Chez Andreas Seibert, la pègre tokyoïte…
Et plein d’autres choses…
Le son de ta voix
– Papa ?
– Oui mon chéri ?
– Rien…
– …
– Je voulais juste entendre le son de ta voix.
La poubelle jaune
Je suis d’un naturel plutôt débonnaire, mais j’ai cette fâcheuse habitude d’être un peu joueur, un joueur qui je l’espère ne se prive pas d’avoir de l’humour. Aussi, j’aime bien dire ce que je pense et enquiquiner ceux qui me tapent sur les nerfs, et en ce moment, c’est au gardien de ma résidence que j’en veux.
Dans la cave, nous avons à disposition de grands bacs jaunes et gris afin de procéder au tri sélectif, mais depuis quelques jours, les bacs sont fermés et je me retrouve à devoir vider mes déchets dans un petit trou ne dépassant pas 30 centimètres sur 20. Ce qui a le don de m’agacer.
Alors j’ai écrit une lettre anonyme que j’ai collé un peu partout dans l’immeuble.
Photo © Joshua Rothhaas
Serait-il possible d’avoir des poubelles sélectives ouvertes et accessibles autrement que par des chatières à peine plus grandes qu’une bouteille de lait, histoire que deux points soient éclaircis ?
1- Sur les panonceaux visibles au-dessus des poubelles, il est inscrit que peuvent ses recycler les cartonnettes et les cartons, i.e. tout ce qui est en carton.
Un petit carton, un grand carton et un immense carton ont comme dénominateur commun d’être… en carton, donc recyclable.
Il n’y a donc aucune raison de jeter les grands cartons aux encombrants, sinon l’intérêt du tri sélectif est amoindri.
Soit on trie, soit on ne trie pas. Nous ne sommes pas dans une usine de calibrage d’œufs à trier par taille ce qui rentre et ce qui ne rentre pas.
Tous les cartons jetés aux encombrants seront incinérés car personne ne passera derrière vous pour trier à nouveau, tandis que les petits seront recyclés. Je crois que c’est important d’en avoir conscience.
2- Ensuite, j’imagine et je conçois que ça puisse être un passe-temps, voire un sport, de passer un bon ¼ d’heure à passer ses petites bouteilles en plastique et ses cartonnettes une par une par ces trous de souris, ou encore de descendre trois fois par jour au local poubelle pour jeter la moindre petite chose qui se recycle, mais personnellement, je ne fais qu’un voyage par semaine. Aussi, passer tant de temps à jeter ses déchets me parait un tantinet contre-nature.Mon propos ne va pas plus loin.
Alors à présent, serait-il possible d’avoir à nouveau des poubelles grandes ouvertes ?Un voisin qui se considère éco-citoyen et qui espère ne pas vivre dans un internat pour jeunes garçons indisciplinés ou une caserne de gendarmes.
(et merci pour les poubelles ouvertes, la nature et ma santé mentale)
J’imagine qu’une âme bien intentionnée aura tôt fait demain matin d’arracher mes petits papiers, parce que ces choses là ne se font pas, comprenez-vous ? Je m’en fiche complètement, comptant uniquement sur le fait de susciter des réactions, et à défaut, des sourires…
La suite au prochain épisode…
You see what I mean – Dans la vapeur blanche du soleil
Paris dans le froid, un jour d’hiver lumineux dans une petite rue qui n’attirerait pas le touriste et pour cause, il n’y a aucune curiosité à y découvrir, aucun immeuble remarquable, aucun musée, ce n’est qu’une petite rue sous le soleil glacial. Né d’un livre de Nicolas Bouvier, dans la vapeur blanche du soleil… Cette petite rue dans laquelle se promenait des filles – dans le sillage de leur passage leur parfum suave et frais et un peu plus loin tellement près d’elles que je pouvais sentir l’odeur âcre et animale du cuir de leurs bottes. Je ne me rappelle plus vraiment quel jour c’était mais le ciel avait cette couleur laiteuse des beaux jours de printemps et la saveur piquante des jours sous des latitudes septentrionales. Face à moi la lumière – derrière moi l’impression tenace que j’étais en train de manquer quelque chose…
n° 9 Dans la vapeur blanche du soleil
« You see what I mean » comme une affirmation, ou comme une question, une question qui amène une réponse à l’autre bout du monde, ou plutôt deux questions qui interrogent le monde et par lequel on répond avec l’œil du spectateur au travers de l’objectif. C’est le défi auquel nous nous plions Fabienne et moi, une fois par semaine autour d’un thème choisi d’un commun accord. L’orientation choisie, nous nous faisons la surprise de l’image avec notre personnalité, notre regard, notre sensibilité, pour donner naissance à de nouvelles perspectives qui étonneront certainement autant les visiteurs curieux que les auteurs.
