Je pris une douche et préparai mon sac. J’y entassai une pile de mes vieux carnets noirs. C’étaient les carnets qui m’avaient servi pour le livre sur les nomades et que j’avais conservés quand j’ai brûlé le manuscrit. Je n’avais pas ouvert certains d’entre eux depuis au moins dix ans. Ils renfermaient un méli-mélo de notations presque indéchiffrables, de « pensées », de citations, de brèves rencontres, de notes de voyage et d’embryons d’histoire… Je les avais apportés en Australie car je comptais bien m’isoler quelque part dans le désert, loin des bibliothèques et du travail des autres hommes, et jeter un regard neuf à leur contenu.
Écrire nu
Retour au lit. Et à l’insomnie. Cette femme. Comme je l’aimais ! Les sinuosités de son corps, la faim dans son regard traqué, la fourrure de son col, les échelles de son collant, l’oppression dans la poitrine, la couleur de son manteau, l’éclair de son visage, le picotement au bout de mes doigts, la filature élastique dans la rue, la lueur froide des étoiles, le mouvement têtu du croissant de lune, le goût de l’allumette, l’odeur de la mer, la douceur de la nuit, les dockers, le claquement des boules de billard, les notes perlées de musique, les ondulations de son corps, le rythme de ses talons, son pas décidé, le vieux avec son livre, la femme, la femme, la femme.
J’ai eu une idée. J’ai rejeté mes couvertures et bondi hors du lit. Une idée fantastique ! Elle m’a emporté comme un avalanche, une maison qui s’écroule, un vitre qui explose. J’étais fébrile, fou d’excitation. Il y avait des feuilles de papier et des crayons dans un tiroir. Je les ai ramassés avant de foncer à la cuisine. Il faisait froid dans la cuisine. J’ai allumé le four et laissé sa porte ouverte. Assis nu, j’ai commencé à écrire.John Fante, La route de Los Angeles
Domino days
1
– J’ai pris le parti d’écrire même lorsque par exemple je suis dans le train. Lire ou écrire, voici des actes qui ne font pas perdre de temps, car j’ai trouvé l’environnement idéal pour m’exprimer. J’écoute souvent Roland Kirk et c’est quelque chose qui risque de devenir récurrent. Désormais, avant de prendre un livre, je me demanderai si je n’ai pas quelque chose à écrire. Il faudrait vraiment que dans le train, je ne fasse qu’écrire, décrire les gens, inventer des histoires, profiter de ce moment de repos pour mettre mon imagination à contribution. Soit je me force, soit j’attends que ça vienne, mais généralement, je n’ai pas ce genre d’effort à faire. Quoi qu’il en soit, le jazz est beaucoup moins déprimant que le blues, plus entrainant, plus reposant aussi, et j’ai du mal à faire sans mon petit Roland Kirk dans les oreilles. Pour l’instant, j’écris. Quand j’en aurai les moyens et la disponibilité je passerai au sexe.
– Tu as raison, c’est une activité autrement plus amusante.
– Oui, mais pour ça, il faut du temps et des conditions favorables. Un peu comme quand on veut prendre la mer. Il ne faut pas partir sans bateau.
– C’est un peu idiot ce que tu dis, mais je comprends l’idée.
– Tu vois, j’aimerais envisager des petites scènes, des micro-clichés, des instantanés enjolivés, magnifiés, transcendés… juste des portraits, des descriptions de moments…
– Doucement sur les énumérations, quand-même, ça fait sale.
– J’étais dans le train. Il y avait à l’autre bout du wagon, une jeune fille avec de longs cheveux teints au henné, elle portait des lunettes aux montures épaisses. Je l’ai regardée longtemps jusqu’à temps que son regard croise le mien et je crois que ça l’a gêné.
– J’imagine… Vieux pervers, va !
– Lorsqu’elle a vu que je la fixais, la seconde fois qu’elle a croisé mon regard, je pense qu’elle était tellement gênée qu’elle ne savait plus où regarder, à droite, vers moi, à gauche, vers moi.
– La pauvre, tu as dû la rendre folle.
– En tout cas, elle a rougi. Et du coup, elle s’est avachie dans le fauteuil de telle sorte que je ne puisse plus la voir. Quand elle est descendue du wagon, j’ai pu voir dans son regard qu’elle savait que c’était fini.
– Et toi aussi tu le savais non ?
– Oui bien sûr, ce genre de choses n’arrive presque jamais et si on ne fait rien sur le coup, c’est terminé. Ça n’arrivera plus, c’est trop tard.
– Avec une autre ?
– Oui mais pas tout de suite, le potentiel de séduction s’est évaporé, et ça ne marche pas non plus à tous les coups.
2
– C’est pas compliqué non plus, tu écris un petit peu tous les jours.
– Qu’il y ait une fille à proximité ? Ou pas ?
– Ça n’a rien à voir, enfin je ne crois pas.
– Tu veux dire que tout n’est pas affaire de sexe.
– Non bien sûr, pas tout, ça en fait partie, grandement, mais ce n’est pas tout.
– Je ne pensais pouvoir t’entendre dire un jour ce genre de conneries.
– Ouais, tu as raison, c’est idiot. Mais on peut très bien écrire sans en parler non ?
– Je suppose.
– Le truc, c’est qu’à chaque instant, il faut se placer dans une situation particulière ; se demander si ce qu’on vit à l’instant présent, à chaque instant, est quelque chose qui mérite d’être écrit ou de susciter une histoire.
– Et c’est pour ça que tu notes tout ?
– Oui absolument. je ne veux rien perdre, même si mes notes finissent par s’entasser.
3
– Ce matin, j’ai suivi une fille dans les couloirs du métro entre le RER et le quai.
– Encore ?
– Oui mais attends, celle-ci était superbe. Elle portait un tailleur noir cintrée, très class, et ses longs cheveux bruns et bouclés venaient recouvrir ses épaules. Pas maquillée du tout. Elle devait être arabe, ou peut-être espagnole, je ne sais pas.
– Ouais et puis on s’est fout en fait.
– Je l’ai suivi lorsqu’elle est descendue du train et on s’est retrouvé dans la même rame du métro. En fait, c’est elle qui est venue vers moi. Dans la rame, elle s’est posée contre la porte et elle me regardait fixement.
– Et toi tu faisais semblant de bouquiner, comme d’habitude ?
– Exactement. Et tu ne sais pas ce qu’elle a fait ?
– Je sens que je vais le savoir.
– Elle s’est rapproché de moi tout doucement, j’avais sa poitrine et son décolleté sous les yeux, juste à côté de mon bouquin.
– Aie, tu devais être mal.
– Non, j’ai très bien géré la situation.
– Et tu as fait quoi ?
– J’ai plongé mon regard entre ses seins, des petits seins ronds et bronzés, un très léger voile de dentelle noire les recouvrait.
