La philosophie, diront certains, c’est un art qui consiste à compliquer les choses simples. J’adore ce genre de lieu commun qui dénote une envie patente de ne pas vouloir comprendre ce qui vu de l’extérieur est de toute façon compliqué. La philo n’est pas quelque chose qu’on a en soi de manière innée, c’est un travail de la pensée, une difficile discipline qui nécessite des pré-requis. Sachez qu’on n’est pas philosophe, mais qu’on y tend… Et dire d’un vieil homme qu’il est philosophe parce qu’il est sage, c’est un contresens total. Bref, quelques pistes pour se lancer…
La philosophie vient de la Grèce antique et a pris ses racines dans un contexte géographique, culturel, politique et social très particulier. Ces 4 données sont centrales pour comprendre la philosophie contemporaine, étrangement, qui reprend cette scène pour fonder une pensée nouvelle. La philosophie donc, naît avec les pré-socratiques, les logiciens, les mathématiciens et Socrate. Tout vient de là et se prolonge jusqu’à aujourd’hui.
Les pré-requis sont:
- Avoir à disposition un dictionnaire pour les termes compliqués, afin d’éviter les ambigüités.
- Ne pas se servir de ce dictionnaire pour éviter de lire les fondamentaux.
- Ne pas se contenter de lire les définitions, sinon, tout est à refaire.
- Ne pas commencer à lire Heidegger en ayant à l’esprit que l‘essence dont il parle est celle que l’on trouve chez Descartes ou Leibniz ! Chacun part sur des bases qu’il juge bon de développer.
- Dieu n’est pas mort, n’ayez crainte, mais il n’est pas non plus barbu. C’est un outil méthodologique.
- Ne pas se servir de la philo pour épater en soirée, c’est naze.
- La philo rend fou, le tout est de savoir à quel moment il faut en sortir.
- Ne faîtes pas comme les étudiants en psycho ou ceux qui suivent une psychanalyse, tout n’est pas philo et la philo ne sert pas forcément dans la vie de tous les jours.
- La philo, c’est bon, mangez-en.
- Eviter de citer Heidegger, il passe pour un nazi aux yeux du public, ainsi qu’Abélard qui passe pour un castrat. Evitez également de parler de la critique de la raison pure de Kant à un prof de philo ou à un étudiant, car personne n’a fini ce livre, trop compliqué. Bref, la philo, c’est pour soi.
Mes conseils et mes dé-conseils sont les suivants:
Surtout, ne pas lire Platon en premier. Platon vit dans un monde très particulier et met en scène un Socrate vieux, presque déjà empoisonné, qui parle de maïeutique, du monde de Idées, de l’opinion et de la caverne. En bref, c’est un peu de la haute voltige qui risque de décourager dès la première page. Si vous voulez persévérer, à éviter donc.
Toutefois, vous pouvez visiter les philosophes grecs en abordant Aristote (précepteur d’Alexandre le Grand). Aristote a inventé la logique formelle, ce qui est passionnant et également décisif dans la philosophie et l’épistémologie, mais je vous déconseille également les écrits logiques d’Aristote, c’est à vous donner envie de devenir moine. La ‘Poétique, la Métaphysique, Ethique à Nicomaque et la Politique” sont de bons ouvrages accessibles. Par contre, évitez la Rhétorique et les Petits Traités D’Histoire Naturelle, ce n’est pas franchement intéressant, et ça fait perdre beaucoup de temps.
On ne va pas s’attarder sur le philosophie médiévale, à part peut-être sur les Confessions de Saint-Augustin, qui reste un classique toujours bon à prendre. Et on peut directement aller voir René Descartes, avec les Méditations Métaphysiques et le Discours de la Méthode. Les Méditations sont des textes courts, denses, un tantinet mystique, mais très bien construits et lorsque vous aurez lu ça, vous aurez fait la moitié du chemin.
La philosophie politique est très intéressante. Lisez donc le Contrat Social de Rousseau, ce texte est magnifique et très clair. Il fonde tout notre système politique. Celui qui n’a pas non plus lu le Prince de Machiavel ne peut prétendre parler de philosophie politique.
