.

Hier soir, j’ai passé ma première soirée dehors en terrasse, face aux tours illuminées de la Défense, sans la mer à l’horizon ni le cri des sternes au dessus de la tête, il faisait encore un peu frais mais la journée a été lumineuse ; le vendredi soir arrivé il y avait dans l’air une ambiance de laisser-aller tant attendu, quelque chose qui a fait surface. L’estomac bien rempli, une tasse de café brûlant sur les lèvres, je commençais à ressentir les prémices de la belle saison au milieu de milliers de lucioles carrées tapissant le ciel et illuminant tout autour. Il fallait que je me sente bien ; la fatigue fatigue saine de cette fin de semaine me remplissait comme une cuvette de chiotte bouchée. A l’écart des foules, je me suis trainé le long du tube de lumière et de verre duquel je pouvais voir tout un monde évoluer sous mes pieds à une heure tardive. Imperceptible et discret, planant au-dessus de leur tête, j’éprouvais une puissance infinie de ne plus être vu, ne faire partie d’aucun champ de perception. Ce matin, je suis un peu énervé. Mais vivant et fort.
Ces deux dernières années ont été fort constructives pour moi.

Les gens véhiculent tous les clichés possibles et imaginables à leur insu, creusant un écart entre ce dont ils veulent se détacher et leurs aspirations, ce qui leur confère une lisseur* intime terriblement prégnante. Ceci a valeur de déclaration universelle, il n’y a pas lieu de penser que c’est une question de conjoncture ou une question locale. Le Français n’est pas une exception, du moins l’espérai-je.

* lisseur: ce n’est pas parce qu’un mot n’existe pas qu’il ne faut pas l’inventer.

En sortant du métro bondé, un des boutons de mon caban s’accroche à l’un des passants du trench-coat d’une fille que je bouscule. En forçant un peu, elle finit par m’apostropher.
« Monsieur, vous m’embarquez avec vous… dit-elle sur un ton très maitrisé.
– C’est une question, lui demandé-je ?
– Non.
– Dommage… »

Temps de brûme et de soleil, les verts lumineux des arbres, les roses des fleurs accrochées aux branches, un manteau trois-quarts mandarine, les yeux fatigués pleins de larmes, une joie futile accrochée aux lèvres. Quand je baille, il y a comme une déformation acoustique. Björk change de voix.

Elle porte sur elle le raffinement du noir, des gants aux talons aiguille, une finesse qui confine à la folie du détail. S’asseoit entre deux autres personnes. Est-elle en deuil ? Les yeux tournés vers la noirceur du tunnel, vers l’ombre ténébreuse des rails sur le sol, elle semble d’une tristesse ineffable, une tristesse qui a la vanité de la rendre follement belle.

Un manteau cloche à la Audrey Hepburn, les cheveux ramenés en arrière comme dans les années 50. Elle lit Anna Karenine…
La machine à café me demande sur un ton péremptoire de faire l’appoint, mais têtu, je lui donne quand même une pièce de 50cts à manger, elle me sert mon café et ne me rend pas la monnaie, la chienne. Ici le café est de plus en plus cher, de plus en plus court et de plus en plus dégueulasse.
Quelqu’un a oublié sa paire de bas sur la fontaine à eau. Elle traine là depuis hier. C’est vrai que c’est l’endroit rêvé pour retirer une paire de bas filés.

Mosaïques

Suite des Notes heuristiques et lapidaires.

Écrire nu

40th Street

Retour au lit. Et à l’insomnie. Cette femme. Comme je l’aimais ! Les sinuosités de son corps, la faim dans son regard traqué, la fourrure de son col, les échelles de son collant, l’oppression dans la poitrine, la couleur de son manteau, l’éclair de son visage, le picotement au bout de mes doigts, la filature élastique dans la rue, la lueur froide des étoiles, le mouvement têtu du croissant de lune, le goût de l’allumette, l’odeur de la mer, la douceur de la nuit, les dockers, le claquement des boules de billard, les notes perlées de musique, les ondulations de son corps, le rythme de ses talons, son pas décidé, le vieux avec son livre, la femme, la femme, la femme.
J’ai eu une idée. J’ai rejeté mes couvertures et bondi hors du lit. Une idée fantastique ! Elle m’a emporté comme un avalanche, une maison qui s’écroule, un vitre qui explose. J’étais fébrile, fou d’excitation. Il y avait des feuilles de papier et des crayons dans un tiroir. Je les ai ramassés avant de foncer à la cuisine. Il faisait froid dans la cuisine. J’ai allumé le four et laissé sa porte ouverte. Assis nu, j’ai commencé à écrire.

John Fante, La route de Los Angeles

Notes heuristiques et lapidaires, Fenêtres sur le monde

Raymond Depardon - Voyages

Raymond Depardon – Voyages

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La langue sur les dents, lisses comme le désespoir. Une question me vient: « Y a-t-il un rapport entre Eros et érosion ? »
Nicolas Bouvier : « Le marxisme me semble vraiment un message venu du froid. Dans les pays chauds, ça ne donne aucun résultat. » Source.
J’ai mis longtemps à comprendre que je pouvais écrire en regardant les gens dans la rue, pas en étant assis derrière mon écran d’ordinateur. Qu’il fallait que j’invente des histoires, que je créé des personnages, que je plante des décors.

Ce matin par la fenêtre le ciel est clair par endroits, immenses draperies de gris métal ondulantes sur quelques rares taches bleues nimbées de lumière de sable, la pluie a décidé de se chasser toute seule. Prêt à partir, j’ai mis dans ma poche intérieure de quoi écrire dans le train. Je sais que je vais avoir froid aux mains en marchant jusqu’à la gare, à moins que je ne réussisse à attraper le bus en cours de route. La radio crache un morceau de Charleston posé sur l’actualité comme une cuiller de miel sur de la pâtée pour chien.

Le bus a des mouvements chaloupés, violents, j’arrive au fond du véhicule et je me vautre sur un de ces fauteuils propres à faire aimer les voyages courts. Une fille vulgaire admire ses lèvres dans un miroir de poche, leur fait faire toutes sortes de contorsions étranges dont je n’arrive pas à saisir le sens. Peut-être a-t-elle les lèvres gercées. J’ai le soleil dans l’œil – je rêve au pays du soleil éternel. Celui qui me met les coudes dans les côtes sur les banquettes du train semble avoir la bougeotte, ses mouvements brusques me dérangent, je déteste ça, j’ai envie de l’interpeler et lui demander se calmer un peu. Les cocaïnomanes dès le matin, très peu pour moi. Le train s’arrête, panne d’électricité, en pleine voie, le silence se fait, un silence lourd et reposant, sans soufflerie, sans bruits de frottements, de rails, de métal pincé, écartelé, un silence qui me donne soudain envie de dormir, répit de quelques secondes avant de repartir; le chauffeur est une brute, il freine comme un sauvage. J’ai pris avec moi le seul livre que je pensais être capable de pouvoir lire aujourd’hui. Fante, encore. Welsh n’est pas passé, Vieuchange est fait pour le soir, avec un bon oreiller sous la tête, et je n’ai pas tellement envie de m’investir à nouveau dans quelque chose qui m’est totalement inconnu. Fante est un peu comme un membre de la famille, suffisamment connu pour ne pas me déplaire, suffisamment profond pour ne pas me laisser sur ma faim. C’est un peu comme la trompette de Miles Davis ou la voix de Tom Waits, un jeu quotidien, une voix qui parle doucement à l’oreille avec familiarité. Le doux confort tranquille des visions sans surprise.

Temps gris neutre, journée gris neutre. Au travers de ma fenêtre, j’ai une soudaine impression de platitude comme dans un tableau de Matisse. Vue sans relief.

