Je me suis lancé un peu par hasard dans la lecture de ce livre (Extrêmement fort et incroyablement près de Jonathan Safran Foer), dont il faut dire que la couverture, aux éditions Points Seuil, est foncièrement laide et peu attractive. Pourtant, sans connaître l’auteur, mais simplement sur ouï-dire, j’ai eu envie de le lire. La quatrième de couverture ne m’a pas attiré plus que ça non plus. L’histoire d’un petit garçon de 9 ans, surdoué, passionné de l’œuvre de Stephen Hawking et des Beatles et dont le père est décédé dans les attentats du 11 septembre 2001, l’histoire avait tout pour me rebuter et me faire reposer le livre si on ne m’en avait pas parlé. L’auteur lui-même est énervant. Jeune, bardé de diplômes, pressenti comme étant une étoile montante de la littérature, c’est typiquement le profil du type qui tape sur le système.
J’y suis donc allé avec une certaine méfiance, à tâtons, comme lorsqu’on goûte un gratin de choux de Bruxelles et ce que j’y ai découvert m’a vraiment surpris. L’histoire, le fil de l’histoire ne m’a pas plus accroché que ça, je veux dire que je ne m’y suis pas attardé, quelque chose m’a fait manqué l’intérêt que j’aurais pu y trouver, si tant est toutefois qu’il y en ait vraiment un.
Non, ce que j’ai trouvé dans ce livre, à part des illustrations du texte sous forme de photos, des caprices typographiques pas toujours justifiés à mon goût (il paraît que dans l’édition brochée, les noms des personnages ainsi que le nom des couleurs étaient imprimés en couleur – j’y ai échappé, Dieu soit loué, comme le poulet), des pages blanches, des pages noircies, tout un ensemble de surprises qui, disons-le carrément, donnent parfois l’impression d’un remplissage, ce que j’y ai trouvé c’est un expressionnisme de l’écriture[1].
Tu veux quelque chose en particulier ? a-t-il demandé sur mon bras.
Je veux tout en particulier, ai-je dit.
Des magazines d’art?
Oui.
Des magazines de nature ?
Oui.
Politiques ?
Oui.
Autre chose ?
Oui.
Je lui dis de prendre une valise pour pouvoir rapporter un exemplaire de chaque genre.
Je voulais qu’il puisse emporter ses affaires.
Dans mon rêve, le printemps suivait l’été, qui suivait l’automne, qui suivait l’hiver, qui suivait le printemps. Je lui ai préparé un petit déjeuner. Je me suis efforcée qu’il soit délicieux. Je voulais qu’il ait de bons souvenirs, de sorte qu’il revienne peut-être un jour. Ou au moins que je lui manque.
J’ai essuyé le bord de l’assiette avant de la lui donner. Je lui ai étalé la serviette sur les genoux. Il n’a rien dit. Quand l’heure est venue, je suis descendue avec lui.
Il n’y avait rien sur quoi écrire, alors il écrivit sur moi.
Les personnages sont d’une profondeur excessive mais nécessaire à la tension que l’auteur semble vouloir faire passer pour tendre son histoire, même si le petit Oskar est profondément agaçant, malgré son mal-être et sa fausse candeur ; c’est typiquement le genre de môme à qui on a envie de donner des gifles. Sa mère, effacée, toute en relief, oscillant entre les pleurs et robustesse reste finalement un personnage d’arrière-plan qui laisse peu de traces. En revanche, deux personnes se démarquent nettement dans des échanges de lettres, dans des mots incroyablement forts, charnels et brutaux. Tout d’abord, la grand-mère d’Oskar, que finalement on voit assez peu intervenir dans le cours de l’histoire, puis le Locataire, un personnage vigoureux, manipulant la terre et ne parlant pas, aux mots Oui et Non tatoués dans les paumes des mains. Ces deux spectres du passé sont comme des liaisons avec le présent et le futur, d’une tension, d’une profondeur rarement exprimée dans un livre et j’ai tout de suite ramené cette sensation à celle que l’on éprouve face à la peinture expressionniste.
Il y a aussi dans ce livre un rapport au corps et à l’écriture qui ne m’a pas échappé. Les thématiques de l’écriture, de la chair, de l’écriture dans (et de) la chair y sont fortement représentés, bien que sous-jacents, dans des accents qui rappellent la pensée du de chiasme tactile, du touchant et du touché de Merleau-Ponty.
Certains livres laissent pantois car leur histoire est forte. Ici, on sait d’emblée que tout sera distendu par un contexte dramatique, aux traits forcés, et au sortir de la lecture, au demeurant relativement facile, on finit épuisé par tant d’émotions et d’intensité, le tout encapsulé dans une écriture à la puissance rare.
Je pensais n’avoir pas grand-chose à dire de ce livre, mais finalement, j’en tire une grande satisfaction, même si je sais, ou je me doute, que j’aurais certainement du mal à retrouver une telle illusion.
Notes:
[1] L’expressionnisme est la projection d’une subjectivité qui tend à déformer la réalité pour inspirer au spectateur une réaction émotionnelle. Les représentations sont souvent basées sur des visions angoissantes, déformant et stylisant la réalité pour atteindre la plus grande intensité expressive. Celles-ci sont le reflet de la vision pessimiste que les expressionnistes ont de leur époque, hantée par la menace de la Première Guerre mondiale. Les œuvres expressionnistes mettent souvent en scène des symboles, influencées par la psychanalyse naissante et les recherches du symbolisme. (Source Wikipédia)