En marchant sur l'éther
Les villes sales aux trottoirs flottants comme l’éther – un monde flottant grouillant de vies passées comme de vieilles nippes, des photos jetées par terre et côtoyant au hasard des vents un mégot et quelques vieux chewing-gum piétinés noircis par le temps – j’ai aimé errer dans ces rues sombres aux odeurs de pierre de poutres fanées et de fleurs fantomatiques… Il faisait une chaleur assourdissante la chemise collée au corps, chevillée à moi mais le temps a passé et n’est pas ennuyé à me retenir à ses côtés et il a fui, vieux lâche, à présent, rien ne saurait faire revenir à moi ce qui était l’essence de cette époque – un peu plus et je me prenais à rêver d’une Nouvelle-Orléans surannée, non, ce n’était pas la Nouvelle-Orléans mais simplement Paris avec ses airs mutins et ses rues larges et ses platanes décorés de chatons sur le point de tomber… et moi avec là dans le caniveau, si possible, tomber on ne peut plus bas….
Un sport et un passe-temps – James Salter
James Salter est un cas à part. Un personnage peu connu de la littérature américaine, parfois comparé à Vladimir Nabokov pour le style, pour le lyrisme coloré. Attiré par la couverture de son livre récemment réédité, Un sport et un passe-temps (1967), je me suis jeté dedans à corps perdu, m’en délectant intégralement sans rien lire d’autre à côté. Salter est un ancien militaire de l’armée américaine qui a mal tourné – tout dépend du point de vue.
Le livre est composé d’étrange manière. Le narrateur est en France, une France vieillote de la campagne, de la Bourgogne éloignée avec ses maisons de meulière aux grilles forgées, rouillées et ses champs à perte de vue et parle avec une sorte de nostalgie mâtinée de douce langueur.
Autun, silencieuse comme un cimetière. Des toits en tuile, foncés de mousse. L’amphithéâtre. La grande place centrale : le Champ-de-Mars. Maintenant dans le bleu de l’automne, elle réapparaît, cette vieille ville, dans cet automne provincial qui pénètre jusqu’à l’os. L’été est fini. Le jardin dépérit. Les matins se font frisquets. J’ai trente ans, j’ai trente-quatre ans – les années se dessèchent comme les feuilles.
Photo © Ruud Raats
La première partie fonctionne de manière assez étrange puisqu’en fait, elle n’a quasiment aucun rapport avec la suite du récit. C’est une sorte d’introduction à une personnage, à un décor, à cette France rustre et à ses personnages désabusés. L’extrait qui suit est en quelque sorte fondateur pour la compréhension du roman, on y trouve tous les ingrédients.
Je me vois comme un agent provocateur, ou comme un agent double, d’abord d’un côté – celui du vrai – ensuite de l’autre, mais entre les deux, dans les retournements de veste, les soudaines défections, on peut facilement oublier toute allégeance et ne ressentir que la joie profonde, résonnante, d’être au-delà de tout code, d’être complètement indépendant, criminel serait le mot. Comme tout agent, bien sûr, je ne peux divulguer mes sources. Je peux seulement dire qu’il y a des choses que j’ai vues moi-même, d’autres que j’ai découvertes, parce qu’après tout, omettre ne serait-ce qu’un seul mot peut révéler l’existence de quelque chose qui mérite d’être caché, et je suis devenu obsédé à l’idée de la découverte, comme les grands détectives. J’ai lu chaque bout de papier, noté chaque détail.