Ce midi, je mange seul et en silence, je ne sais pas si c’est bon pour ce que j’ai mais au moins, j’ai la légère sensation de flotter dans une sorte de bulle sans repli dans laquelle je peux me sentir à mon aise. Personne sur le plateau, à ma nouvelle place je domine tout. J’ai toute latitude. Une plage de sable noire, la question récurrente qui se pose “peut-on aimer en dehors de Paris la romantique ?” et l’autre également “Ai-je vraiment l’envergure d’un écrivain ?”. Des questions, du sable, le bruit des voitures cinq étages plus bas qui me parvient parfois comme le bruit du ressac, je me laisse bercer par la douce chaleur qui m’envahit après le repas.

Ce mois de mars n’en finit pas de s’étirer comme un vieux collant filé ou une vieille culotte à l’élastique craqué. Pourtant, parfois, j’aimerais que le temps s’étire de manière différente, avec la grâce corrompue d’une belle femme qui ôte ses sous-vêtements chics après un dîner mondain.

Une femme toute fine, toute en longueur, avec un pantalon court près du corps. J’ai du mal à me concentrer sur mon livre. Ses souliers pointus sur des collants clairs. A la naissance de ses cuisses, cette chair plus opulente et légèrement déformée par l’assise. Quelque chose de terriblement sensuel.

Des cuisses comme ça, des jambes comme ci, une poitrine comme ça, le visage comme ci et des cheveux de telle couleur… Le désir, un impossible carcan.

Le bus m’est passé devant, alors j’attends le prochain comme une feignasse qui se respecte. J’ai le temps d’en voir passer des voitures et des gens, heureux de rentrer chez eux. Soleil de fin de journée, douce caresse d’un printemps encore timide. Mes yeux plissent de fatigue.

Gun

John à la mer, John à quatre pattes en train de renifler et de se demander s’il ne pourrait pas écrire un poème sur le bord de l’océan à Pacific Palissages et moi tourmenté des boyaux qui me demande toutes les cinq minutes si je ne vais pas finir par vomir dans le train sur ma voisine d’en face tellement je suis mal et j’ai peur de continuer à me vider comme je me suis vidé cette nuit. A côté, des collants noirs dans des talons hauts. Vision absurde. J’ai encore la nausée, ma lecture glisse en moi tout doucement. Non, là, je voudrais écrire, m’asseoir à ma table de travail et pianoter sur le clavier jusqu’à plus soif. Derrière moi une fille raconte ses vacances en Bretagne, trop de mots en trop peu de temps, je suis noyé – envie de silence qui me replonge dans un cocon de douceur. La conjugaison des odeurs, des bruits et de tous les éléments visuels de mon espace direct finit par m’exaspérer – trop plein d’informations croisées.
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L'année du sommeil, le monde du silence, les stigmates de l'errance

Draps

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Feist, The Water

Voici venu le temps où l’on doit se remettre en question – le devoir est-il réellement présent ? – ou tout au moins se poser des questions sur ce que l’on a fait, sur l’éventuelle bonne marche de sa propre vie – ai-je été bon ou mauvais ? -, d’où l’immense trouble dans lequel on se jette soi-même. Un trouble inutile.

En regardant derrière soi, on ne voit parfois que la somme imperceptible, la fausse appréhension d’un monde que l’on n’arrive pas à saisir dans son intégralité, que l’on laisse pantelant dans le sillage de nos pas assourdis, comme si l’empreinte n’avait guère plus de substance qu’un battement de cil ou que le vol d’un papillon matitudinal. On ne se rend pas toujours compte du mal qu’on fait, des traces qu’on laisse dans la chair de l’autre, pas plus que les autres ne se rendent compte de ce qu’il font. Il y a dans ce jeu de dupes infernal un aveuglement certain en ce qui concerne le mal de la chair. On se met à regretter, à devenir incroyablement susceptible, à vouloir des revanches incompréhensibles, à fomenter des coups d’état émotionnels. Ne reste que l’errance.

Depardon, l'errance

En lisant les mots de Depardon sur l’errance, je me demande tout à coup si ce n’est pas cet état précis qui me ronge:

Je parlais de mon projet au Docteur Grivois, qui dirigeait encore à cette époque le service psychiatrique de l’Hôtel-Dieu à Paris où j’avais tourné le film Urgences.
Il connaissait bien l’errance des errants qu’on amène à l’hôpital.
– Est-ce qu’on peut être normal et errer ?
– L’errance, c’est une conduite, sans but déclaré. Moi, je considère que l’errance est un phénomène normal dans l’humanité, comme si le fait d’être ensemble, partout, engendrait de l’errance. Mais il y a une errance très différente, une façon psychotique d’errer. On parle d’errance, ici à l’Hôtel-Dieu, car l’errance est étroitement liée à l’entrée en psychose. Souvent ça tourne mal. Cette errance-là nous ne la voyons jamais ou très tard. Justement parce qu’elle est assez normale.
– Qu’est-ce que vous faites pour eux ?
– Il y un moment où tout bascule, c’est le moment où ils se disent : je suis le centre du monde. Je les vois à un stade où cela ne va plus du tout, ils ont perdu le sommeil, ils ne mangent plus, ils sont sales et cela peut durer de quelques jours à quelques semaines. Alors ils ont besoin d’être assistés. Leur famille est à leur recherche. On n’a pas le droit de les laisser. Peut-être dans certaines cultures, en Afrique par exemple, c’est mieux toléré. Je n’en suis pas sûr.
– Pourquoi en soignez-vous plus à l’Hôtel-Dieu qu’ailleurs ?
– Parce que Paris est la capitale d’un pays très centralisé. Notre-Dame et l’Hôtel-Dieu sont au centre de Paris. Notre-Dame, c’est quand-même la maison de Dieu et l’Hôtel-Dieu à côté ! Beaucoup d’errances françaises convergent donc vers Paris.
– Et les Parisiens ?
– Eux, ils vont vers l’ouest, comme le soleil… [1]

Et lorsqu’il s’interroge sur le sens de ce mot, l’errance, voici ce qui me pose question:

Pour la définition d’errements, cela devenait plus confus. Il y avait «s’égarer, faire fausse route, se tromper» et la racine du latin médiéval – iterar – «voyager, aller droit son chemin». [2]

Iterare en bas-latin n’est-il pas également la forme verbale de la répétition, comme si l’errance n’était finalement qu’une répétition du voyage ? La répétition dans l’erreur ? J’y vois plus clair tout à coup.

Et au risque de passer encore pour un grand cynique désabusé, il ne reste plus qu’à souhaiter pour l’avenir à tout ceux que j’aime ou que j’apprécie que tout se passe pour le mieux, et pour les autres, que leur bonheur soit proportionnel à leur potentiel d’humanité. Je pense à deux personnes en particulier en cette fin d’année, histoire de me flageller une dernière fois. Une qui m’a oublié sans le faire exprès, l’autre qui a tout fait pour. Il est temps pour moi d’enterrer les restes de ces cadavres pourrissants et de revenir à la vie.

L’année prochaine sera visuelle… ou ne sera pas. A l’instar de ces belles journées d’hiver sans soleil, mes jours seront chaleureux et humains, des temps de contemplation, des journées où la lumière restera allumée pour guider les bateaux de pêcheurs, et comme le disent les habitants de Tromsø, il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que de mauvaises tenues.

Notes
[1] Raymond Depardon, Errance, Seuil.
[2] ibid.