On continue avec Baruch Spinoza et son Ethique qui reste un texte central, un peu compliqué, mais qui met en lumière tout un pan de la philosophie moderne, ainsi que son Traité de la réforme de l’entendement. Comme je le dis plus haut, Kant est inabordable, parce qu’il a passé sa vie à écrire comme un moine. Pour le lire, il faut avoir le même style de vie, alors Kant, oubliez. Par contre, ne passez pas à côté de la Monadologie de Leibniz, ce serait une faute lourde qui risquerait de vous coûter cher.
Celui qu’il ne faut pas manquer, c’est Hegel et sa Phénoménologie de l’Esprit, mais tous les textes sont intéressants. Hegel est limpide et créé un système de pensée très rationnel, bien huilé, qui donne vraiment l’impression de tout comprendre. Une grande oeuvre indispensable.
Si vous avez envie de vous suicider, lisez Kierkegaard. Si vous voulez devenir fou, lisez Nietzsche. Tout ses textes sont admirables, le plus dense étant la Naissance de la Tragédie, le plus hermétique Ainsi parlait Zarathoustra, toute son oeuvre est passionnante.
Chez les contemporains, il faut passer par Husserl pour comprendre tout ce qui s’est passé après. Il reste tout de même très compliqué à lire, à moins d’être sous l’emprise d’une drogue puissante. Si vous voulez tout de même vous y frotter, ne lisez qu’une seule chose: Die Krisis der europischen Wissenschaften und die transzentale Phäenomenologie: Eine Einleitung in die phäenomenologische Philosophie (La Crise des sciences européennes). Vous serez prévenus.
Heidegger est celui qui m’a tout appris et je ne vous donnerai aucun conseil de lecture le concernant, car mon parti-pris risquerait de vous faire perdre de vue sa pensée, mais Etre et Temps reste pour les universitaires l’ouvrage de référence. Evitez tout de même le Discours du Rectorat qui a fait date et laisse planer sur la philosophie une tache relative à son engagement dans la doctrine du IIIè Reich.
On a le droit de dire que la philosophie s’arrête avec Kant, ou qu’elle trouve son point d’orgue avec Heidegger, mais la suite est également intéressante et ne laisse pas indifférent.
La philosophie de Sartre est comme celle d’Husserl, elle nécessite de la drogue, et très honnêtement, on peut ne pas s’y arrêter, par contre, passer à côté de Merleau-Ponty serait un crime. L’oeil et l’esprit et le visible et l’invisible sont deux oeuvres majeures qui tissent une théorie de la chair réellement révolutionnaire dont je ne me suis pas encore remis. Le chiasme est une expérience inédite qu’il faut connaître.
En dernier lieu, je vous invite à vous diriger vers Gilles Deleuze et sa collaboration avec Felix Guattari dans l’Anti-Oedipe et Mille Plateaux. Je conseille également toute l’oeuvre de Deleuze, qui marque un pas dans la sortie de la philosophie.
Vous remarquerez que depuis, rien n’a été fait, ou si peu que c’en est décevant. J’oublie tout de même Alain Badiou, le dernier des derniers, mais en dehors de cela, vous ne trouverez rien de vraiment intéressant.
Maintenant, c’est à vous de faire vos propres armes et n’oubliez qu’il faut savoir sortir de la philosophie, parce qu’elle rend vraiment fou.
9 billets en un jour, c’est toi qui va nous rendre fous…
g.
Oui mais ce sont des vieux 😉
Je note, je note… la philo, j’ai toujours cru que c’était une maladie honteuse. Il a fallu je passe la quarantaine pour m’appercevoir que non seulement, la philo c’est vachement bien (pourvu, que comme pour la musique classique on l’attrape par les bons auteurs) mais qu’en plus c’est utile ! Enfin, je crois. Je n’en suis qu’au début…
Ben c’est utile, mais tout dépend de ce qu’on veut en faire…
Quoi en faire ? bigre, il faudrait en plus en faire quelque chose… “La philosophie est une activité qui par des discours et des raisonnements nous procure la vie heureuse.” Epicure (pris chez Comte-Sponville). La philo se serait donc une quête du bonheur ? moi, j’aime assez cette définition !