– Waow
– Comme tu dis, j’étais bien là. Je bougeais plus. Je pense qu’elle a beaucoup apprécié. Mais elle s’est enfuie et je ne l’ai jamais revue.
4
– Parfois, j’aimerais avoir un appareil photo pour prendre tout ce qui me semble beau au moment où je le vois.
– C’est à dire ?
– Hier soir, je marchais derrière une fille avec des jambes pas très jolies.
– Ça commence mal.
– Oui mais il y avait du vent qui venait de derrière.
– Ça devient intéressant.
– Et le vent plaquait sa robe légère contre ses fesses, elle avait des fesses superbes. Sa robe était cintrée, mais juste sous les seins, très étrange.
– Un petit air champêtre non ?
– Voilà. Et plus je m’approchais d’elle, plus j’avais l’impression qu’elle n’avait pas de culotte.
– C’est vrai ?
– Je ne sais pas, je ne suis pas allé voir.
5
– Dis-moi, c’est pas la saison pour porter un short ?
– Ben si, on est au mois de juin quand même.
– Oui, d’accord, mais il ne fait pas chaud.
– C’est vrai.
– Je viens de voir une fille en short, avec un blouson.
– Il faut croire qu’elle devait avoir chaud au cul.
– Ouais…
6
– Le problème avec le vélo, c’est qu’en faire alors qu’on – je veux dire, les femmes – porte une jupe ou une robe, c’est prendre des risques.
– Des risques minimes, somme toute.
– Oui mais réfléchis deux secondes. Tu es une femme superbe, tu portes une robe printanière, et tu prends ton vélo. Est-ce que tu n’as pas peur que les hommes cherchent désespérément à regarder tes sous-vêtements ?
– Je ne porte pas de sous-vêtements de femme.
– Oui, mais tu es une femme en l’occurrence. Sérieusement.
– Disons que si je suis une belle femme, j’aime à imaginer que les hommes se retournent sur mon passage pour tenter de voir mes sous-vêtements. Même si je n’en porte pas.
– Tu n’en porterais pas ?
– Je ne sais pas, peut-être que si j’étais une belle femme, je ne serais pas pudique.
– Je te le dis tout de suite, tu serais une femme, tu ne me plairais pas du tout.
– Et pour tout te dire, je m’en tape complètement.
7
– Tu te rends compte que si on était au 16è siècle, nos discussions seraient censurées.
– Je pense surtout qu’il y a longtemps qu’on nous aurait pendu par les couilles.
– Y’a de grands chances.
– Et puis imagine que si on avait écrit tout ça, on se serait retrouvé lapidé en place publique.
– Je pense même qu’on nous aurait condamné, avec un chef d’inculpation du genre “sodomie”.
– Ouais, ben heureusement qu’on est au XXè.
– Non, XXIè maintenant.
– Oui, c’est vrai.
8
– L’autre jour au marché, j’étais avec mon fils, chez le poissonnier. Mon fils regarde la poissonnière avec des yeux ronds comme des billes, comme d’habitude. Elle lui dit “oulala, tu as les yeux qui pétillent mon bonhomme… petit coquin”
– Ça c’est vrai que ton bout de chou, il respire la joie de vivre.
– C’est pas tout ! Elle le regarde et puis elle me regarde, et là, elle me dit “Ah, c’est le même regard…”
– Ben c’est normal…
– Oui mais elle n’a pas dit à moi que j’étais un petit coquin.
– Tu voulais qu’elle te demande en mariage ?
– Euh nan, pas la poissonnière, nan nan.
– Bon ben alors, de quoi tu te plains.
– Ouais, nan, fais comme si j’avais rien dit.
9
– Je vais te dire un truc, ces dernières années, je me suis rendu compte d’une chose.
– Ah oui ? La quelle ?
– Je pense que depuis quelques temps, les femmes me voient vraiment comme un homme dangereux.
– Un homme dangereux ? Comment ça ?
– Je pense qu’elles me voient comme un prédateur.
– Cela dit, elles ont raison, c’est ce que tu es.
– Oui mais je crois que ça se voit, ou alors qu’elles le sentent.
– Ça ne serait pas étonnant, les femmes sentent quand elles sont en péril.
– Oui mais je pense aussi que les hommes me voient aussi comme un homme dangereux.
– Il faut croire que les hommes aussi sentent quand ils sont en péril.
– C’est ce que je crois aussi.
– Tout le monde a peur de toi… Salaud.
– Ils n’ont pas peur, ils me voient simplement comme une menace potentielle.
– Bourreau des coeurs, va !
10
– J’ai vu une fille hier soir, j’en rêve encore.
– Bon Dieu, mais tu penses un peu à autre chose ?
– Non, pourquoi ?
– Et donc ?
– Elle était assise derrière son mec, sur un scooter.
– Et c’est ça qui t’a fait rêver ? Il t’en faut peu.
– Non, c’était ces jambes, des jambes interminables. Elle portait des collants gris dans des bottes en daim grises.
– C’est tout ?
– Non, elle portait une chemisier aussi, et une minijupe grise, c’est rare les filles à poil sur un scooter, tu sais.
– On ne sait jamais.
– Oui ben là non. Et puis je ne sais pas si tu as remarqué mais c’est souvent que les filles qui accompagnent un mec sur un scooter sont magnifiques, portent des minijupes prêtes à craquer à cause de leur position sur le siège, enserrant les cuisses de leur mec, ça me fait fantasmer ce genre de truc.
– Ben écoute, la façon que tu as de présenter les choses me donne tout à coup envie de m’acheter un scooter.
– Oui enfin, ça ne fait pas tout non plus.
– Mais c’est vrai ce que tu dis, jamais on ne m’a serré avec ses cuisses comme ça.
– Ouais, hein ? Ça fait rêver…
11
– Parfois, j’aimerais bien, quand je passe près d’une terrasse où il y a plein de filles, j’aimerais bien qu’on m’interpelle et qu’on me demande de venir m’asseoir parmi toutes ces jeunes beautés fraîches.
– Mais ça n’arrive jamais ?
– Non.
– Remarque, dis-toi une chose, c’est que si les filles sont en entre elles à la terrasse d’un café, c’est qu’il y a une raison.
– Ah oui et laquelle ?
– C’est que c’est un moment pendant lequel elles ne veulent pas s’embarrasser de la présence des hommes, tu vois ?
– Pour se raconter des trucs de filles ?
– Oui, j’imagine.
– Oui ben n’empêche, c’est pas une raison.
– Si.
– Oui, bon OK. Autrement dit, j’ai dit une connerie.
– Presque.
12
– Je suis monté dans le train. Dans le premier wagon, il était prêt à partir.
– C’est rare les trains qui partent à l’heure.
– Celui-ci avait décidé de partir à l’heure. J’ai cherché une place et c’est là que j’ai vu une jolie fille, un peu ronde, avec les cheveux courts.
– Tu t’es assis à côté d’elle ?
– Non. Pourtant, j’avais décrété que c’était la plus jolie du wagon.