J'habille les gosses et on y va

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Prends ton manteau et on y va qu’elle dit – oula mais où ça donc ? Ben on va voir le ptit hein mais quel petit je réponds ben celui qui vient de naître y’a trois mois – waow génial, j’avais pas noté ça dans mon agenda et la perspective de passer mon samedi après-midi à aller voir le ptit qui vient de naître y’a trois mois me revitalise d’un seul coup, sur le coup je me dis qu’on va bien se marrer mais je sais que je vais vite déchanter et puis m’ennuyer ferme – on arrive, on sonne ouais c’est nous, entrez allez-y donc, c’est à quel étage déjà ça fait une éternité, merde je sais plus attends je re-sonne ouais c’est à quel étage, ben pfff deuxième ah ok pardon, on arrive, c’est nous. La porte au deuxième s’ouvre, il est derrière la porte, salut toi, je te serre la main ou bien. Allez-y entrez qu’il dit, il a les yeux rouges et des valises sous les yeux asseyez-vous on se fait une bisounette avant ? Ben désolé hein mais le ptit qui vient de naître y’a trois mois est en train de dormir il a mal dormi cette nuit et nous aussi enfin surtout lui parce que moi ça va je dors bien.
Lui : Ouais…
En attendant on va prendre un tithé non qu’est-ce que vous en pensez avec des tigâteaux et puis des titrucs à grignoter parce que moi j’ai faim pas vous ? Alors j’ai plus de thé mais on va en boire un quand-même chéri tu peux faire chauffer de l’eau s’il te plait pour un tithé… blablabla Continue reading “J'habille les gosses et on y va”

Lily Spengler ou le scintillement, un air d'opéra en six actes, dont un sexuel

1. Le silence s’épuise en douceur. La ville meurt petit à petit, les lumières se taisent – appuyé sur la rambarde du pont je ressens les vibrations de ceux qui indolents marchent encore à cette heure non répertoriée – je ne sais pas quelle heure il peut être – le vent me brise les oreilles et s’insinue sous mon manteau comme une traîtrise acérée, la Seine ne fait aucun bruit, elle ne bruisse pas, ni ne plique ploque – elle ne fait que renvoyer les éclairs incisifs des réverbères plantés sur les berges comme autant de bornes kilométriques sur une route ondulante, il est certainement tard, ou tôt, ou peut-être suis-je déjà en enfer, j’allume une dernière cigarette et je recrache la fumée d’un seul coup et je tousse à m’en tordre l’estomac, c’est dégueulasse, je n’en peux plus – mes yeux s’éteignent avec le silence, je ne l’ai pas sentie s’approcher de moi.

[audio:http://theswedishparrot.com/xool/mj_a_cl.xol]

2. Je vois son parfum flotter autour d’elle comme une nimbe mystique, boisé et sauvage, un grand couturier, elle se pose à côté de moi, bras sur la rambarde et regarde au loin comme si la Seine serpentante filait à l’horizon me donnant tout à coup à voir un océan ridulé s’insinuant à l’envi sous nos pieds et l’infini au-delà des ponts aux épaisses jambes, regard malicieux et cheveux au vent glacé, perverse amoureuse adorable, pas un seul regard accordé, juste son odeur féminine et rugueuse, elle entrouvre les lèvres, lèvres flamboyantes pour me dire deux ou quelques mots qui déjà retombent emportés par le flot je ne l’écoute pas, je ne les écoute pas, il fait froid et mes yeux pleurent son image s’enfuit et se brouille, moi vers elle qui me regarde maintenant des yeux noisette sombre intense, pleins d’audace et de fierté, elle a envie de m’aimer, c’est ce qu’elle me dit. C’est ce que je comprends.

La Robe

3. Nous avons marché pendant quelques minutes en fumant et en nous disant des mots que je garde près de moi comme un souffle brûlant, elle me tenait par la main en regardant par terre et en me jetant quelque fois un regard lourd de désir, puis nous sommes allés ici, dans ce lieu que j’aime tant – là où les lumières rosées capturent l’obscurité au ras du sol, là où les lumignons de la couleur des oranges mûres laissent sur les tables basses leurs reflets dorés et apaisants et derrière le bar l’agitation des maids qui sans cesse remettent sur le comptoir des plateaux pleins de légumes crus taillés en longs morceaux que l’on plonge dans des bols de sauce qu’il faut manger accompagnés de quelques de coupes de Champagne – et nous ne parlons pas, rien, pas un mot juste ses yeux fichés dans les miens, de grand yeux dans lesquels je ne vois rien, pas de lendemain mais finalement je ne sais pas, je ne sais rien d’elle et je n’ai pas besoin de lui dire quoi que ce soit – c’est avec son corps qu’elle me parle et qu’elle ondule dans une danse délicate faite de vaguelettes – ses mots sont des attitudes et des cris déchirants de passion – entre deux verres de brume je respire le parfum de ses cheveux – ils me disent de me rapprocher d’elle et de prendre ses lèvres. Elle me les refusera plus d’une fois.

4. J’exprime des excuses minables parce que je n’ai pas voulu la voir et sa voix au téléphone me dit que je suis indigne d’elle, c’est certainement vrai alors j’invoque des mots et des dieux spécialement inventés pour elle – mais rien ne la calme – jusqu’à ce que je lui avoue qu’elle me terrifie et me glace sur place, terreur froide – je la sens se raidir et c’est le calme qui l’emporte – elle parle doucement et me demande de venir la voir tout de suite – une incantation – je ne refuse pas comment le pourrais-je – j’ai envie de la voir, elle me ronge comme une ingestion de vitriol détruit mes organes et me vide de l’intérieur – je descends les marches quatre à quatre (la porte ouverte de l’appartement ?) et manque de m’éclater les dents contre la rampe je cours de plus en plus vite à bout de souffle je dévale la rue jusqu’au carrefour prends à gauche et j’arrive à l’arrêt juste au moment où le bus un signe de la main repart m’attend ouvre ses portes – je m’engouffre en sueur…

5. Elle m’ouvre la porte presque nue dans son peignoir de satin, sans complexe et me dit de rentrer me prend la main viens ici toi et je m’exécute sans rien dire la sueur au front j’ai monté l’escalier éreinté et j’ai sonné sans attendre – elle me dit de m’asseoir dans ce fauteuil elle va dans la cuisine faire chauffer de l’eau pour le thé et de temps en temps me regarde comme pour me surveiller faire attention que je ne m’enfuie pas mais je ne pars pas – je ne veux pas je n’en ai pas envie je ne peux pas je suis bien là avec toi – tu veux un thé elle me dit euh non pas vraiment ça fait pisser moi j’en prends un elle me dit avec son sourire celui qui me fait rougir de honte – elle boit son thé et me parle de son chat je n’aime pas son chat il me regarde avec défiance comme si j’étais un intrus éviscérateur de chat alors que je me fous de lui tout ce que je veux c’est qu’il ne s’en prenne pas à mes chaussettes ou à mon caleçon, sale chat de merde avec ses yeux qui me triturent l’âme – elle fait tomber sa tasse alors que je suis en train de reluquer son chat et elle elle se jette sur moi comme une fauve sans prévenir et elle me prend encore la main et m’indique le chemin de sa poitrine et moi comme un fou je prends déjà son peignoir que j’ouvre en grand – sa peau douce ses seins généreux – elle m’emmène avec elle dans la chambre me plaque contre le mur puis se retourne me fait changer de place je ne sais plus quoi faire je ne sais pas ce qu’elle veut, elle me fait tourner la tête, son parfum et ses cheveux – j’ai l’impression de devenir dingue – dingue de son désir pour moi – elle est face au mur et respire fort je sens son souffle elle m’étourdit – ma main glisse sur son ventre et descend le long de ses cuisses, enfermée entre les deux elle me sert fort et m’invite à la fois – ses yeux sont ouverts elle fixe le lit de son regard dur – pendant que je la caresse elle ne cesse de regarder fixement et je la sens terriblement prête respire de plus en plus fort envoûtés par nos odeurs elle me renverse sur le lit et je me cogne contre le sol – elle me prend – elle m’a pris elle m’a volé je suis déjà mort… elle me dit deux mots à l’oreille que je ne comprends pas.

Moogjam

6. Mon téléphone sonne mais ce n’est pas elle – je raccroche. Elle m’a rappelé une fois mais je n’étais pas là et depuis plus rien. son message était laconique et sans substance, tu me manques elle m’a dit I miss you. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue, elle est certainement partie au Brésil ou dans un pays où je n’irais jamais et je ne sais pas où je pourrais la chercher et encore moins la trouver pas plus que je ne connais qui que ce soit qui la connaisse, juste une adresse et personne qui sait ce qu’elle est devenue elle est partie volatilisée je ne sais où. Moi aujourd’hui, je ne vis plus parce que je reste avec ce désir d’elle que je n’arrive pas à éteindre et j’ai du mal à oublier cette chambre avec ce petit balcon duquel je pouvais voir tout Paris où je n’ai passé qu’une nuit à peine, nuit violente et nuit violée.
Lily Spengler est partie.
Elle n’a en fait rien dit.