L’histoire dont on parle est celle de deux jeunes gens, un Américain sans le sou et un peu fou, un dandy cynique et amoureux, Dean, amoureux de la petite Française un peu simple, Anne-Marie, pas vraiment exceptionnelle, mais il l’adore et passe son temps à lui faire l’amour. Cette relation entre ces deux personnages n’est pas une relation chaotique ou compliquée, elle est plutôt de l’ordre du passionnel et comme toute passion, elle n’a rien à voir avec l’amour qui lui, est censé être éternel. Anne-Marie attend énormément de son petit Américain, mais finalement rien d’autre qu’une vie simple de couple, avec ses petites joies et le simple fait de vivre à deux, même sans argent. Rien ne sera comme ils l’entendent tous les deux, et pour Dean, Anne-Marie apparait finalement comme un sport, et un passe-temps…
Il commence à me raconter la mer avec ses rochers, le vieil hôtel. Il décrit la Loire, la soirée hantée à Bagnoles. Il parle presque comme s’il ne pouvait pas se retenir. Tous les détails arrivent, les descriptions, les sensations, les odeurs. Il se tait, rassemble ses souvenirs, continue. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression qu’il est en train de tout étaler devant moi, l’essence de cette glorieuse vie qu’il a menée en France. Il met le passé en ordre. Il y a certaines choses qu’il faudrait confesser, et il sait que ça m’intéresse. Rien de ce qu’il n’est exceptionnel, mais je reconnais les événements. Je comprends tout ce que nous ne nous disons pas.
Ce qui est étonnant dans cette œuvre, pour un livre de cette époque, 1967, c’est la façon qu’il a de parler du sexe. Ma première impression lorsque j’étais encore en plein dedans, c’est une similitude avec les œuvres d’Heny Miller ou d’Ernest Hemingway, cette même cruauté / crudité. Rien n’est épargné pour le plus grand bien du lecteur. Faire sens, voici tout ce qui intéresse Salter et ça fonctionne à merveille. Je suis sous le charme et j’aime sa façon de parler de l’intimité de Dean et d’Anne-Marie, qu’on soupçonne foncièrement réelle.
Dean sourit. Il l’appuie un peu vers le bas. Elle résiste doucement. Ensuite il la retourne et la sonde. C’est comme un pluie d’amour. Elle le trempe quel que soit l’objet de ses pensées. Comme s’ils étaient dans des chambres séparées, comme s’ils étaient engagés dans des actes isolés, ils s’occupent jusqu’au dernier instant et ensuite restent écroulés, la literie éparse autour d’eux. Ils parlent à voix basse, sans conséquence. A l”extérieur de la fenêtre, des pigeons s’élancent par-dessus les tuiles.
James Salter
Un sport et une passe-temps (A Sport and a Pastime)
Editions de l’Olivier, Collection Points Signatures
Des kyriades
Myriade: Du latin myriades, adapté du grec ancien μυριάδες, mêmes sens, issu de μυρίος « innombrable » dont le pluriel μυρίοι signifie « dix mille ». Nombre de dix mille. (Par extension) (Ordinairement) Quantité indéfinie et innombrable. (source Wiktionnaire)
Kyrielle: Formé au Moyen-Âge en référence à la litanie kyrie eleison (Seigneur, ayez pitié de nous) du culte catholique. Suite interminable de paroles ou de mots. (Par extension) Toute longue série, multitude. (source Wiktionnaire)
Kyriade: Origine incertaine, terme probablement né dans une salle de rédaction d’un magazine télévisé par de frais diplomés d’une école de journalisme. Sens incertain, veut très vraisemblablement dire “des beaucoup, des énormément, voire des myriades ou des kyrielles”… Entendu sur M6, la petite chaîne qui… Creuset culturel.
De la pénétration…
On va devoir s’asseoir sur le redressement…
Il faut qu’on regarde de plus près ce que donne la pénétration de cet acteur…
Ce que j’aime dans le monde des études, c’est qu’on peut passer sa journée à dire des obscénités avec un aplomb énorme, sans risquer de passer pour un pervers et avec l’approbation, et même de vifs encouragements de la part de ses supérieurs.
Il y a une lecture morale de tout ceci.