– Etrange, tu es malade ?
– Non, j’ai pas osé, c’est tout.
– Ouais, tu es malade.
– Bref, je me suis assis près de la fenêtre et là, une autre plus jolie fille du wagon est venue s’asseoir à côté de moi.
– Ah ben tu vois, si tu ne vas pas à elles, elles viennent à toi.
– Je pense aussi, mais j’étais tellement crevé qu’en fait, je ne me suis pas intéressé à elle.
– Oula, y’a un truc qui ne va pas chez toi.
– Par contre, dans ces trains-là, il y a un porte bagage au dessus de nos têtes. Autrefois, c’était des filets, mais maintenant, c’est du plastique transparent et du coup, en se positionnant bien, on peut voir les gens qui sont deux ou trois sièges devant, c’est intéressant.
– Ne me dis pas que tu as passé ton temps à regarder ?
– Non, j’ai lu un peu. Mais j’ai passé pas mal de temps dans le décolleté de la fille qui se trouvait juste devant moi.
13
– Je vais finir par passer pour un incorrigible mateur.
– Ce que tu es !
– T’es un jeune trentenaire en pleine santé, si tu matais pas les femmes, je me ferais du souci pour toi.
– Oui mais je veux pas passer pour un grognard qui a la dalle.
– Oui bon OK. Tu peux mater discrètement aussi. T’es pas obligé de te lécher les lèvres et de te toucher les parties génitales quand tu reluques.
– Tu as raison, je suis quelqu’un de discret.
14
– Pourquoi certaines femmes tiennent leur sac à main dans le creux de leur bras, la main relevée ?
– Je ne sais pas… Certainement parce que… Non, je ne sais pas.
– Ça leur donne l’air con, je trouve.
– Tu me permets de ne pas avoir d’avis sur la question ?
– Parfaitement.
– Désolé hein…
– Mais je t’en prie.
15
– Dis-moi un truc, tu sais, la vaisselle cassée, c’est un mythe non ?
– Euh, comment ça, je ne vois pas ce que tu veux dire…
– Oui tu sais, les scènes de ménage avec de la vaisselle cassée.
– Oui je vois, mais pourquoi demandes tu si c’est un mythe ?
– En fait, je me disais que je n’avais vu ce genre de scène.
– Et donc, parce que tu n’en as jamais vu, c’est un mythe ?
– En quelque sorte.
– Oui mais, ce genre de scène, c’est plutôt privé, ça se passe rarement en pleine rue.
– Sans blague. Non, ce que je veux dire c’est que parfois, tu entends des gens se chamailler parce que les fenêtres sont ouvertes.
– Ouais, je vois ce que tu veux dire.
– Et dans ces cas-là, tu entends rarement de la vaisselle qu’on casse.
– C’est pas faux.
– Et puis tu vois, je me dis que pour casser dans la vaisselle, il faut se trouver dans la cuisine. Parce que si tu en train de t’engueuler avec ta femme dans la chambre, ou dans la salle de bain, tu ne vas tout de même pas aller dans la cuisine, ouvrir le placard et jeter par terre quelques assiettes, histoire de casser des assiettes, parce que par exemple, ça fait bien de casser des assiettes quand on s’engueule.
– C’est pas idiot ce que tu dis.
– Pourquoi ? D’habitude, je dis des conneries ?
– T’es con.
– Ben… Tu viens de dire le contraire.
– Ta gueule. Mais sinon, je pense que tu dois avoir raison, la vaisselle cassée, ça doit être un mythe.
– Ben voilà. Encore un mystère de résolu.
16
– Elle était toute jeune, je ne suis même pas certain qu’elle puisse avoir plus de vingt ans…
– C’est pas vrai ?
– Mais si, par contre, les deux autres, elles s’en tapaient comme de leur première chemise.
– Merde alors.
– Je te jure, elle s’appelait Aïda, comme l’opéra. Elle avait de longs cheveux noirs bouclés, un minois coquin. Incroyable.
– Et elle te dévorait du regard, comme ça ?
– Absolument, je t’assure qu’elle était prête à me manger tout crû.
– Merde, c’est pas à moi que ça arriverait ce genre de trucs.
– En même temps, tu peux pas savoir si tu ne regardes pas les jeunettes.
– Je vais y songer.
– Moi je dis, y’a rien de plus gratifiant qu’une petite minette qui croque un vieux de trente berges comme moi.
17
– Une chose est certaine, c’est pas le vendredi soir qu’on peut faire des rencontres dans les supermarchés.
– Pourquoi ça ?
– Waterloo, morne plaine.
– Ah. A ce point ?
– Rien, nif de nif, nada. Rien de valable.
– De toute façon, le vendredi soir, je ne fais pas mes courses.
– Ça c’est un scoop.
– Je préfère le samedi soir, c’est là que tous les petits jeunes achètent leurs bières pour leurs soirées bitures.
– Ah tiens, j’avais jamais envisagé les choses comme ça.
– Tu devrais penser de temps en temps.
– Connard.
18
– Qu’est-ce que tu aimerais faire le matin en te réveillant?
– Regarder un petit cul de dix-huit ans qui te sourit dès que tu ouvres les yeux.
– Rien que ça.
– Ouais.
– Tu dis ça parce que tu n’as pas un cul de trente ans qui te sourit quand tu te réveilles.
– Là tu as touché un point sensible.
– Honnêtement, je connais des culs de trente ans qui valent bien ceux de dix-huit.
– Tu me les présenteras ?
– Pas question.
– Jaloux.
19
– J’ai remarqué que dans les magasins de vêtements pour femmes, il y avait souvent… des éléments…
– Oui ?
– Comment dire…
– J’attends.
– Des éléments étrangers, ridicules.
– Comment ça ? Je ne comprends pas.
– Les hommes.
– Les hommes ?
– Oui, les hommes qui sont avec leur femme dans les magasins de fringues.
– Tu peux développer ?
– Ben, quand tu regardes les hommes qui suivent leur femme dans ce genre de magasins, ils ont l’air perdu, ils suivent comme des petits chiens, d’un air absent et détaché.
– Et ?
– Je pense qu’ils s’emmerdent.
– Ce n’est pas moi qui te dirait le contraire.
20
– Oui ? Tu voulais dire quelque chose ?
– Oui.
– Je t’écoute.
– Je te trouve un peu macho parfois.
– Macho ? Moi ? T’es dingue ou quoi.
– Si, je trouve que tu parles des femmes avec irrespect.
– Tu débloques mon pauvre.
– Ah oui ? Et pourquoi ça ?
– Parce que j’aime les femmes, j’aime leur beauté et leur pouvoir de séduction, j’aime leur manière de provoquer les hommes, parfois de manière inconsciente, j’aime quand elles montrent leur décolleté de manière à faire détourner les regards.
– Oui mais parfois, tu es limite.
– Je suis limite rien du tout. Simplement, je m’exprime. Là où d’autres, hypocritement, se taisent.