Domino days

1

– J’ai pris le parti d’écrire même lorsque par exemple je suis dans le train. Lire ou écrire, voici des actes qui ne font pas perdre de temps, car j’ai trouvé l’environnement idéal pour m’exprimer. J’écoute souvent Roland Kirk et c’est quelque chose qui risque de devenir récurrent. Désormais, avant de prendre un livre, je me demanderai si je n’ai pas quelque chose à écrire. Il faudrait vraiment que dans le train, je ne fasse qu’écrire, décrire les gens, inventer des histoires, profiter de ce moment de repos pour mettre mon imagination à contribution. Soit je me force, soit j’attends que ça vienne, mais généralement, je n’ai pas ce genre d’effort à faire. Quoi qu’il en soit, le jazz est beaucoup moins déprimant que le blues, plus entrainant, plus reposant aussi, et j’ai du mal à faire sans mon petit Roland Kirk dans les oreilles. Pour l’instant, j’écris. Quand j’en aurai les moyens et la disponibilité je passerai au sexe.
– Tu as raison, c’est une activité autrement plus amusante.
– Oui, mais pour ça, il faut du temps et des conditions favorables. Un peu comme quand on veut prendre la mer. Il ne faut pas partir sans bateau.
– C’est un peu idiot ce que tu dis, mais je comprends l’idée.
– Tu vois, j’aimerais envisager des petites scènes, des micro-clichés, des instantanés enjolivés, magnifiés, transcendés… juste des portraits, des descriptions de moments…
– Doucement sur les énumérations, quand-même, ça fait sale.
– J’étais dans le train. Il y avait à l’autre bout du wagon, une jeune fille avec de longs cheveux teints au henné, elle portait des lunettes aux montures épaisses. Je l’ai regardée longtemps jusqu’à temps que son regard croise le mien et je crois que ça l’a gêné.
– J’imagine… Vieux pervers, va !
– Lorsqu’elle a vu que je la fixais, la seconde fois qu’elle a croisé mon regard, je pense qu’elle était tellement gênée qu’elle ne savait plus où regarder, à droite, vers moi, à gauche, vers moi.
– La pauvre, tu as dû la rendre folle.
– En tout cas, elle a rougi. Et du coup, elle s’est avachie dans le fauteuil de telle sorte que je ne puisse plus la voir. Quand elle est descendue du wagon, j’ai pu voir dans son regard qu’elle savait que c’était fini.
– Et toi aussi tu le savais non ?
– Oui bien sûr, ce genre de choses n’arrive presque jamais et si on ne fait rien sur le coup, c’est terminé. Ça n’arrivera plus, c’est trop tard.
– Avec une autre ?
– Oui mais pas tout de suite, le potentiel de séduction s’est évaporé, et ça ne marche pas non plus à tous les coups.

2

– C’est pas compliqué non plus, tu écris un petit peu tous les jours.
– Qu’il y ait une fille à proximité ? Ou pas ?
– Ça n’a rien à voir, enfin je ne crois pas.
– Tu veux dire que tout n’est pas affaire de sexe.
– Non bien sûr, pas tout, ça en fait partie, grandement, mais ce n’est pas tout.
– Je ne pensais pouvoir t’entendre dire un jour ce genre de conneries.
– Ouais, tu as raison, c’est idiot. Mais on peut très bien écrire sans en parler non ?
– Je suppose.
– Le truc, c’est qu’à chaque instant, il faut se placer dans une situation particulière ; se demander si ce qu’on vit à l’instant présent, à chaque instant, est quelque chose qui mérite d’être écrit ou de susciter une histoire.
– Et c’est pour ça que tu notes tout ?
– Oui absolument. je ne veux rien perdre, même si mes notes finissent par s’entasser.

3

– Ce matin, j’ai suivi une fille dans les couloirs du métro entre le RER et le quai.
– Encore ?
– Oui mais attends, celle-ci était superbe. Elle portait un tailleur noir cintrée, très class, et ses longs cheveux bruns et bouclés venaient recouvrir ses épaules. Pas maquillée du tout. Elle devait être arabe, ou peut-être espagnole, je ne sais pas.
– Ouais et puis on s’est fout en fait.
– Je l’ai suivi lorsqu’elle est descendue du train et on s’est retrouvé dans la même rame du métro. En fait, c’est elle qui est venue vers moi. Dans la rame, elle s’est posée contre la porte et elle me regardait fixement.
– Et toi tu faisais semblant de bouquiner, comme d’habitude ?
– Exactement. Et tu ne sais pas ce qu’elle a fait ?
– Je sens que je vais le savoir.
– Elle s’est rapproché de moi tout doucement, j’avais sa poitrine et son décolleté sous les yeux, juste à côté de mon bouquin.
– Aie, tu devais être mal.
– Non, j’ai très bien géré la situation.
– Et tu as fait quoi ?
– J’ai plongé mon regard entre ses seins, des petits seins ronds et bronzés, un très léger voile de dentelle noire les recouvrait.
– Waow
– Comme tu dis, j’étais bien là. Je bougeais plus. Je pense qu’elle a beaucoup apprécié. Mais elle s’est enfuie et je ne l’ai jamais revue.

4

– Parfois, j’aimerais avoir un appareil photo pour prendre tout ce qui me semble beau au moment où je le vois.
– C’est à dire ?
– Hier soir, je marchais derrière une fille avec des jambes pas très jolies.
– Ça commence mal.
– Oui mais il y avait du vent qui venait de derrière.
– Ça devient intéressant.
– Et le vent plaquait sa robe légère contre ses fesses, elle avait des fesses superbes. Sa robe était cintrée, mais juste sous les seins, très étrange.
– Un petit air champêtre non ?
– Voilà. Et plus je m’approchais d’elle, plus j’avais l’impression qu’elle n’avait pas de culotte.
– C’est vrai ?
– Je ne sais pas, je ne suis pas allé voir.

5

– Dis-moi, c’est pas la saison pour porter un short ?
– Ben si, on est au mois de juin quand même.
– Oui, d’accord, mais il ne fait pas chaud.
– C’est vrai.
– Je viens de voir une fille en short, avec un blouson.
– Il faut croire qu’elle devait avoir chaud au cul.
– Ouais…

6

– Le problème avec le vélo, c’est qu’en faire alors qu’on – je veux dire, les femmes – porte une jupe ou une robe, c’est prendre des risques.
– Des risques minimes, somme toute.
– Oui mais réfléchis deux secondes. Tu es une femme superbe, tu portes une robe printanière, et tu prends ton vélo. Est-ce que tu n’as pas peur que les hommes cherchent désespérément à regarder tes sous-vêtements ?
– Je ne porte pas de sous-vêtements de femme.
– Oui, mais tu es une femme en l’occurrence. Sérieusement.
– Disons que si je suis une belle femme, j’aime à imaginer que les hommes se retournent sur mon passage pour tenter de voir mes sous-vêtements. Même si je n’en porte pas.
– Tu n’en porterais pas ?
– Je ne sais pas, peut-être que si j’étais une belle femme, je ne serais pas pudique.
– Je te le dis tout de suite, tu serais une femme, tu ne me plairais pas du tout.
– Et pour tout te dire, je m’en tape complètement.

7

– Tu te rends compte que si on était au 16è siècle, nos discussions seraient censurées.
– Je pense surtout qu’il y a longtemps qu’on nous aurait pendu par les couilles.
– Y’a de grands chances.
– Et puis imagine que si on avait écrit tout ça, on se serait retrouvé lapidé en place publique.
– Je pense même qu’on nous aurait condamné, avec un chef d’inculpation du genre “sodomie”.
– Ouais, ben heureusement qu’on est au XXè.
– Non, XXIè maintenant.
– Oui, c’est vrai.

