– Toujours pareil. Il ne parlait que damnation, jamais de nous. Vous décoiffez tant soit peu une jeune fille, vous alliez droit comme une flèche en enfer.
Auquel il ne croit pas du tout. Il croit aux “lieux” (Ker en breton). Il connait dans l’île des lieux – bien circonscrits : un roc fendu par la foudre, une souche de cornouiller qu’on a toujours vue là et qui ne veut pas mourir – pleins de force, d’efficace et de bonté. C’est là qu’il faut aller se recueillir, demander, remercier. Ailleurs, à l’église qu’on laisse un peu aux femmes, c’est du temps perdu.
Nicolas Bouvier,
Journal d’Aran et d’autres lieux.*
On sous-estime souvent l’importance des lieux dans les cultures populaires. Qui n’a jamais foulé les terres chargées d’histoires et de légendes ne peut avoir idée de ce qu’ils représentent en terme de charge émotionnelle et religieuse. On se retrouve transporté dans des temps morts, de la veine de ceux dont parle Loti lorsqu’il se perd dans les remparts du monastère Sainte-Catherine, en plein Sinaï.
* Non, désolé, ce livre ne parle pas de poissons.
“On se retrouve transporté dans des temps morts”
je crois au contraire que ces lieux transcendent la notion de mort, ils portent en eux une notion de pérennité, ils renvoient non pas à des événements qui “ont été”, mais à des moments qui “sont”, tout simplement, et qui n’appartiennent plus à l’échelle du temps telle qu’on l’imagine traditionnellement (passé, présent, futur); ce sont des lieux de survivance et c’est peut-être en cela qu’ils sont si précieux, parce qu’ils sont ce qui reste, ce qui perdure, dans un monde qui passe et se délite, dans un monde d’éphémérités…
Oui tu as raison mais je parlais de temps morts au sens où ces sont des temps qu’on ne retrouvera pas.
peut-être justement qu’on les retrouve, mais on ne sait pas les reconnaître…
Tu me laisses sans voix…
Ah, ces symboles!
Je crois au contraire que ce ne sont pas des symboles, là où le signifiant est enfermé dans une forme. Ce sont précisément des lieux, chargés d’histoires, tout sauf des formes mais des objets dont la forme se meut à travers l’espace et le temps.