– Tu as marqué un point.
– Non mais !
21
– J’adore le quai du métro.
– Le quai ?
– Oui.
– Il existe des endroits un peu plus sympathiques que le quai du métro.
– Hmmmm pas sûr.
– Bon vas-y explique.
– J’ai remarqué que le quai du métro à l’heure où les gens sortent du travail ont quelque chose de romantique, de très sensuel. Lorsqu’il fait chaud, on y voit des femmes en tailleur qui tombent leur veste, on sent quelque chose de relâché, de détendu, et c’est à ce moment là que je sens les femmes les plus vulnérables.
– Il suffirait d’un rien.
– D’un pas grand chose. C’est ce que je me disais hier lorsque je perdais mon regard sur le poitrine blanche de cette japonaise toute fine, son cou lisse et doux.
– Tu as touché ?
– Non, mais j’ai beaucoup d’imagination.
22
– Aujourd’hui, c’était la journée des petits seins.
– Pardon ?
– Aujourd’hui, c’était la journée des petits seins.
– Oui ça j’ai entendu mais ça veut dire quoi ? C’est comme la journée de la femme ? La journée des droits de l’homme ?
– Non, mais aujourd’hui, je n’ai regardé que des femmes qui avaient des petits seins.
– …
– Ouais.
– Et alors ?
– C’est beau les petits seins, c’est mystérieux. Ça a quelque chose d’intemporel. J’imagine que certains hommes ne regardent pas ces femmes à la poitrine plate, même si elles sont très belles.
– Je trouve ça triste.
– Oui, moi aussi. Ce n’est qu’injustice. Et puis caresser des petits seins, je trouve ça incroyablement excitant.
– Fais quelque chose.
– Oui, je vais faire ça. Réparer l’injustice des femmes qu’on ne regarde pas parce qu’elles ont des petits seins.
– Tu vas t’y prendre comment ?
– Je vais compenser le regard inexistant des autres hommes.
23
– Rien n’est plus amusant que de tourmenter une belle femme.
– Tu me fais peur, parfois.
– Non, n’aies pas peur. Ce que je veux dire, c’est que quand tu as une belle femme en face de toi, c’est facile d’en rajouter une couche. Hier, je me suis pris la tête à la banque avec la guichetière parce qu’il y avait des frais injustifiés sur mon compte.
– Les salauds.
– J’avais raison, ce sont eux qui se sont trompés. La guichetière était une métisse, certainement d’origine thaïlandaise, très belle, un peu ronde, un visage parfait. Lorsque j’ai vu que les choses tournaient à mon avantage et qu’elle n’arrêtait pas de se confondre en excuses, j’en ai profité. J’ai fait sembler de me fâcher tout rouge et en même temps, j’avais quasiment le nez dans son décolleté.
– Et alors ?
– Elle me laissait faire. Comme si cela faisait partie du package “excuse envers le client”.
– T’es vraiment qu’une merde.
– Ouais. Mais après tout, autant en profiter non ?
– Je réitère. T’es vraiment qu’une merde.
– Oh ça va, épargne moi ça s’il te plait. Une fois que j’en avais terminé avec elle, je lui ai fait mon plus beau sourire et je me suis cassé.
– Profiteur.
– Merci.
24
– Je suis rentré du boulot ce soir avec l’air idiot.
– Une fois n’est pas coutume.
– En allant me laver les mains dans la salle de bain, je me suis regardé dans le miroir.
– Joli narcissique.
– Abruti. Je me suis rendu compte que j’avais du café séché sur le nez.
– Ah oui, tu devais avoir l’air con.
– C’est rien de le dire. Le pire, c’est que mon dernier café remontait à 10h00 du mat’. Je suis resté avec cette tâche sur le nez toute la journée.
– Et personne pour te le faire remarquer, évidemment.
– Bien sûr.
– Des ingrats…
– Oui. Tous.
25
– J’adore les filles à moto.
– A moto ?
– Oui à moto.
– Pourquoi spécialement les filles à moto ?
– Parce que généralement elles portent des vêtements très près du corps.
– Ah oui je vois, le cuir, tout ça…
– Non, je m’en fous du cuir. C’est cette courbe particulière, l’angle que dessinent leurs cuisses avec les jambes et le reste du corps. Il n’y a rien de plus beau que les cuisses, des cuisses moulées dans un jean, tendues et palpitantes…
– Hmmm.
– Et puis je sais pas, une femme sur une moto, elle porte un casque, on ne voit pas son visage, c’est un mystère sur un bolide, il y a quelque chose d’excitant.
– Je vois ce que tu veux dire. Mais ça marche avec le scooter aussi ?
– Oh merde, ferme-la.
26
– J’ai fait un truc pas bien.
– Ah bon ? Quel genre ?
– Le genre pas bien.
– Le genre qui fait se sentir coupable ?
– Voilà, exactement.
– Vas-y, raconte.
– J’étais chez une amie, tu vois, une ex, le genre d’histoire qui date de dix ans, peut-être même plus.
– Ah ouais.
– Ouais. Et à un moment, elle était assise à côté de moi. Je regardais ses mains. Elle a de très jolies mains. Des mains sensuelles.
– Oula.
– Et je sais pas pourquoi, je me les suis rappelées dans d’autres circonstances.
– Oh ?
– Oui, j’ai fermé les yeux et je me suis rappelé ses mains sur mon corps, me caressant, lorsque nous étions nus dans son lit.
– Oush.
– C’est pas bien hein ?
– La question est plutôt “est-ce que c’était bien ?”
– Oui, c’était bien.
– Alors c’est pas mal.
– Tu dois avoir raison.
27
– J’aime bien rester sur les parkings, dans ma voiture.
– A regarder les gens.
– En quelque sorte.
– Les femmes ?
– Evidemment.
– Tu es là, dans ta bagnole, et tu sens un parfum qui vient de loin.
– Hmmm.
– Une fille ouvre son coffre, une jolie brune élancée. Elle change de chaussures, tout doucement, en prenant son temps.
– Des chaussures pour les courses ?
– Je sais pas. Tout est dans le geste. Elle prend son temps, elle change de chaussures, un geste tout simple qui laisse supposer que quand d’autres circonstances, elle pourrait prendre tout son temps…
– Des chaussures…
– Ses pieds, elle avait de très jolis pieds.
28
– Dans les couloirs du train, j’étais derrière une femme.
– Ce sont des choses qui arrivent.
– Je suis resté le regard rivé sur ses chevilles, elle avait des chevilles sublimes.
– Pourtant tu n’aimes pas les pieds !
– C’est vrai mais j’adore les chevilles. C’est rare que je marche en regardant les pieds des autres. J’étais complètement fasciné, c’était un pur de moment de bonheur de la regarder monter les escaliers.
– Il t’en faut peu.
– Non, c’est faux. Par contre, je suis tombé en mille morceaux quand j’ai vu son visage. Bon Dieu ce qu’elle était laide la bougresse.