8

– L’autre jour au marché, j’étais avec mon fils, chez le poissonnier. Mon fils regarde la poissonnière avec des yeux ronds comme des billes, comme d’habitude. Elle lui dit “oulala, tu as les yeux qui pétillent mon bonhomme… petit coquin”
– Ça c’est vrai que ton bout de chou, il respire la joie de vivre.
– C’est pas tout ! Elle le regarde et puis elle me regarde, et là, elle me dit “Ah, c’est le même regard…”
– Ben c’est normal…
– Oui mais elle n’a pas dit à moi que j’étais un petit coquin.
– Tu voulais qu’elle te demande en mariage ?
– Euh nan, pas la poissonnière, nan nan.
– Bon ben alors, de quoi tu te plains.
– Ouais, nan, fais comme si j’avais rien dit.

9

– Je vais te dire un truc, ces dernières années, je me suis rendu compte d’une chose.
– Ah oui ? La quelle ?
– Je pense que depuis quelques temps, les femmes me voient vraiment comme un homme dangereux.
– Un homme dangereux ? Comment ça ?
– Je pense qu’elles me voient comme un prédateur.
– Cela dit, elles ont raison, c’est ce que tu es.
– Oui mais je crois que ça se voit, ou alors qu’elles le sentent.
– Ça ne serait pas étonnant, les femmes sentent quand elles sont en péril.
– Oui mais je pense aussi que les hommes me voient aussi comme un homme dangereux.
– Il faut croire que les hommes aussi sentent quand ils sont en péril.
– C’est ce que je crois aussi.
– Tout le monde a peur de toi… Salaud.
– Ils n’ont pas peur, ils me voient simplement comme une menace potentielle.
– Bourreau des coeurs, va !

10

– J’ai vu une fille hier soir, j’en rêve encore.
– Bon Dieu, mais tu penses un peu à autre chose ?
– Non, pourquoi ?
– Et donc ?
– Elle était assise derrière son mec, sur un scooter.
– Et c’est ça qui t’a fait rêver ? Il t’en faut peu.
– Non, c’était ces jambes, des jambes interminables. Elle portait des collants gris dans des bottes en daim grises.
– C’est tout ?
– Non, elle portait une chemisier aussi, et une minijupe grise, c’est rare les filles à poil sur un scooter, tu sais.
– On ne sait jamais.
– Oui ben là non. Et puis je ne sais pas si tu as remarqué mais c’est souvent que les filles qui accompagnent un mec sur un scooter sont magnifiques, portent des minijupes prêtes à craquer à cause de leur position sur le siège, enserrant les cuisses de leur mec, ça me fait fantasmer ce genre de truc.
– Ben écoute, la façon que tu as de présenter les choses me donne tout à coup envie de m’acheter un scooter.
– Oui enfin, ça ne fait pas tout non plus.
– Mais c’est vrai ce que tu dis, jamais on ne m’a serré avec ses cuisses comme ça.
– Ouais, hein ? Ça fait rêver…

11

– Parfois, j’aimerais bien, quand je passe près d’une terrasse où il y a plein de filles, j’aimerais bien qu’on m’interpelle et qu’on me demande de venir m’asseoir parmi toutes ces jeunes beautés fraîches.
– Mais ça n’arrive jamais ?
– Non.
– Remarque, dis-toi une chose, c’est que si les filles sont en entre elles à la terrasse d’un café, c’est qu’il y a une raison.
– Ah oui et laquelle ?
– C’est que c’est un moment pendant lequel elles ne veulent pas s’embarrasser de la présence des hommes, tu vois ?
– Pour se raconter des trucs de filles ?
– Oui, j’imagine.
– Oui ben n’empêche, c’est pas une raison.
– Si.
– Oui, bon OK. Autrement dit, j’ai dit une connerie.
– Presque.

12

– Je suis monté dans le train. Dans le premier wagon, il était prêt à partir.
– C’est rare les trains qui partent à l’heure.
– Celui-ci avait décidé de partir à l’heure. J’ai cherché une place et c’est là que j’ai vu une jolie fille, un peu ronde, avec les cheveux courts.
– Tu t’es assis à côté d’elle ?
– Non. Pourtant, j’avais décrété que c’était la plus jolie du wagon.
– Etrange, tu es malade ?
– Non, j’ai pas osé, c’est tout.
– Ouais, tu es malade.
– Bref, je me suis assis près de la fenêtre et là, une autre plus jolie fille du wagon est venue s’asseoir à côté de moi.
– Ah ben tu vois, si tu ne vas pas à elles, elles viennent à toi.
– Je pense aussi, mais j’étais tellement crevé qu’en fait, je ne me suis pas intéressé à elle.
– Oula, y’a un truc qui ne va pas chez toi.
– Par contre, dans ces trains-là, il y a un porte bagage au dessus de nos têtes. Autrefois, c’était des filets, mais maintenant, c’est du plastique transparent et du coup, en se positionnant bien, on peut voir les gens qui sont deux ou trois sièges devant, c’est intéressant.
– Ne me dis pas que tu as passé ton temps à regarder ?
– Non, j’ai lu un peu. Mais j’ai passé pas mal de temps dans le décolleté de la fille qui se trouvait juste devant moi.

13

– Je vais finir par passer pour un incorrigible mateur.
– Ce que tu es !
– T’es un jeune trentenaire en pleine santé, si tu matais pas les femmes, je me ferais du souci pour toi.
– Oui mais je veux pas passer pour un grognard qui a la dalle.
– Oui bon OK. Tu peux mater discrètement aussi. T’es pas obligé de te lécher les lèvres et de te toucher les parties génitales quand tu reluques.
– Tu as raison, je suis quelqu’un de discret.

14

– Pourquoi certaines femmes tiennent leur sac à main dans le creux de leur bras, la main relevée ?
– Je ne sais pas… Certainement parce que… Non, je ne sais pas.
– Ça leur donne l’air con, je trouve.
– Tu me permets de ne pas avoir d’avis sur la question ?
– Parfaitement.
– Désolé hein…
– Mais je t’en prie.

15

– Dis-moi un truc, tu sais, la vaisselle cassée, c’est un mythe non ?
– Euh, comment ça, je ne vois pas ce que tu veux dire…
– Oui tu sais, les scènes de ménage avec de la vaisselle cassée.
– Oui je vois, mais pourquoi demandes tu si c’est un mythe ?
– En fait, je me disais que je n’avais vu ce genre de scène.
– Et donc, parce que tu n’en as jamais vu, c’est un mythe ?
– En quelque sorte.
– Oui mais, ce genre de scène, c’est plutôt privé, ça se passe rarement en pleine rue.
– Sans blague. Non, ce que je veux dire c’est que parfois, tu entends des gens se chamailler parce que les fenêtres sont ouvertes.
– Ouais, je vois ce que tu veux dire.
– Et dans ces cas-là, tu entends rarement de la vaisselle qu’on casse.
– C’est pas faux.
– Et puis tu vois, je me dis que pour casser dans la vaisselle, il faut se trouver dans la cuisine. Parce que si tu en train de t’engueuler avec ta femme dans la chambre, ou dans la salle de bain, tu ne vas tout de même pas aller dans la cuisine, ouvrir le placard et jeter par terre quelques assiettes, histoire de casser des assiettes, parce que par exemple, ça fait bien de casser des assiettes quand on s’engueule.
– C’est pas idiot ce que tu dis.
– Pourquoi ? D’habitude, je dis des conneries ?
– T’es con.
– Ben… Tu viens de dire le contraire.
– Ta gueule. Mais sinon, je pense que tu dois avoir raison, la vaisselle cassée, ça doit être un mythe.
– Ben voilà. Encore un mystère de résolu.

16

– Elle était toute jeune, je ne suis même pas certain qu’elle puisse avoir plus de vingt ans…
– C’est pas vrai ?
– Mais si, par contre, les deux autres, elles s’en tapaient comme de leur première chemise.
– Merde alors.
– Je te jure, elle s’appelait Aïda, comme l’opéra. Elle avait de longs cheveux noirs bouclés, un minois coquin. Incroyable.
– Et elle te dévorait du regard, comme ça ?
– Absolument, je t’assure qu’elle était prête à me manger tout crû.
– Merde, c’est pas à moi que ça arriverait ce genre de trucs.
– En même temps, tu peux pas savoir si tu ne regardes pas les jeunettes.
– Je vais y songer.
– Moi je dis, y’a rien de plus gratifiant qu’une petite minette qui croque un vieux de trente berges comme moi.

