Après l’histoire de la pêche au crabe {L’histoire interdite #1 (la pêche au crabe)}, je continue mon histoire interdite. J’ai vécu des choses extraordinaires et faire partager cela est important.
Après mon arrivée à Moscou, où j’ai travaillé quelques mois comme coursier pour un bijoutier, j’ai pris plusieurs billets d’avions pour finalement atterrir en Argentine. Je voulais connaître les Andes, les hauts-plateaux désertiques et arides, l’expérience des froids andins… Ce que j’ai vécu là-bas, dans les montagnes près de Mendoza, non loin du Pozo de las animas (le puits des âmes), m’a laissé un goût d’inachevé, de surprise…
Je ne vous raconterai pas les hasards qui m’ont fait atterrir à cet endroit en particulier, cela prendrait beaucoup trop de temps, mais j’ai fait la connaissance d’un certain Eduardo dans un bar de Mendoza, entre deux bières passablement sans saveur. Nous avons engagé la conversation autour des montagnes qui enserrent la région et puisque j’étais là pour ça, je lui demandai s’il connaissait un moyen de se rendre là-haut sans danger et s’il savait où l’on pouvait trouver un guide. Je n’eus pas à chercher longtemps… son grand-père habitait au pied de la seule route qui montait au Pozo de las animas, dans une cahutte sans confort.
Rendez-vous était pris pour le lendemain matin et à l’endroit indiqué, Eduardo m’attendait dans une voiture d’un autre âge, d’une marque inconnue. Il me fit monter dans sa guimbarde et il m’emmena jusqu’à la maison spartiate du vieil homme. Nous étions déjà loin de toute civilisation et je sentis une atmosphère de mystère autour de ce lieu. Eduardo ne frappa pas à la porte et me fit entrer dans un lieu très sombre, dans lequel on pouvait distinguer un désordre sans nom et duquel se dégageait une forte odeur de tabac à pipe brûlé. Un vieillard hirsute et torse-nu portant une simple pantalon de lin dégoûtant, un panama vissé sur la tête, sortit de nulle part et me serra chaleureusement la main. Eduardo me présenta son abuelo comme le meilleur guide de montagne qui soit dans la région. J’avoue que je commençais à avoir des doutes sérieux quant à ma réelle volonté de m’aventurer dans les hauteurs avec un vieillard qui semblait ne plus avoir toute sa tête.
Nous restâmes toute la journée au dehors et j’entendis de la bouche du vieil homme des histoires et des légendes dont je me disais qu’il fallait avoir l’imagination fertile pour les inventer et la mémoire bien rangée pour s’en souvenir. Le soir se mit à tomber et autour du feu, il continua à raconter ses histoires en tirant comme un fou sur sa pipe depuis le matin. A la fin d’une de ses histoires, il se leva et rentra dans sa cahutte. Eduardo me dit que c’était fini et qu’il était temps de dormir. Je dormis dehors dans mon sac de couchage et je me réveillai épuisé par une nuit lardée de cauchemars, le visage trempée par une rosée venue de nulle part.
Eduardo avait passé la nuit à mes côtés et il me dit qu’il viendrait avec nous. Le vieillard sorti de sa maison et nous partîmes à flanc de montagnes, vers les hautes cîmes… Nous avons passé deux journées entières à marcher parmi les caillasses et des sortes de dust bowls qu’on aurait pu croire sorties d’un studio de cinéma hollywoodien. Arrivés sur une crête rocheuse depuis laquelle le paysage montagneux semblait s’étaler à perte de vue, nous nous sommes posés, histoire de souffler. Il était midi au soleil et le froid commençait à se faire sérieusement sentir.
Mon compagnon de fortune posa son sac et regarda son grand-père, puis me prit par les épaules. Il me dit calmement:
– Romuald, lo que vas a ver, no debria decirlo a ningùn. (ce que tu verras, tu ne le diras à personne)
Mes yeux se sont écarquillés. Je ne comprenais pas. Il me dit ensuite qu’il allait accompagner son grand-père plus haut encore dans les montagnes et qu’ils ne reviendraient pas de leur voyage, que les esprits les attendaient et qu’ils allaient faire un long voyage. Je ne comprenais rien de ce qu’il me racontait. Nous prîmes ensuite un déjeuner frugal comme si de rien n’était mais je commençais vraiment à m’inquiéter à propos de ce qui allait se passer. Le soir venu, nous n’avions toujours pas bougé de le crête. J’avalais mon repas et prit une gorgée d’eau. Ce qui se passa ensuite reste très confus encore aujourd’hui.
Je commençai à être pris de nausées intenses et ma vue se brouilla. Je vis Eduardo et son grand-père prendre leurs affaires et repartir. Malgré mes efforts, je n’arrivai pas à me lever et après avoir vainement tenté de résister, je m’évanouis.
Le lendemain, je me réveillai avec un mal de crâne pas possible et je me mis immédiatement à la recherche des deux hommes, que je finis par apercevoir beaucoup plus haut sur une autre crête beaucoup trop loin à rejoindre. Je regardais les deux hommes et me demandais où ils pouvaient bien aller comme ça, surtout s’ils ne comptaient pas revenir. Il s’éloignèrent encore, jusqu’à disparaître.
Je ne voulais pas les suivre et je pliai bagages pour retourner à Mendoza. Après avoir marché longuement avec ma migraine, je finis par voir au loin la maison du vieillard. Plus je m’en approchais, plus je trouvais que quelque chose de bizarre était en train de se produire, et c’est à quelques mètres de la maison, que je compris. La maison était dévastée, encore plus que lors de ma dernière visite et tout semblait indiquer que personne n’avait vécu ici depuis des années. La poussière avait envahi l’intérieur comme si une tempête de sable avait soufflé à l’intérieur. Le plus étonnant, c’est que la voiture d’Eduardo en était recouverte d’une épaisse couche. Tout ici indiquait que le désert avait repris ses droits comme par enchantement.
J’ai rejoint Mendoza à pied, de peur que la voiture d’Eduardo ne soit sous l’emprise d’un quelconque maléfice. Au revoir Mendoza et tes gens étranges, au revoir l’Argentine mystérieuse. C’est après ces événements que je suis retourné à Paris.