– Comme quoi ça n’a rien à voir.
– Mais alors, rien du tout.
29
– C’est moche les histoires d’amour.
– Pourquoi tu dis ça ?
– Parce que souvent, ça tourne mal.
– Oui ben si ça tournait pas mal, ce ne serait pas des histoires, mais des choses figées dans le temps.
– C’est pas bête ce que tu dis là.
– Ça m’arrive de temps en temps.
– En même temps, un couple qui dure toujours, c’est qu’il y a un problème, ou des mensonges.
– Ou de l’hypocrisie.
– Surtout de l’hypocrisie.
– C’est moche hein ?
– C’est surtout ça qui est moche.
– Ouais.
– Parfois je me dis qu’entre un homme et une femme, ça ne devrait pas aller plus loin qu’un simple regard, qu’un simple sourire.
– Tout commence à merder quand tu as déjà le pantalon en bas des genoux.
– Ouais, c’est vraiment moche.
30
– Il y a parfois des choses que je ne comprends pas.
– Du genre ?
– Du genre, hier soir quand je suis sorti du train, je suis tombé nez à nez avec une fille superbe, une coiffure légère, la peau hâlée, un tailleur sobre et un haut noir, elle avait de magnifiques jambes longues, un galbe parfait, perchée sur des talons, genre la classe quoi, et elle était là, elle avait l’air d’attendre quelqu’un.
– Et ? C’est ça que tu ne comprends pas ?
– Non, parce qu’en fait, elle avait très impatiente, un peu comme si elle poireautait depuis deux heures.
– Tu l’as dit, c’était peut-être quelqu’un de très impatient.
– Oui mais non, on pouvait presque sentir de l’inquiétude sur son visage.
– Un lapin ?
– Ouais, ça y ressemblait.
– Ben ça arrive tu sais.
– Ouais, mais pas à ce genre de filles, on ne pose pas de lapin à ce genre de fille.
– Ce genre de fille est peut-être du genre chieuse, va savoir.
– Tiens, pourquoi je ne pense jamais à ce genre de choses…
– Parce que. Je suis là pour ça.
31
– Quand tu vois une fille de loin et qu’elle te semble superbe, je trouve que le temps qu’elle arrive jusqu’à toi est incroyablement excitant.
– Et parfois tu déchantes.
– Ça m’est arrivé, mais pas pour la raison que tu imagines.
– Raconte.
– Je l’ai vu arriver de loin, une fille avec les cheveux teints en orange, le genre de fille un peu sophistiqué.
– Hmmm.
– Et au fur et à mesure qu’elle s’approchait, je voyais bien qu’elle était magnifique, et ça devenait de plus en plus flagrant.
– Mais ?
– Mais quand on s’est croisé, je me suis rendu compte qu’elle ne devait pas avoir plus de 16 ans.
– Ouille.
– Ouais, comme tu dis. Trop jeune pour être belle.
32
– Par la malpeste !
– Gné ?
– J’ai du mal.
– Du mal à quoi ?
– Du mal à me relire.
– Relire quoi ?
– Tiens, regarde, c’est noté là. J’ai pris des notes et je n’arrive pas à me relire.
– Fais-voir.
– Juste là.
– Alors… Aux formes…
– Ouais, jusque là ça va.
– Aux formes généreuses au rayon littérature francophone…
– Aux formes généreuses au rayon littérature francophone…
– C’est ce que je lis.
– Ouais, ben ça doit être ça.
– Et tu ne vois pas ?
– Pas trop non.
– Désolé, mais je ne peux pas t’aider.
– Je vois ça.
– Bien bien bien.
– …
– Ssssss
– AH ! J’y suis, je me souviens d’elle.
– Ahh ben voilà, quel panache…
– Ah ouais, je me souviens parfaitement d’elle, au rayon littérature francophone… Ouais ouais ouais…
– Bon ben vas-y raconte.
– Désolé, mais non. Je garde ça pour moi.
– Je vois le genre.
33
– Dis-moi, as-tu déjà rencontré une nymphomane ?
– Non, pas que je sache. Ou alors… Non.
– Moi non plus. C’est triste non ?
– Pas vraiment, c’est quand même un trouble psychique, non ?
– Oui mais là n’est pas le problème. Ce que je veux dire, c’est qu’il parait que c’est assez répandu et malgré tout ça, ça ne m’est jamais tombé dessus.
– Tu ne dois pas fréquenter les bons endroits.
– Ah ? Parce qu’il y a des endroits pour ça ?
– Non, je dis ça, c’est parce que je ne sais pas quoi dire d’autre.
– Ouais, OK, en tout cas, c’est pas à moi que ça arriverait ce genre de chose.
– Qui sais…
– Pas toi en tout cas. J’aimerai tellement qu’une femme m’épuise.
34
– Tu sais quoi ?
– Non.
– J’aime l’été.
– Tout le monde aime l’été mon garçon, et personne n’aime être malade.
– Oui mais moi j’aime l’été.
– Oui ben moi aussi.
– Certainement, mais peut-être pas pour les mêmes raisons que moi
– Explique moi ça.
– Ben il n’y a rien de tel que l’été pour voir des jambes fines, toutes lisses, les culottes qui deviennent apparentes sous les jupes volantes et légères, les épaules qui se dénudent, on commence à voir des bretelles de soutien-gorges et des petits hauts affriolants qui laissent voir les rondeurs de la poitrine…
– Moi aussi j’aime l’été pour ça.
– Ah… Tu vois !
35
– Ça ne t’arrive jamais d’être gêné par un regard ?
– Si bien sûr, mais quel genre de regard ?
– Le genre de regard qui te déshabille.
– Hmmm oui certainement.
– Et par une fille que tu ne trouves pas spécialement jolie, quelqu’un qui te dérange ?
– Je ne sais pas à vrai dire.
– M’étonne pas tiens. Et qu’est-ce que tu ferais si ça t’arrivait là, ces prochains jours.
– Rien, je suppose.
– Ben pourquoi ?
– Parce que ça ne me dérangerait pas au point de penser à faire quelque chose pour éviter ce regard.
– Parfois je me demande si tu n’es pas un peu trop nonchalant.
– Mais je t’emmerde.
– Réponds à ma question.
– Je ne sais pas moi, je changerais de place, quelque chose dans le genre.
– Tu ne ferais rien qui puisse déranger la personne ?
– Du genre ?
– Du genre se fourrer les doigts dans le nez.
– Mais t’es vraiment con, toi !
– Certainement, mais c’est toujours ce que je fais.
36
– A ton avis, qu’est ce qui fait que certaines femmes sont plus vulnérables que d’autres.
– Hmmm, je ne sais pas, l’âge, les soucis…
– Je ne crois pas en fait.
– Et quelle est ta théorie ?
– Je pense que les femmes les plus vulnérables sont celles qui ne s’attendent pas à ce qu’on s’intéresse à elles.