17

– Une chose est certaine, c’est pas le vendredi soir qu’on peut faire des rencontres dans les supermarchés.
– Pourquoi ça ?
– Waterloo, morne plaine.
– Ah. A ce point ?
– Rien, nif de nif, nada. Rien de valable.
– De toute façon, le vendredi soir, je ne fais pas mes courses.
– Ça c’est un scoop.
– Je préfère le samedi soir, c’est là que tous les petits jeunes achètent leurs bières pour leurs soirées bitures.
– Ah tiens, j’avais jamais envisagé les choses comme ça.
– Tu devrais penser de temps en temps.
– Connard.

18

– Qu’est-ce que tu aimerais faire le matin en te réveillant?
– Regarder un petit cul de dix-huit ans qui te sourit dès que tu ouvres les yeux.
– Rien que ça.
– Ouais.
– Tu dis ça parce que tu n’as pas un cul de trente ans qui te sourit quand tu te réveilles.
– Là tu as touché un point sensible.
– Honnêtement, je connais des culs de trente ans qui valent bien ceux de dix-huit.
– Tu me les présenteras ?
– Pas question.
– Jaloux.

19

– J’ai remarqué que dans les magasins de vêtements pour femmes, il y avait souvent… des éléments…
– Oui ?
– Comment dire…
– J’attends.
– Des éléments étrangers, ridicules.
– Comment ça ? Je ne comprends pas.
– Les hommes.
– Les hommes ?
– Oui, les hommes qui sont avec leur femme dans les magasins de fringues.
– Tu peux développer ?
– Ben, quand tu regardes les hommes qui suivent leur femme dans ce genre de magasins, ils ont l’air perdu, ils suivent comme des petits chiens, d’un air absent et détaché.
– Et ?
– Je pense qu’ils s’emmerdent.
– Ce n’est pas moi qui te dirait le contraire.

20

– Oui ? Tu voulais dire quelque chose ?
– Oui.
– Je t’écoute.
– Je te trouve un peu macho parfois.
– Macho ? Moi ? T’es dingue ou quoi.
– Si, je trouve que tu parles des femmes avec irrespect.
– Tu débloques mon pauvre.
– Ah oui ? Et pourquoi ça ?
– Parce que j’aime les femmes, j’aime leur beauté et leur pouvoir de séduction, j’aime leur manière de provoquer les hommes, parfois de manière inconsciente, j’aime quand elles montrent leur décolleté de manière à faire détourner les regards.
– Oui mais parfois, tu es limite.
– Je suis limite rien du tout. Simplement, je m’exprime. Là où d’autres, hypocritement, se taisent.
– Tu as marqué un point.
– Non mais !

21

– J’adore le quai du métro.
– Le quai ?
– Oui.
– Il existe des endroits un peu plus sympathiques que le quai du métro.
– Hmmmm pas sûr.
– Bon vas-y explique.
– J’ai remarqué que le quai du métro à l’heure où les gens sortent du travail ont quelque chose de romantique, de très sensuel. Lorsqu’il fait chaud, on y voit des femmes en tailleur qui tombent leur veste, on sent quelque chose de relâché, de détendu, et c’est à ce moment là que je sens les femmes les plus vulnérables.
– Il suffirait d’un rien.
– D’un pas grand chose. C’est ce que je me disais hier lorsque je perdais mon regard sur le poitrine blanche de cette japonaise toute fine, son cou lisse et doux.
– Tu as touché ?
– Non, mais j’ai beaucoup d’imagination.

22

– Aujourd’hui, c’était la journée des petits seins.
– Pardon ?
– Aujourd’hui, c’était la journée des petits seins.
– Oui ça j’ai entendu mais ça veut dire quoi ? C’est comme la journée de la femme ? La journée des droits de l’homme ?
– Non, mais aujourd’hui, je n’ai regardé que des femmes qui avaient des petits seins.
– …
– Ouais.
– Et alors ?
– C’est beau les petits seins, c’est mystérieux. Ça a quelque chose d’intemporel. J’imagine que certains hommes ne regardent pas ces femmes à la poitrine plate, même si elles sont très belles.
– Je trouve ça triste.
– Oui, moi aussi. Ce n’est qu’injustice. Et puis caresser des petits seins, je trouve ça incroyablement excitant.
– Fais quelque chose.
– Oui, je vais faire ça. Réparer l’injustice des femmes qu’on ne regarde pas parce qu’elles ont des petits seins.
– Tu vas t’y prendre comment ?
– Je vais compenser le regard inexistant des autres hommes.

23

– Rien n’est plus amusant que de tourmenter une belle femme.
– Tu me fais peur, parfois.
– Non, n’aies pas peur. Ce que je veux dire, c’est que quand tu as une belle femme en face de toi, c’est facile d’en rajouter une couche. Hier, je me suis pris la tête à la banque avec la guichetière parce qu’il y avait des frais injustifiés sur mon compte.
– Les salauds.
– J’avais raison, ce sont eux qui se sont trompés. La guichetière était une métisse, certainement d’origine thaïlandaise, très belle, un peu ronde, un visage parfait. Lorsque j’ai vu que les choses tournaient à mon avantage et qu’elle n’arrêtait pas de se confondre en excuses, j’en ai profité. J’ai fait sembler de me fâcher tout rouge et en même temps, j’avais quasiment le nez dans son décolleté.
– Et alors ?
– Elle me laissait faire. Comme si cela faisait partie du package “excuse envers le client”.
– T’es vraiment qu’une merde.
– Ouais. Mais après tout, autant en profiter non ?
– Je réitère. T’es vraiment qu’une merde.
– Oh ça va, épargne moi ça s’il te plait. Une fois que j’en avais terminé avec elle, je lui ai fait mon plus beau sourire et je me suis cassé.
– Profiteur.
– Merci.

24

– Je suis rentré du boulot ce soir avec l’air idiot.
– Une fois n’est pas coutume.
– En allant me laver les mains dans la salle de bain, je me suis regardé dans le miroir.
– Joli narcissique.
– Abruti. Je me suis rendu compte que j’avais du café séché sur le nez.
– Ah oui, tu devais avoir l’air con.
– C’est rien de le dire. Le pire, c’est que mon dernier café remontait à 10h00 du mat’. Je suis resté avec cette tâche sur le nez toute la journée.
– Et personne pour te le faire remarquer, évidemment.
– Bien sûr.
– Des ingrats…
– Oui. Tous.

25

– J’adore les filles à moto.
– A moto ?
– Oui à moto.
– Pourquoi spécialement les filles à moto ?
– Parce que généralement elles portent des vêtements très près du corps.
– Ah oui je vois, le cuir, tout ça…
– Non, je m’en fous du cuir. C’est cette courbe particulière, l’angle que dessinent leurs cuisses avec les jambes et le reste du corps. Il n’y a rien de plus beau que les cuisses, des cuisses moulées dans un jean, tendues et palpitantes…
– Hmmm.
– Et puis je sais pas, une femme sur une moto, elle porte un casque, on ne voit pas son visage, c’est un mystère sur un bolide, il y a quelque chose d’excitant.
– Je vois ce que tu veux dire. Mais ça marche avec le scooter aussi ?
– Oh merde, ferme-la.

26

– J’ai fait un truc pas bien.
– Ah bon ? Quel genre ?
– Le genre pas bien.
– Le genre qui fait se sentir coupable ?
– Voilà, exactement.
– Vas-y, raconte.
– J’étais chez une amie, tu vois, une ex, le genre d’histoire qui date de dix ans, peut-être même plus.
– Ah ouais.
– Ouais. Et à un moment, elle était assise à côté de moi. Je regardais ses mains. Elle a de très jolies mains. Des mains sensuelles.
– Oula.
– Et je sais pas pourquoi, je me les suis rappelées dans d’autres circonstances.
– Oh ?
– Oui, j’ai fermé les yeux et je me suis rappelé ses mains sur mon corps, me caressant, lorsque nous étions nus dans son lit.
– Oush.
– C’est pas bien hein ?
– La question est plutôt “est-ce que c’était bien ?”
– Oui, c’était bien.
– Alors c’est pas mal.
– Tu dois avoir raison.