Brighton Beach, Brooklyn by the sea
Brooklyn by the sea
Dimanche après-midi
C’est une vieille promenade
Sur de longues planches malades
C’est la mer Noire en petit
Tout le long de Brighton Beach
A Brooklyn by the sea.
Photo © Genial 23
Photo © Genial 23
C’est loin de la ville
C’est comme un pays
Que New-York secoue et regarde
Comme ses rires ou ses lézardes
Où tous ses rêves ont vieilli
Tout le long de Brighton Beach
A Brooklyn by the sea.
Photo © 1115
Paroles de Mort Shuman.
Dans le jardin de Strindberg
Lire Strindberg au cœur de l’hiver, c’est une bouffée d’air frais. August Strindberg, que ma joyeuse naïveté avait toujours placé au rang des plus célèbres compositeurs Suédois, comme je viens de l’indiquer, je ne le connaissais pas du tout. C’est collé à la couverture du livre de Sjón que je l’ai trouvé. Sa couverture recouverte d’une peinture de Carl Larsson m’a tout de suite attiré, me rappelant quelque chose de vaguement champêtre et également d’intimement lié à mon enfance.
Outre cela, j’ai découvert un auteur guilleret qui parle de son jardin avec la passion enflammée du connaisseur…
Carl Larsson
Introduire dans son jardin l’automne, les chardons et les mauvaises herbes et ne pas y avoir une seule fleur, c’est aussi aberrant que des buis taillés ou des tilleuls en espalier ! Mais le pire, ce sont ces ficoïdes qui, en pleine canicule, donnent l’illusion de la neige et du givre.
Qui a inventé ces horreurs ? Un ennemi juré des fleurs ? Un jardinier ambitieux qui voulait créer quelque chose de nouveau à n’importe quel prix ? Et comment ce pessimisme a-t-il pu s’imposer ? Y avait-il dans l’air du temps ce penchant pour les souffrances qu’on s’inflige, ou bien s’agissait-il d’une mode qui émergea, prédomina, frappa de paralysie les meilleurs et contraignit même les plus obstinés à se plier ? Allez savoir ! Des vents soufflent de tous les côtés, mais certains ne durent pas longtemps. C’est le cas de celui dont on parle : j’ai vu, avec joie, l’abominable coléus dans le jardinet d’un paysan – dans peu de temps il sera relégué à l’hospice. C’est pourquoi je mise sur le pois de senteur contre l’herbe de la pampa.
Mais on découvre un auteur cynique, qu’on sent à la limite de l’agacement et dans une certaine mesure me fait penser à certains textes de Jonathan Swift. August Strindberg à la pêche…
Cette méthode est d’un bon rapport, mais comme elle se fait à deux, on doit tenir compte des corvées qu’elle implique: le panier à provisions, la bouteille de cognac, la boîte de cigares, sans oublier les disputes. Rien n’est plus incompatible avec une pêche digne de ce nom que la présence de plusieurs personnes dans la même barque, sauf s’il s’agit de mineurs ou de domestiques sur lesquels on exerce une autorité illimitée et qui ne risquent de donner leur avis ni sur l’art de la pêche ni sur le travail du marin.
Carl Larsson
Outre ces moments récréatifs, on y trouve un naturaliste engagé et sûr de son propos. On y trouve quelques approximations scientifiques, mais toujours basées sur une observation très fine de son environnement.
L’évolution n’est peut-être qu’un mouvement vers l’avant ou vers l’arrière, une transformation sans conséquences ? Les lois de la nature ne seraient alors qu’un reflet subjectif de nos cerveaux avides d’ordres qui veulent détecter une détermination dans toute chose.
Je n’ai jamais rien lu d’autre de lui, et en lisant la postface du livre, on découvre que ce livre n’était en quelque sorte rien d’autre qu’une prose alimentaire, mais dont les auteurs avouent que son style y reste égal et toujours d’une grande clarté.
« Pour avoir le temps de traduire les pièces, je dois dès demain commencer un livre de merde sur la pêche à la ligne, la chasse, le jardinage, etc. – une lecture de Noël ! Affreux ! »
Lettre à Edvard Brandes, 4 septembre 1888.
August Strindberg, Mon jardin et autres histoires naturelles
Titre original : Blomstermålningar och djurstycken
Editions Actes Sud, 2005