– Du genre ? Les pas belles ?
– Non, pas nécessairement, mais je pense plutôt à celles qui ne sont pas assez sûres d’elles, qui se disent que de toute façon, elles ne font pas le poids comparées à des mannequins et qui restent persuadées que les hommes ne regardent que les beautés suprêmes.
– Ce qui est faux.
– Ne le dis pas trop fort, de peur que le charme se rompe.
– Et que fais-tu de celles qui sont trop sûres d’elles ?
– Très bonne question, j’allais y venir. En fait, elles le sont tout autant, très certainement, mais d’une autre manière.
– Dans quel sens ?
– Dans le sens où généralement, elles ne pensent pas pouvoir flancher parce que “tout va bien, je suis heureuse“, jusqu’au moment où tu mets le doigt sur le truc qui blesse. Et là, c’est généralement le chaos. Volontaire ou pas.
– Tu as l’air de savoir de quoi tu parles.
– Ouais.
– Et ?
– Et rien. Désolé.
37
– L’autre soir, j’avais un énorme bouquet de roses rouges à la main et je me promenai dans la rue, et je me suis aperçu de quelque chose de marrant.
– Que les roses avaient des épines ?
– Ahahah très drôle, et puis de toute façon, elles n’avaient pas d’épines, alors coucouche panier. Non, en fait, je regardai les autres me regarder.
– Les femmes non ?
– Evidemment. Et c’est marrant. Certaines te regardent avec un petit sourire de complaisance, ou de complicité, je ne saurais dire, en tout cas, quelque chose d’attendri.
– Oui, c’est toujours mignon un homme qui offre des fleurs.
– Et puis tu as d’autres genres de regards, des regards aigris, de celles qui doivent se dire qu’on ne leur offre jamais de fleurs à elles.
– De l’animosité.
– Presque, c’est assez effrayant. Et alors, je me suis demandé si je n’en ai pas croisé une ou deux qui se disaient qu’elles auraient bien aimé que le bouquet leur soit adressé.
– Comme ça ? Sans raison ?
– Ouais, et je me suis même dit qu’un jour je pourrais essayer de faire ça. Acheter des fleurs, et les offrir à la première femme qui me regarde avec envie. Je verrais bien.
– Toi tu vas finir par te prendre une torgnole un de ces jours.
– M’en fous. Je ne saurais pas tant que je n’aurai pas essayé.
38
– Mmmm.
– ?
– Quoi ?
– Pourquoi tu souris bêtement comme ça ?
– Je ne souris pas bêtement, je souris… légèrement.
– Oui ben tu as l’air bête.
– Merci, mais c’était un sourire que tu ne peux pas comprendre, il était adressé à cette jeune fille là-bas.
– Et tu as besoin d’avoir cet air niais ?
– Ecoute, je ne sais pas si tu le sais, apparemment non, mais les femmes sont très sensibles au sourire.
– Ah OK, c’est certainement parce que je ne suis pas une femme que je te trouve aussi niais.
– Voilà, ça doit être ça. Tu devrais essayer un jour. Tu croises une femme qui te plait, tu lui souris, presque timidement, les sourcils en virgules comme si tu avais presque honte de faire ça, et tu verras ce qui se passe, la plupart du temps, tu auras un sourire chaleureux en retour.
– Mmm.. Tu es certain de ce que tu avances ?
– Tu ne pourras jamais savoir si tu n’essaies pas. Le truc, c’est d’avoir un sourire suffisamment discret pour qu’il laisse paraître exactement le contraire de ce qu’il signifie.
39
– Tu sais… Ce matin, il m’est arrivé un truc magnifique.
– Vas-y raconte.
– Hier soir je suis sorti avec une fille superbe, nous sommes allés au resto, on a bien mangé, on a pas mal bu et puis je l’ai emmenée chez moi.
– Ouais, comme d’habitude quoi.
– Pas vraiment.
– Pourquoi ? Je ne comprends pas.
– Oui je vois ça. Nous sommes allés chez moi donc, et j’ai ouvert une bouteille de Champagne, nous avons beaucoup parlé, jusqu’à ce que le jour se lève.
– Vous avez parlé ?
– Ouais, je sais , ça parait dingue.
– Un peu oui.
– Et puis nous nous sommes endormis tout habillés sur mon lit, dans les bras l’un de l’autre. Et nous nous sommes réveillés dans la même position.
– …
– Quoi ?
– Tu ne serais pas…
– Ben vas-y, parle.
– Tu ne serais pas en train de tomber amoureux toi ?
– …
– Hein ?
– Non.
– Non ?
– Non. Ces choses là, c’est terminé pour moi.
– Comment ça terminé ?
– Terminé. Fini. Plus rien. C’est quoi que tu ne comprends pas dans ce que je dis ?
– Rien. Je trouve ça étrange, c’est tout, comme si c’était quelque chose que tu pouvais contrôler.
– Evidemment que je peux le contrôler, je ne vois pas ce qui te choques là-dedans.
– Ça ne me choque pas, je pense simplement que ce n’est pas quelque chose qu’on décide frontalement.
– Eh bien c’est là que tu te trompes. Pour moi, c’est simplement une question de survie.
40 et fin
– Voilà.
– Voilà quoi ?
– Voilà, c’est fini.
– C’est fini ? Mais qu’est ce qui est fini ?
– Les femmes, le sexe, l’amour, toutes ces conneries.
– Mais qu’est-ce que tu racontes ?
– Je… J’ai trop donné, j’en peux plus.
– Mais enfin c’est quoi cette histoire ?
– C’est pas une histoire, c’est la réalité. Je ne ressens plus rien.
– Mais parle-moi bordel !!!
– C’est ce que je fais, je suis là devant assis à côté de toi et je te dis que tout ça c’est terminé.
– Je ne comprends rien.
– En fait, je ne sais pas trop quoi te dire d’autre, sinon que depuis que je me suis fait dégagé par cette fille, c’est un peu comme si j’étais mort, psychiquement dénué de tout, incapable de me sentir vivant, même lorsque je m’abandonne. Je t’assure que je ne ressens plus rien. J’ai tenté de noyer mon désespoir dans le sexe, en levant tout un tas de filles que je ne respectais même pas, tout ça certainement pour assouvir un désir de vengeance sourde. Elle m’a complètement vidé de ce que j’étais, je ne sais pas comment elle a pu autant me détruire. Sincèrement, je pensais que c’était le genre de chose dont on pouvait se préserver; résultat, je suis rincé.
– Toi…
– Oui moi, je suis vidé tu sais, je ne peux rien y faire. Je crois qu’elle m’a transformé en monstre. Je pense que je pourrais tuer quelqu’un sans ressentir quoi que ce soit.
– Et qu’est ce que tu vas faire maintenant ?
– Rien. Rien qui ne puisse me sortir de l’impasse.
– Tu penses vraiment qu’il n’y a rien à faire ?