27

– J’aime bien rester sur les parkings, dans ma voiture.
– A regarder les gens.
– En quelque sorte.
– Les femmes ?
– Evidemment.
– Tu es là, dans ta bagnole, et tu sens un parfum qui vient de loin.
– Hmmm.
– Une fille ouvre son coffre, une jolie brune élancée. Elle change de chaussures, tout doucement, en prenant son temps.
– Des chaussures pour les courses ?
– Je sais pas. Tout est dans le geste. Elle prend son temps, elle change de chaussures, un geste tout simple qui laisse supposer que quand d’autres circonstances, elle pourrait prendre tout son temps…
– Des chaussures…
– Ses pieds, elle avait de très jolis pieds.

28

– Dans les couloirs du train, j’étais derrière une femme.
– Ce sont des choses qui arrivent.
– Je suis resté le regard rivé sur ses chevilles, elle avait des chevilles sublimes.
– Pourtant tu n’aimes pas les pieds !
– C’est vrai mais j’adore les chevilles. C’est rare que je marche en regardant les pieds des autres. J’étais complètement fasciné, c’était un pur de moment de bonheur de la regarder monter les escaliers.
– Il t’en faut peu.
– Non, c’est faux. Par contre, je suis tombé en mille morceaux quand j’ai vu son visage. Bon Dieu ce qu’elle était laide la bougresse.
– Comme quoi ça n’a rien à voir.
– Mais alors, rien du tout.

29

– C’est moche les histoires d’amour.
– Pourquoi tu dis ça ?
– Parce que souvent, ça tourne mal.
– Oui ben si ça tournait pas mal, ce ne serait pas des histoires, mais des choses figées dans le temps.
– C’est pas bête ce que tu dis là.
– Ça m’arrive de temps en temps.
– En même temps, un couple qui dure toujours, c’est qu’il y a un problème, ou des mensonges.
– Ou de l’hypocrisie.
– Surtout de l’hypocrisie.
– C’est moche hein ?
– C’est surtout ça qui est moche.
– Ouais.
– Parfois je me dis qu’entre un homme et une femme, ça ne devrait pas aller plus loin qu’un simple regard, qu’un simple sourire.
– Tout commence à merder quand tu as déjà le pantalon en bas des genoux.
– Ouais, c’est vraiment moche.

30

– Il y a parfois des choses que je ne comprends pas.
– Du genre ?
– Du genre, hier soir quand je suis sorti du train, je suis tombé nez à nez avec une fille superbe, une coiffure légère, la peau hâlée, un tailleur sobre et un haut noir, elle avait de magnifiques jambes longues, un galbe parfait, perchée sur des talons, genre la classe quoi, et elle était là, elle avait l’air d’attendre quelqu’un.
– Et ? C’est ça que tu ne comprends pas ?
– Non, parce qu’en fait, elle avait très impatiente, un peu comme si elle poireautait depuis deux heures.
– Tu l’as dit, c’était peut-être quelqu’un de très impatient.
– Oui mais non, on pouvait presque sentir de l’inquiétude sur son visage.
– Un lapin ?
– Ouais, ça y ressemblait.
– Ben ça arrive tu sais.
– Ouais, mais pas à ce genre de filles, on ne pose pas de lapin à ce genre de fille.
– Ce genre de fille est peut-être du genre chieuse, va savoir.
– Tiens, pourquoi je ne pense jamais à ce genre de choses…
– Parce que. Je suis là pour ça.

31

– Quand tu vois une fille de loin et qu’elle te semble superbe, je trouve que le temps qu’elle arrive jusqu’à toi est incroyablement excitant.
– Et parfois tu déchantes.
– Ça m’est arrivé, mais pas pour la raison que tu imagines.
– Raconte.
– Je l’ai vu arriver de loin, une fille avec les cheveux teints en orange, le genre de fille un peu sophistiqué.
– Hmmm.
– Et au fur et à mesure qu’elle s’approchait, je voyais bien qu’elle était magnifique, et ça devenait de plus en plus flagrant.
– Mais ?
– Mais quand on s’est croisé, je me suis rendu compte qu’elle ne devait pas avoir plus de 16 ans.
– Ouille.
– Ouais, comme tu dis. Trop jeune pour être belle.

32

– Par la malpeste !
– Gné ?
– J’ai du mal.
– Du mal à quoi ?
– Du mal à me relire.
– Relire quoi ?
– Tiens, regarde, c’est noté là. J’ai pris des notes et je n’arrive pas à me relire.
– Fais-voir.
– Juste là.
– Alors… Aux formes…
– Ouais, jusque là ça va.
– Aux formes généreuses au rayon littérature francophone…
– Aux formes généreuses au rayon littérature francophone…
– C’est ce que je lis.
– Ouais, ben ça doit être ça.
– Et tu ne vois pas ?
– Pas trop non.
– Désolé, mais je ne peux pas t’aider.
– Je vois ça.
– Bien bien bien.
– …
– Ssssss
– AH ! J’y suis, je me souviens d’elle.
– Ahh ben voilà, quel panache…
– Ah ouais, je me souviens parfaitement d’elle, au rayon littérature francophone… Ouais ouais ouais…
– Bon ben vas-y raconte.
– Désolé, mais non. Je garde ça pour moi.
– Je vois le genre.

33

– Dis-moi, as-tu déjà rencontré une nymphomane ?
– Non, pas que je sache. Ou alors… Non.
– Moi non plus. C’est triste non ?
– Pas vraiment, c’est quand même un trouble psychique, non ?
– Oui mais là n’est pas le problème. Ce que je veux dire, c’est qu’il parait que c’est assez répandu et malgré tout ça, ça ne m’est jamais tombé dessus.
– Tu ne dois pas fréquenter les bons endroits.
– Ah ? Parce qu’il y a des endroits pour ça ?
– Non, je dis ça, c’est parce que je ne sais pas quoi dire d’autre.
– Ouais, OK, en tout cas, c’est pas à moi que ça arriverait ce genre de chose.
– Qui sais…
– Pas toi en tout cas. J’aimerai tellement qu’une femme m’épuise.

34

– Tu sais quoi ?
– Non.
– J’aime l’été.
– Tout le monde aime l’été mon garçon, et personne n’aime être malade.
– Oui mais moi j’aime l’été.
– Oui ben moi aussi.
– Certainement, mais peut-être pas pour les mêmes raisons que moi
– Explique moi ça.
– Ben il n’y a rien de tel que l’été pour voir des jambes fines, toutes lisses, les culottes qui deviennent apparentes sous les jupes volantes et légères, les épaules qui se dénudent, on commence à voir des bretelles de soutien-gorges et des petits hauts affriolants qui laissent voir les rondeurs de la poitrine…
– Moi aussi j’aime l’été pour ça.
– Ah… Tu vois !

35

– Ça ne t’arrive jamais d’être gêné par un regard ?
– Si bien sûr, mais quel genre de regard ?
– Le genre de regard qui te déshabille.
– Hmmm oui certainement.
– Et par une fille que tu ne trouves pas spécialement jolie, quelqu’un qui te dérange ?
– Je ne sais pas à vrai dire.
– M’étonne pas tiens. Et qu’est-ce que tu ferais si ça t’arrivait là, ces prochains jours.
– Rien, je suppose.
– Ben pourquoi ?
– Parce que ça ne me dérangerait pas au point de penser à faire quelque chose pour éviter ce regard.
– Parfois je me demande si tu n’es pas un peu trop nonchalant.
– Mais je t’emmerde.
– Réponds à ma question.
– Je ne sais pas moi, je changerais de place, quelque chose dans le genre.
– Tu ne ferais rien qui puisse déranger la personne ?
– Du genre ?
– Du genre se fourrer les doigts dans le nez.
– Mais t’es vraiment con, toi !
– Certainement, mais c’est toujours ce que je fais.