Alors déjà, première chose importante, Comte-Spontex, tu oublies. C’est tout sauf de la philosophie. Il faut le savoir.
slt
en fouinant sur google, je suis tombée par hasard sur ton blog, et je dois dire que je le trouve génial
j’ai 16 ans, et je suis en 1ère (ce qui veut dire que je n’ai jamais eu un seul cours de philo de ma vie…) Pourtant je dévore les bouquins les uns aprés les autres sans savoir vraiment lesquels choisir… (c’est comme ça que je suis tombée sur “la critique de la raison pure”, et j’avoue que j’ai mis 3 mois a le lacher, et que ça m’a pas mal découragé)
enfin bon, tout ça pour dire que ton article m’a vraiment aidé, parce que c’est pas le genre de chose que l’on nous apprend, et pourtant qui sont trés utiles !
alors merci encore, et bon courage pour la suite
Carla.
(p.s : mon adresse e-mail ne marche pas…)
moi jveux bien être moine…
Carla, content de t’avoir rendu service. J’ai peut-être encore de beaux restes après tout ? Euh sinon, rien à voir avec la famille Sarkozy ?
Jeanman, moine zen ?
Moi j’aime bien l’Elégance du Hérisson; Muriel Barbery, c’est pour moi le dernier auteur philo en date.
C’est vrai que ton site s’arrête ? Bon vent si c’est le cas, j’ai beaucoup aimé ton blog.
Colonel Onyx
De là à dire que Barbery est un auteur philo, je pense qu’il y a une marge. Attention, ce n’est pas parce qu’un auteur parle de sujets traités avec un ton analytique qu’on peut parler de philo 😉
Quant à arrêter, je ne sais pas bien encore, je prends le temps, je vais tout doucement, je réfléchis. On verra.
des commentaires sur un post de début 2006 ! wow, et tu voulais te sauver Romuald ?!
quelle belle intégrité -ce veut être un compliment
“Ne faîtes pas comme les étudiants en psycho ou ceux qui suivent une psychanalyse, tout n’est pas philo et la philo ne sert pas forcément dans la vie de tous les jours.”
*ahem*
Sinon, t’as oublié BHL.
SoL, je crois que je n’arriverais pas à partir finalement.
Araignée, Meuh non , BHL c’est un écrivain américain… tsss
absolument aucun rapport avec carla bruni évidement, je doute qu’elle s’interesse vraiment a la philo d’ailleur…
des beaux restes ? on dirait bien que oui, pourquoi donc en douter ?
(quant à muriel barbery et à son élégance du hérisson, je ne pense pas non plus qu’on puisse parler de philo, meme si c’est un trés beau livre…
de manière générale, est ce qu’on peut parler de philo lorsqu’il s’agit d’un roman ???)
Il existe des romans qui filent des métaphores portées par des notions philosophiques, ou tout au moins universelles, certes, mais ils sont rares, et généralement pas aux Editions XO.
merci ^^
il y a aussi qqchose qui m’a marqué dans ton article… à plusieurs reprises tu as parlé de la “folie” que peut provoquer une haute dose de philo…
je ne me fais pas de soucis pour ma santé mentale (quoi que…), mais souvent on me reproche de trop m’y interesser (le seul argument étant “tu es trop jeune pour ce genre de chose”).
épicure affirme que cela revient à dire qu’il y a un age pour le bonheur… mais il faut quand meme avouer que le risque demeure..
alors où est la limite ?
La limite, c’est savoir si on doit sortir de la philosophie par la philosophie ou y rester enfermé.
je me suis mis a nietzsche….car je veux devenir fou afin de savoir si la folie peut entrainer le bonheur…
euuhh….je sors?
Le bonheur, quel qu’il soit, apporte air, lumière et liberté de mouvement <3
Le bonheur apporte surtout des picaillons !!! Et vice versa (c’est mon côté benêt qui ressort)
Bonjour à tous,
Je ne peux m’empêcher de constater que ce blog est d’allégeance « continentale ». Toute la tradition analytique semble être laissée de côté. Étant étudiant de 2e cycle en philosophie, et ayant orienté mes recherches sur la métaéthique analytique, je suis en mesure de vous dire que Hiedegger ne marque pas la fin de la philosophie ! Beaucoup de recherches en cours sont (philosophiquement) pertinentes au plus haut point. Allez fouiner dans les revues anglo-saxonnes : Journal of Philosophy, Mind, Philosophical Studies, Ethics, Analysis, Philosophical Review, American Philosophical Quarterly, etc. Avantage qu’il y a à étudier la philosophie à l’aide des périodiques spécialisés : les lectures sont courtes (rien à voir avec la CriPure !). Désavantage : il est parfois difficile de replacer un problème traité dans son contexte. En effet, on suppose souvent que le lecteur maîtrise déjà plusieurs concepts techniques, connaît l’origine du problème, le lien de celui-ci avec d’autres débats, etc.