– Je ne sais pas. Tu as une idée là tout de suite ?
– Non. Pas vraiment.
– Tu vois.
– Je suis désolé.
– Ne le sois pas. Il n’y a qu’une seule chose que je puisse faire…
– Quoi donc ?
– Espérez que je puisse par un moyen ou un autre la rendre aussi malheureuse que je le suis, faire en sorte que comme moi, elle ne puisse plus avoir confiance en quiconque, je lui souhaite ça avec toute la haine dont je suis capable. Avec une haine aussi puissante qu’était mon amour pour elle…
in memoriam…
COCK. BULL. STORY.
Des histoires en trois mots, une démarche minimaliste surprenante par Nikki Farquharson. Via Veer.
Hunter S. Thompson photographe chez M+B
On connaissait Hunter S. Thompson écrivain barré et journaliste de métier, mais je ne le connaissais pas photographe. Des clichés surprenants, pas forcément très bons, mais révélateurs de l’époque et des lieux dans lesquels il a vécu. Emouvant.
A voir également sur le site de la galerie M+B, les superbes clichés de Mike Brodie, Lisa Eisner, Alison Jackson, Mona Kuhn, Michael Muller, et Matthew Pillsbury. On trouvera également quelques clichés du grand Saul Leiter, de Rena Bass Forman et des Kodachromes de l’âge d’or du surf. Du grand art made in Californie.
Les bornes de la loufoquerie privée de Hunter S. Thompson – Las Vegas Parano
Quand je dis que certains livres ont besoin d’un temps de maturation, ce n’est pas un vain mot. J’ai commencé Las Vegas Parano l’année dernière en Bretagne et je n’ai pas réussi à entrer dedans, l’écriture compacte, le style flamboyant, presque trop fantasque, situations improbables, c’était certainement à un moment de ma vie où j’avais besoin d’un peu plus de calme. Mais je ne me suis pas démonté. J’ai repris depuis le début et franchement, je me suis bien amusé.
Véritable ruée vers la drogue dans le désert du Nevada, Las Vegas Parano est un grand livre déjanté écrit sous mescaline aux accents révolutionnaires qui n’oublie pas sa vocation première ; le journalisme gonzo.
Plus fort, la radio. Plus fort, le magnéto. Regard planté dans le soleil qui se couche. Vitres descendues pour mieux humer le vent frais du désert. Ah oui ! Y’a rien de mieux. Contrôle total à présent. Rouler sur la grande voie de Las Vegas un samedi soir, deux bons vieux pères dans une décapotable rouge sang… défoncés, démontés, déglingués… De Vrais Braves.
Je dormais encore lorsque la femme de ménage était entrée ce matin-là. Nous avions oublié d’accrocher le carton « Ne pas déranger » sur la porte… aussi s’était-elle aventurée dans la pièce, pour surprendre mon avocat qui, nu comme un ver et à genoux dans le placard, vomissait dans ses chaussures… persuadé qu’il était en réalité dans la salle de bains, puis relevant soudain la tête pour apercevoir une femme avec la tête de Mickey Rooney qui le dévisageait, muette et tremblante de peur et de désarroi.
« Elle tenait son balai comme un manche de hache, m’avait-il expliqué par la suite. Alors j’ai surgi du placard en galopant à quatre pattes tout en continuant à vomir et je l’ai plaquée juste aux mollets… c’était par pur instinct ; je croyais qu’elle allait me tuer… et quand elle s’est mise à gueuler, c’est là que je lui ai fichu le sac à glaçons dans la gueule. »
Oui. Je me rappelais ce cri… un des sons les plus terrifiants que j’aie jamais entendus. Je m’éveillai et vis mon avocat qui se colletait avec l’énergie du désespoir au pied de mon lit avec ce qui le parut être une vieille femme. La chambre vrombissait d’un puissant vacarme électrique ; le poste de télévision sifflait tous ses décibels sur une chaîne inexistante. C’est à peine si j’entendais les cris étouffés de cette femme qui se débattait pour enlever le sac à glace de dessus sa figure…. mais elle ne pouvait rivaliser avec la grosse masse nue de mon avocat, qui arriva finalement à la coincer dans un coin derrière le poste de TV, lui serrant les mains sur le gosier tandis qu’elle bredouillant piteusement : « Je vous en prie… je vous en prie… je ne suis qu’une femme de chambre, je ne voulais rien faire… »
Je fus hors du lit en un éclair et aggripai mon portefeuille dont je sortis mon insigne en or de journaliste-collaborateur bénévole de la police que je lui agitai devant le nez.
« Je vous arrête ! m’écriai-je.
– Non ! marmonna-t-elle ; je voulais simplement faire le ménage ! »
Mon avocat se releva en soufflant comme un bœuf. « Elle a dû utiliser un passe-partout, déclara-t-il. J’étais en train de cirer mes chaussures dans le placard quand je l’ai vue se faufiler – alors je l’ai appréhendée. » Il tremblait, du vomi lui bavant au menton, et je vis en un clin d’œil qu’il comprenait la gravité de la situation. Notre comportement avait cette fois-ci dépassé les bornes de la loufoquerie privée. Fallait voir le tableau : tous les deux à poil et écrasant de nos regards une vieille femme terrorisée – une employée d’hôtel – étendue par terre dans notre suite et au paroxysme de la peur et de l’hystérie. On ne pouvait pas la relâcher comme ça.
« Qui vous a dit de faire ça? demandai-je. Qui vous paie ?
– Personne ! gémit-elle ; je suis la femme de ménage !
– Vous mentez ! hurla mon avocat. Vous cherchiez les preuves ! Qui vous a mis là-dessus – le patron ?
– Mais je travaille pour l’hôtel, reprit-elle. Tout ce que je fais, c’est de faire le ménage dans les chambres. »Hunter S. Thompson, Las Vegas Parano
Cracher du haut des buildings, les yeux grands ouverts
Tous les articles
- Acte 1 : où il est question de l’obscurité
- Acte 2 : rêves de Bunker Hill
- Acte 3 : des genoux de la danseuse
- Acte 4 : rêves de départ
Photo © santapaul
Continue reading “Cracher du haut des buildings, les yeux grands ouverts”
Le haut de la colline
Photo © Kolby Kirk
Los Angeles, give me some of you ! Los Angeles, come to me the way I came to you, my feet over your streets, you pretty town I loved you so much, you sad flower in the sand, you pretty town.
John Fante
Quelques mots – dans le brouillard du soir – pour dire qu’il faut aller à l’économie de paroles.
Je me suis laissé aller à quelque chose de complètement fou aujourd’hui, quelque chose qui a répondu à une impulsion primitive et sauvage qui devait être rassasiée. Pour la seconde fois dans ma vie, j’ai acheté Demande à la poussière… Il le fallait, il me fallait ce livre indispensable, l’avoir près de moi, le caresser et le chérir, me plonger dedans pendant qu’il en est encore temps.