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36

– A ton avis, qu’est ce qui fait que certaines femmes sont plus vulnérables que d’autres.
– Hmmm, je ne sais pas, l’âge, les soucis…
– Je ne crois pas en fait.
– Et quelle est ta théorie ?
– Je pense que les femmes les plus vulnérables sont celles qui ne s’attendent pas à ce qu’on s’intéresse à elles.
– Du genre ? Les pas belles ?
– Non, pas nécessairement, mais je pense plutôt à celles qui ne sont pas assez sûres d’elles, qui se disent que de toute façon, elles ne font pas le poids comparées à des mannequins et qui restent persuadées que les hommes ne regardent que les beautés suprêmes.
– Ce qui est faux.
– Ne le dis pas trop fort, de peur que le charme se rompe.
– Et que fais-tu de celles qui sont trop sûres d’elles ?
– Très bonne question, j’allais y venir. En fait, elles le sont tout autant, très certainement, mais d’une autre manière.
– Dans quel sens ?
– Dans le sens où généralement, elles ne pensent pas pouvoir flancher parce que “tout va bien, je suis heureuse“, jusqu’au moment où tu mets le doigt sur le truc qui blesse. Et là, c’est généralement le chaos. Volontaire ou pas.
– Tu as l’air de savoir de quoi tu parles.
– Ouais.
– Et ?
– Et rien. Désolé.

37

– L’autre soir, j’avais un énorme bouquet de roses rouges à la main et je me promenai dans la rue, et je me suis aperçu de quelque chose de marrant.
– Que les roses avaient des épines ?
– Ahahah très drôle, et puis de toute façon, elles n’avaient pas d’épines, alors coucouche panier. Non, en fait, je regardai les autres me regarder.
– Les femmes non ?
– Evidemment. Et c’est marrant. Certaines te regardent avec un petit sourire de complaisance, ou de complicité, je ne saurais dire, en tout cas, quelque chose d’attendri.
– Oui, c’est toujours mignon un homme qui offre des fleurs.
– Et puis tu as d’autres genres de regards, des regards aigris, de celles qui doivent se dire qu’on ne leur offre jamais de fleurs à elles.
– De l’animosité.
– Presque, c’est assez effrayant. Et alors, je me suis demandé si je n’en ai pas croisé une ou deux qui se disaient qu’elles auraient bien aimé que le bouquet leur soit adressé.
– Comme ça ? Sans raison ?
– Ouais, et je me suis même dit qu’un jour je pourrais essayer de faire ça. Acheter des fleurs, et les offrir à la première femme qui me regarde avec envie. Je verrais bien.
– Toi tu vas finir par te prendre une torgnole un de ces jours.
– M’en fous. Je ne saurais pas tant que je n’aurai pas essayé.

38

– Mmmm.
– ?
– Quoi ?
– Pourquoi tu souris bêtement comme ça ?
– Je ne souris pas bêtement, je souris… légèrement.
– Oui ben tu as l’air bête.
– Merci, mais c’était un sourire que tu ne peux pas comprendre, il était adressé à cette jeune fille là-bas.
– Et tu as besoin d’avoir cet air niais ?
– Ecoute, je ne sais pas si tu le sais, apparemment non, mais les femmes sont très sensibles au sourire.
– Ah OK, c’est certainement parce que je ne suis pas une femme que je te trouve aussi niais.
– Voilà, ça doit être ça. Tu devrais essayer un jour. Tu croises une femme qui te plait, tu lui souris, presque timidement, les sourcils en virgules comme si tu avais presque honte de faire ça, et tu verras ce qui se passe, la plupart du temps, tu auras un sourire chaleureux en retour.
– Mmm.. Tu es certain de ce que tu avances ?
– Tu ne pourras jamais savoir si tu n’essaies pas. Le truc, c’est d’avoir un sourire suffisamment discret pour qu’il laisse paraître exactement le contraire de ce qu’il signifie.

39

– Tu sais… Ce matin, il m’est arrivé un truc magnifique.
– Vas-y raconte.
– Hier soir je suis sorti avec une fille superbe, nous sommes allés au resto, on a bien mangé, on a pas mal bu et puis je l’ai emmenée chez moi.
– Ouais, comme d’habitude quoi.
– Pas vraiment.
– Pourquoi ? Je ne comprends pas.
– Oui je vois ça. Nous sommes allés chez moi donc, et j’ai ouvert une bouteille de Champagne, nous avons beaucoup parlé, jusqu’à ce que le jour se lève.
– Vous avez parlé ?
– Ouais, je sais , ça parait dingue.
– Un peu oui.
– Et puis nous nous sommes endormis tout habillés sur mon lit, dans les bras l’un de l’autre. Et nous nous sommes réveillés dans la même position.
– …
– Quoi ?
– Tu ne serais pas…
– Ben vas-y, parle.
– Tu ne serais pas en train de tomber amoureux toi ?
– …
– Hein ?
– Non.
– Non ?
– Non. Ces choses là, c’est terminé pour moi.
– Comment ça terminé ?
– Terminé. Fini. Plus rien. C’est quoi que tu ne comprends pas dans ce que je dis ?
– Rien. Je trouve ça étrange, c’est tout, comme si c’était quelque chose que tu pouvais contrôler.
– Evidemment que je peux le contrôler, je ne vois pas ce qui te choques là-dedans.
– Ça ne me choque pas, je pense simplement que ce n’est pas quelque chose qu’on décide frontalement.
– Eh bien c’est là que tu te trompes. Pour moi, c’est simplement une question de survie.

40 et fin

– Voilà.
– Voilà quoi ?
– Voilà, c’est fini.
– C’est fini ? Mais qu’est ce qui est fini ?
– Les femmes, le sexe, l’amour, toutes ces conneries.
– Mais qu’est-ce que tu racontes ?
– Je… J’ai trop donné, j’en peux plus.
– Mais enfin c’est quoi cette histoire ?
– C’est pas une histoire, c’est la réalité. Je ne ressens plus rien.
– Mais parle-moi bordel !!!
– C’est ce que je fais, je suis là devant assis à côté de toi et je te dis que tout ça c’est terminé.
– Je ne comprends rien.
– En fait, je ne sais pas trop quoi te dire d’autre, sinon que depuis que je me suis fait dégagé par cette fille, c’est un peu comme si j’étais mort, psychiquement dénué de tout, incapable de me sentir vivant, même lorsque je m’abandonne. Je t’assure que je ne ressens plus rien. J’ai tenté de noyer mon désespoir dans le sexe, en levant tout un tas de filles que je ne respectais même pas, tout ça certainement pour assouvir un désir de vengeance sourde. Elle m’a complètement vidé de ce que j’étais, je ne sais pas comment elle a pu autant me détruire. Sincèrement, je pensais que c’était le genre de chose dont on pouvait se préserver; résultat, je suis rincé.
– Toi…
– Oui moi, je suis vidé tu sais, je ne peux rien y faire. Je crois qu’elle m’a transformé en monstre. Je pense que je pourrais tuer quelqu’un sans ressentir quoi que ce soit.
– Et qu’est ce que tu vas faire maintenant ?
– Rien. Rien qui ne puisse me sortir de l’impasse.
– Tu penses vraiment qu’il n’y a rien à faire ?
– Je ne sais pas. Tu as une idée là tout de suite ?
– Non. Pas vraiment.
– Tu vois.
– Je suis désolé.
– Ne le sois pas. Il n’y a qu’une seule chose que je puisse faire…
– Quoi donc ?
– Espérez que je puisse par un moyen ou un autre la rendre aussi malheureuse que je le suis, faire en sorte que comme moi, elle ne puisse plus avoir confiance en quiconque, je lui souhaite ça avec toute la haine dont je suis capable. Avec une haine aussi puissante qu’était mon amour pour elle…

in memoriam…