Bonjour Patrick,
Ce blog n’est d’aucune allégeance, mais plutôt d’inspiration et plus précisément deleuzien, qui n’est tout de même pas le dernier à avoir traversé la Manche et l’Atlantique pour aller voir ce qui s’y pensait (je pense particulièrement à Whitehead).
Tout d’abord, il n’y a pas à proprement parler de “tradition” analytique mais plutôt une doctrine, qui comme chaque doctrine vient s’opposer à un courant contradictoire. En l’occurrence, la philosophie analytique vient s’inscrire en réaction à des imbécilités comme le psychologisme ou l’empirisme, mais qui n’est jamais entré en réaction contre ces choses ?
Oui il y a des choses pertinentes chez les analytiques, mais ne leur érigeons pas trop vite une statue, la philosophie analytique est tout de même considérée comme le socle du post-modernisme et sauter de l’un à l’autre est on ne peut plus facile. Pour avoir étudié avec Badiou et Poulain, je sais qu’il faut prendre cette philosophie colorée “anglo-saxonne” avec des pincettes, mais par contre, oui la philosophie dans ce qui lui reste encore de grec, est bel et bien terminée, tout n’est que question d’école, c’est la rupture hégélienne, soit on l’accepte, soit on continue…
Hegel????? celui qui ne fait que justifier, par sa “dialectique”, l’état et la religion?
Celui du “J’ai vu l’Empereur — cette âme du monde …”??? ou encore cet individu servile à l’égard du pouvoir ???
C’est bien du Hegel de la religion publique et de l’idéal grec dont il est question ici??
Celui qui a prôné des trucs comme l’État qui serait fondé sur la liberté??? celui qui soutenait que l’idéal éthique des individus se trouvait dans la collectivité????
Celui qui soutenait que la religion était amour de la liberté???
ben voyons !!!!!
Je m’indigne avec Nietzsche devant cette résurgence de la morale de l’obéissance civique…
Hegel ce n’est que le plus pur conservatisme et le manteau neuf jeté sur les haillons de l’hydre religio-impériale..
Dégouté suis-je…
Je réfute avec force cette glorification hégélienne de l’omnitude plate et conformiste… grrrrrr!!!!!!! :O((
Eh ho, il faut sortir un peu de ton tonneau Diogène, faut respirer un peu et prendre tout ça avec un peu de légèreté. On croirait que tu joues ta vie sur des idées, prends un peu de recul…
Je conserve mon sourire, ne t’en fais pas pour moi.
Je tenais juste, avec un soupçon de 2eme degré que tu n’as pas su discerner, remettre Hegel et la “fin de la pensée grecque” à la place qui est la sienne… au fond de la classe, avec les penseur de l’omnitude.
Je rappelle les grandes critiques de Fauerbach sur la pensée hégelienne… ainsi que celles de Nietzsche… etc…
Je citerais encore Raymond Aron ” La philosophie traditionnelle de l’histoire trouve son achèvement dans le système de Hegel. La philosophie moderne de l’histoire commence par le refus de l’hégélianisme. “…
Mais tout ça ne me perturbe pas plus que ça… je reste sur le pas de mon tonneau à regarder l’inanité des efforts humains dans la pourtsuite de leurs molles passions…
;o)
Poursuite… et non pourtsuite… I’m so sorry
Oh Diantre, encore une fois je ne discerne pas le second degré, je crois que je commence à me faire vieux…
je prends au vol, je trouve très pertinent ce que tu dis, convaincant aussi.
que penses tu de Pascal Quignard?
il n’est peut être pas philosophe au sens où tu l’entends, mais qu’en penses tu?