Et puis, je me suis remis à écrire, pauvre larve de feignasse, oui je me suis remis à écrire, j’ai repris les armes et puis tout ça, toute cette gangue, c’est ici que ça va se voir, c’est dans ces pages, alors si vous voulez lire, il faudra me demander le mot de passe, un petit mail et puis ce sera parfait, parce que ce seront des mots qui nécessiteront une clef, pour la lecture, la compréhension, ça ne se lit pas comme ça ces choses là, ça ne se jette pas à la face du public sans rien dire, sans énoncer un léger avertissement – attention lecture dangereuse pour la moralité et la pudeur, un peu comme un concours de ticheurtes mouillés sur la plage de Cancún ou un combat de catch féminin dans la boue – ce serait insultant, provocateur, je ne vais pas vous balancer mon linge sale à la figure…
Ah, et puis une autre chose. Je ne vais pas beaucoup être là ces prochains jours. Mais on s’en fiche un peu, non ?
De couleur et de lumière – Neon Bible – John Kennedy Toole
Photo © charlie cravero
Tomber dans la Bible de Néon de John Kennedy Toole, ça n’a rien à voir avec le chef d’œuvre de littérature américaine qu’est la Conjuration des Imbéciles. Une carrière d’anti-écrivain, une mort tragique, l’absence de reconnaissance, la dépression, Toole n’a écrit que deux livres. En fait non, il a écrit deux romans, dont aucun n’a paru de son vivant. La Bible de Néon, il l’a écrit alors qu’il n’avait que seize ans, et lorsqu’on met bout à bout les deux œuvres, on se rend compte avec dépit le talent de ce magicien et ce qu’il aurait pu écrire d’autre, nous laissant sur notre faim.
Au-dessus de ma tête, l’ampoule unique qui pendait au bout du fil électrique était aussi assez graisseuse, elle donnait de grandes ombres à toutes choses et à mes mains un aspect blanc et mort. Assis la tête entre les mains, je parcourais des yeux les motifs de la toile cirée qui recouvrait la table, et je les parcourais encore. Je regardais les carreaux bleus devenir des carreaux rouges et puis des noirs et puis encore des rouges. Levant les yeux vers l’ampoule, je voyais devant moi des carreaux bleus, des carreaux noirs, des carreaux rouges. Dans mon ventre, les beignets au maïs étaient lourds. J’aurais voulu ne rien avoir mangé.
Photo © cobalt
Peu importe de raconter cette histoire, il faut la lire et s’en imprégner, s’imbiber de ce roman de jeunesse désabusée et triste, un roman qui m’apparaît, alors que je regroupe les notes prises sur mon carnet, comme un faisceau de lumières, d’ombres, de scintillements et de couleurs inconnues. Un tableau de Hopper, dans l’Amérique des années 30.
Derrière elle, le clair de lune se répandait dans la pièce et rendant tout le bord de son corps argenté.. Ses cheveux lui tombaient sur les épaules, et la lumière faisait briller chaque cheveu comme une toile d’araignée au soleil.
Toole est un sculpteur d’effets, gaufrant le papier de ses doigts d’orfèvre en me donnant l’impression de maîtriser les effets de lumière comme personne, donnant à son texte les reflets magiques d’une toile ou d’une photo.
Le soleil était haut maintenant, il entrait par la fenêtre ouverte, fort et brillant. Je n’avais jamais été nu en plein soleil, alors je me suis mis devant la fenêtre et j’ai laissé la lumière jaune couler sur moi. Mon corps était blanc pâle sauf les bras et la figure, et la brise soufflait sa fraîcheur sur moi.
Photo © charlie cravero
Le premier livre de Toole ne ressemble pas au second. Du tout. En revanche, je tenais à parler de ce livre après avoir terminé la lecture de Bandini, de John Fante. Parce que ce sont les mêmes lieux, les mêmes désillusions d’enfance, les mêmes personnages qui n’attendent rien, mais il n’appartient qu’à ceux qui souhaitent en savoir plus de faire l’expérience de ces lectures.
Elles étaient éclairées la nuit, à présent. Ça les rendait encore plus facile à repérer, et le soir, parfois, je m’asseyais sur le rebord de la fenêtre pour les regarder. Mais ça ne me plaisait pas de voir cette partie-là de la colline éclairée. J’aimais y penser telle qu’elle était la nuit où nous étions allés là-bas, mes maisons complètement vides, la colline sans personne d’autre que nous, l’obscurité et rien d’autre, rien que le clair de lune. Je me suis même demandé qui vivait dans la maison où nous étions assis sur le seuil.
Et puis j’ai cessé de me faire du souci pour Tante Mae. Un jour, en rentrant du magasin, je l’ai trouvée assise à la cuisine, à passer les mains sur la toile cirée.
Le pli qu'il a au coin des lèvres
Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais j’ai laissé tomber John Fante, je l’ai oublié dans un coin, je me suis empêtré dans la lecture de Bandini, pourtant passionnante et haute en couleur, telle que peut l’être La route de Los Angeles ou Demande à la poussière, je l’avais posé sur une étagère et lui m’attendait. Il me restait que 70 pages à lire.
Je l’ai repris, j’ai feuilleté et je me suis lancé à nouveau. Je suis vautré dans la poire, mon fils me parle et me demande pourquoi je passe tout mon temps à lire et à écrire. Je lui réponds que ce n’est pas vrai, que je fais d’autres choses, à quoi il ajoute, que “ce n’est pas un métier ça“, alors je lui rétorque que “si, c’est un métier, mais c’est également un loisir, quelque chose qu’on fait parce qu’on aime ça“.
Il est descendu de sa chaise et est venu me faire un câlin.
J’ai relu la superbe postface de Philippe Garnier et son mordant, sa verve et son éclairage. Son ton juste quand il parle de l’homme, de Fante, l’écrivain maudit et brillant.
Parce que toute sa vie, Fante a été en proie aux remords et à la répression, en bon rebelle catholique. S’il parvient à trouver en lui tant de violence et tant de méchanceté pour ses personnages, c’est que Fante était loin d’être un saint – en fait, au dire de certains de ses amis et connaissances, c’était un être particulièrement désagréable et teigneux, qui possédait un sens de l’humour très particulier, et à sens unique. Bezzerides raconte comment un jour à une réunion de la Writers Guild au Hilton il avait insulté ouvertement l’ami avec qui il était, qui se trouvait être homosexuel. « Salut, Al, comment ça marche avec ton pédé de copain ? » Et comment, dans un ascenseur, alors que Bezzerides portait un manteau qu’il aimait particulièrement, couleur fauve, Fante s’était pointé, lui demandant immédiatement « où il avait dégoté ce manteau couleur merde ?» […]
Il n’est que de noter le pli qu’il a au coin des lèvres sur à peu près toutes les photos connues de lui pour se persuader de la véracité de ces histoires. C’est aussi ce qui donne la force à ses bouquins.